Liberté ou égalité ? Il faut choisir

Bien sûr, ce sont des notions difficiles à définir. La droite et la gauche les interprètent différemment. D'un côté on se mobilise pour la liberté d'enseignement, qui est d'abord celle des parents. De l'autre côté on lutte pour la liberté des enfants et des enseignants. A droite, on veut donner pleine liberté aux chefs d'entreprise ; à gauche aux salariés. A droite on proclame le droit au travail ; à gauche le droit de grève. Il est facile de se jeter à la tête les atteintes à la liberté commises par les extrémismes de tout bord. Les fascismes s'en moquent des libertés. Les marxismes ne s'en soucient pas d'avantage. Les libertés politiques ne sont pas plus respectées par les dictatures militaires ou religieuses que par des dictatures populaires. La droite réclame la liberté comme une de ses valeurs principales, pendant que la gauche mettrait l'accent plutôt sur l'égalité. Car il faut choisir entre ces deux idéaux. Le nivellement égalitaire des dirigistes s'oppose à l'élitisme des libéraux.
Si pour la droite, la liberté se confond avec les droits de l'individu, à l'opposé de ceux de l'Etat oppressif, pour la gauche elle est incluse dans les droits de l'homme, et donc assuré par l'Etat. Pour les premiers la liberté se confond avec le libéralisme, pendant que pour les autres c'est la faculté d'agir selon sa volonté dans le cadre démocratique.
Le principe du libéralisme s'applique dans plusieurs domaines. Premièrement on a ce qu'on peut appeler le libéralisme culturel, et d'un autre côté le libéralisme économique. La gauche est libérale au sens culturel du terme : elle défend les minorités, approuve aujourd'hui le mariage homosexuel comme elle a soutenu hier le droit des femmes à l'avortement. La droite est à l'autre bout de cette échelle : elle est conservatrice, inquiète de préserver les institutions familiales et la morale traditionnelle.
Dans le domaine économique, c'est le contraire : la droite est libérale, veut libérer l'initiative individuelle et la concurrence, la gauche est conservatrice, attachée à sauver ce qui peut l'être des anciennes solidarités économiques et sociales.
Au nom de la lutte contre des inégalités sociales, la gauche est naturellement tentée de discréditer les grades et les titres, d'abolir les classements dans l'école, de supprimer les mentions au baccalauréat, de pénaliser par l'impôt l'initiative et la réussite. Mais sa vocation normale est de soutenir le faible, de secourir le pauvre et de condamner le riche : ce qui procède d'excellents sentiments, sinon d'un réalisme fertile. La droite est anti-égalitaire, même si dans ses discours elle feint de s'apitoyer sur le sort des déshérités, et si, dans son action, elle n'omet pas d'améliorer leur sort. La droite est partisane de la compétition : prime à ceux qui osent et qui entreprennent !
Dans l'éducation nationale c'est le principe d'égalité qui prévaut. L'idéologie du système d'enseignement français est celle de l'utopie égalitaire du "tout pour tous" et du rêve de l'ascension uniforme et continue d'une société égalitaire. Mais cette formidable illusion a été secouée par un séisme culturel et social : défaillances parentales, écrasement de l'écrit par la consommation passive de l'image, déperdition du sens de l'effort au profit des comédies bénignes de "l'animation". L'utopie égalitaire a provoqué l'énorme désastre qui a ruiné les fortes bases d'un enseignement primaire où l'on apprenait à lire, à écrire et à compter. Le même optimisme égalitaire a stigmatisé toutes les formes de sélection. Mot tabou ! Alors, bac pour tous et vogue la galère ! "L'égalité des chances", idéologie chimérique inventée par Pétain, est devenue "Réussite pour tous", un délire qui place l'enfant "au centre du système" et la culture aux oubliettes. L'égalité des chances, si elle est un droit, et non un fait, recouvre une inégalité virtuelle, qui est un fait. Et le "tous au bac" a légitimé la casse du système scolaire et la baisse programmée du niveau. Le résultat est une inflation de diplômes, et un écart croissant entre ces diplômes dévalués et la compétence réelle. On a inventé des dizaines de bacs pour que l'objectif de "tous au bac" soit atteint, tandis que l'apprentissage est enfoui dans la sortie de secours pour les cas désespérés. Les examens et les résultats sont adaptés aux exigences de l'idéologie. Et qu'est-ce qu'on fait avec ces bacheliers sans bagages ? On les envoie en fac.
Liberté, Egalité, Fraternité : accolés sur les frontons de nos monuments la devise est belle. Mais le difficulté avec l'égalité, c'est que le concept est vague. Égalité, donc, mais laquelle ? Égalité de quoi ? Il faut définir les mots qu'on emploie. Poser la notion d’égalité comme un idéal ou un principe demeure très abstrait et ne dit pas grand chose des conséquences concrètes de l’application d’un tel principe. Liberté avec égalité, est-ce seulement possible ? Pour le savoir, il faut en définir les termes. Si je suis libre de fainéanter et m'amuser, je ne serai pas l'égal de celui qui sera libre de travailler et épargner. Si l'on nous contraint l'un et l'autre à l'égalité, nous perdons la liberté de nous différencier. L'initiative individuelle entraîne mécaniquement une différenciation quelconque de l'individu par rapport aux autres, c'est-à-dire une inégalité, précisément. La seule égalité compatible avec la liberté, c'est l'égalité des droits : chacun a droit à la liberté. C'est la seule égalité possible et souhaitable. Le principe d'égalité, dès lors qu'il ne concerne pas précisément l'égalité des droits, est incompatible avec la liberté. Un nombre incalculable d'inégalités est créé par le simple fait de réclamer l'égalité, et il faut bien la réclamer pour qu'elle s'applique, car elle n'est pas donnée. Le principe d'égalité exige donc sa propre violation pour être appliqué. A titre d'illustration, si l'on regarde où ont mené les idéologies égalitaristes, dans leurs différentes déclinaisons, nationalistes-socialistes et communistes, on s'aperçoit qu'elles ont effectivement toutes mené d'une manière ou d'une autre à la mise en place de machines à égaliser, qui sont vite devenues des machines à tuer.
Ce que Kant appellera plus tard l'insociable sociabilité c'est le conflit sans cesse renaissant de la sociabilité et des intérêts particuliers. La moindre action libre, entreprise dans la société, ne serait-ce que de celles qui sont liées à la volonté d'entreprendre (sur le plan économique) est génératrice d'inégalités. L'égalité et la liberté, qui semblaient bien établies en principe, entrent en contradiction dès qu'elles s'appliquent dans la réalité sociale. Ainsi doit-on admettre que leur affirmation simultanée conduit à une véritable aporie.
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