Louis Rossel, un officier de la Commune
En ces jours anniversaires de la
Commune de Paris, voici le récit d’un personnage atypique de la Commune, un
personnage essentiel qui malheureusement n’a jamais eu sa place dans les
manuels d’histoire.
Le fait pour un brillant officier
de l’armée régulière de rallier la Commune et ses insurgés est le genre d’acte
que le pouvoir ne souhaitait pas relayer jusqu’à une époque récente.
C’est dommage pourtant, car son exemple est essentiel :
Louis-Nathaniel Rossel avait décidé de suivre sa conscience plutôt que d’obéir
à certains hommes. Aujourd’hui, c’est toujours un exemple à suivre :
rester honnête avec soi-même et sa conscience, ne pas se dévoyer pour l’intérêt
de certains contre l’intérêt général.
Ennemi des révolutions, les circonstances m’avaient jeté dans une
révolution ; haïssant la guerre civile, je m’étais engagé dans la guerre
civile ».
Cette phrase de Louis-Nathaniel
Rossel traduit bien le caractère a priori paradoxal du ralliement de ce jeune
officier protestant rigoureux à la Commune de Paris.
Pourtant, cela s’explique assez
aisément par son caractère profondément républicain, sa sensibilité pour les
classes dominées et pour la justice sociale.
Louis-Nathaniel, né en 1844, est
issu d’une grande famille de Saint-Jean du Gard et de Nîmes dont les membres
sont des propriétaires, facturiers de laines, négociants, magistrats ou maire
Ce sont des protestants cévenols,
et ce point est selon moi un élément tout à fait déterminant de sa
personnalité. En effet, ce protestantisme
emporte avec lui un ensemble de convictions et de principes.
Les Rossel font partie de ces
protestants qui ne furent rendus à la liberté religieuse et politique qu’à
l’époque de Louis XVI et qui avaient puisé dans une persécution séculaire la
force de braver toutes les rigueurs de la loi, aimant mieux disaient-ils, obéir
à leur conscience que d’obéir aux hommes.
Louis-Nathaniel Rossel fait de
brillantes études à Saint-Brieuc, Mâcon, Nîmes, au Prytanée Militaire de la
Flèche, à l’Ecole Polytechnique puis à l’école d’application de Metz d’où il
sort second avec le grade de lieutenant dans le corps de génie.
En 1867, il entre en
relation avec Jean Macé qui venait de créer la Ligue de l’Enseignement et
commence l’enseignement de cours de grammaire. C’est ici qu’il a ses premiers
véritables contacts avec des ouvriers. Il s’aperçoit que ceux-ci ne profitent
pas pleinement des cours car comme il le dit : « On leur a appris à lire (...) mais non pas la manière de s’en
servir ».
Travaillant dur et impressionnant
ses proches par son ingéniosité, le jeune officier ne tarde pas à se faire
remarquer. Pourtant Rossel ne semble guère attaché à l’armée de l’époque et il
n’hésite pas à la critiquer dans des articles de presse, mais toujours de façon
très constructive et argumentée.
En juillet 1870, lorsqu’il apprend