Loi LRU : l’esprit n’est pas une marchandise
Nous avons pu lire et apprécier hier, sur Agoravox, un article consacré à la loi LRU. Comme ce média citoyen se définit par la pluralité des points de vue exprimés, je vais m’autoriser à apporter le mien, qui ne ressemble pas exactement à celui de l’auteur.
Cette loi LRU, ou loi Pécresse, s’inscrit directement dans la ligne définie à Salamanque, en mars 2001, et aboutissant à la création de l’Association européenne de l’université. La déclaration finale, à Salamanque, était très explicite, puisqu’elle se donnait pour « Objectif la création d’un marché des universités par leur mise en concurrence ». « Les institutions d’enseignement supérieur acceptent les défis de l’environnement concurrentiel dans lequel ils opèrent au niveau national, européen et mondial. (...) La dynamique requise pour l’Espace européen de l’enseignement supérieur restera inopérante, ou provoquera une concurrence inégale, si se maintiennent l’excessive réglementation et la mainmise financière et administrative qui pèsent actuellement sur l’enseignement supérieur en de nombreux pays. »
Cela ne saurait être plus clair, le moteur des réformes en cours est bien la concurrence, et ce ne sont ni l’émulation, ni la qualité de la transmission du savoir, ni l’élévation du niveau de formation de l’ensemble de la population... Et la logique de la loi Pécresse répond parfaitement à cet objectif : « Leur gouvernance renforcée, les universités seront en mesure d’exercer des compétences nouvelles leur permettant d’affronter dans les meilleures conditions la concurrence internationale. » (exposé des motifs)
Par ailleurs, le cas de nos universités n’est pas un cas isolé, n’est pas neuf, et il préfigure une série de réformes propres à privatiser l’ensemble de notre système secondaire d’enseignement.
En effet, plusieurs publications de l’OCDE, de l’OMC, des AGCS et de l’ERT permettent de comprendre le mécanisme de ces privatisations : « Une vaste réforme du secteur public d’éducation est en cours, orienté vers et par le marché » (OCDE, in Courrier de l’Unesco, décembre 2000). Les accords de l’OMC prévoient « la privatisation de 160 secteurs ou services, pour une libéralisation totale », et parmi ces secteurs, « l’éducation (...) avec la santé, le dernier bastion à prendre » (OCDE, in Courrier de l’Unesco, décembre 2000).
Dans cette logique libérale, (« privatiser les bénéfices et socialiser les pertes »), « les pouvoirs publics n’auront plus qu’à assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable, et dont l’exclusion de la société en général s’accentueront à mesure que d’autres continueront à progresser ». (Adult learning and technology, in OCDE Countries, 1996)
Des publications de la Banque mondiale vont dans le même sens : « Investir prioritairement dans l’éducation de base » et « livrer les secteurs secondaires et universitaires aux industriels de l’éducation ». « Encourager le recours au privé » et « consentir à des prêts pour les pays disposés à adopter, pour l’enseignement supérieur, un cadre législatif et réglementaire (...) où le secteur privé interviendra davantage au niveau de l’enseignement et du financement ». N’intervenir que si les pays ont su « réformer les systèmes éducatifs dirigés par des administrations centrales ou d’Etat (...) lesquelles laissent peu de marges de manœuvre ». (Banque mondiale, Priorités et stratégies pour l’éducation, 1995)
La Conférence de Lisbonne, les 17 et 18 mars 2000, invitait déjà les ministres de l’Education des différents pays européens à « se mobiliser pour entrer de plain-pied dans la nouvelle économie ». De même, la Conférence du Lobby Gate de septembre 1998, stipulait que : « L’éducation est l’un des marchés à la croissance la plus rapide. La formation privée et l’industrie de la formation des adultes devraient connaître une progression à deux chiffres tout au long de la prochaine décennie », et que « l’éducation publique devient un concurrent qu’il convient de ramener à la portion congrue ».
Enfin, un groupe de travail de l’OMC, dirigé par le président de BP Amoco, ex-directeur du GATT, Peter Sutherland, s’exprimait ainsi : « La responsabilité de la formation doit être en définitive assumée par l’industrie ». « L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique ».
Tout ceci nous permet d’éclairer, à la fois, la loi LRU, et les lois sur l’autonomie des établissements scolaires dans leur ensemble, de comprendre que la volonté des décideurs est bien de livrer aux entreprises ou au marché nos lycées, collèges et universités. Ceci nous permet également de constater que le phénomène n’est pas nouveau et que les réformes actuelles ne sont qu’une étape de plus dans la « grande braderie » organisée.
Afin de mieux asseoir sa réforme, la ministre actuelle a commencé par dresser un tableau catastrophique des résultats de nos universités françaises et a joué à fond sur le « déclinisme », méthode très pratiquée en ce moment, dans divers secteurs, pour justifier une action politique : on développe un certain nombre d’éléments propres à démontrer que la catastrophe est imminente, on stigmatise les rétifs et les opposants, et on engage l’action.
Or, il est facile de prouver que nos universités, en dépit d’un manque réel de moyens, en dépit du nombre de leurs étudiants, si elles rencontrent un certain taux d’échec (lié à la massification, à des erreurs d’orientation, à des découragements, à un statut précaire de certains étudiants...), ne réussissent pas si mal.
La France reste dans le peloton de tête des pays de l’OCDE pour l’accueil des étudiants étrangers, largement devant les Etats-Unis, le Japon et les pays du Nord (pour l’ensemble du Supérieur, de 7 % en 1988, elle est aujourd’hui à 12 %. Pour les seules universités, ces chiffres sont passés de 8,5 à 15 % sur la même durée). Il y a actuellement 35 % de doctorants étrangers en France, et le CNRS (même s’il est un peu à part) emploie 25 % de chercheurs étrangers.
Les résultats du système ne sont pas aussi épouvantables qu’on veut nous le faire entendre : la France est dans le peloton de tête des diplômés en sciences (3 750 diplômés pour 100 000 actifs de 25-34 ans, dont 40 % de femmes) et vient au troisième rang des pays dans le classement, largement devant les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, par exemple, pour 100 000 actifs de 25-34 ans, seuls 2 200 sont diplômés, soit 40 % de moins que chez nous.
Ce qui a longtemps fait la qualité de notre Enseignement supérieur, c’est l’universalité des savoirs qui s’y distribuaient, c’est la valeur de ses enseignants chercheurs, c’est l’indépendance dont elle jouissait.
Cette réforme Pécresse qui voit dans le marché la seule source de progrès et de dynamisme, qui modifie le statut des enseignants chercheurs, qui fait entrer des « professionnels » dans le monde universitaire va en modifier profondément l’esprit.
Une lettre de mission de N. Sarkozy à Valérie Pécresse, datée du 5 juillet 2007, précise qu’il faut « allouer les moyens aux établissements d’enseignement supérieur en fonction de leurs résultats en matière d’accès de leurs étudiants au diplôme et d’insertion de leurs diplômés sur le marché du travail ».
Le premier grand risque à venir est l’orientation de la recherche vers des champs de mode ou d’intérêt provisoire des financeurs et donc un rétrécissement des champs de la recherche, du savoir, de la formation. Les Lettres, les langues anciennes, les sciences humaines... risquent de disparaître à plus ou moins court terme... Ce ne sont pas des enseignements « rentables » !
Le second risque, c’est l’assujettissement aux résultats : cela peut supposer une sélection à l’entrée des universités sur des critères non éducatifs, et donc la restriction de la ressource intellectuelle du pays.
Le troisième concerne plus directement le statut des « intervenants » qui pourront être cooptés par le conseil d’administration de chaque université, sur des critères mal définis, et soumis, pour leurs émoluments aux libéralités du président.
Certes, il était nécessaire de réformer nos universités. Certes, nombre de nos étudiants ne terminent pas leur cursus. Certes, les diplômes délivrés ne sont pas toujours en phase avec la demande économique... mais ceux qui avaient su, jusqu’ici, terminer leur cycle d’études, disposaient de savoirs transférables qu’il aurait suffi de prendre en compte et de valoriser dans le monde du travail pour que nous restions un pays riche... Comme la France n’a pas d’autre matière première que son « intelligence », il n’est pas de raison de la brader au profit de n’importe quel lobby ! C’est seulement en développant nos esprits que nous serons capables de conserver un rang dans le monde... et non l’inverse comme on essaie de nous en persuader !
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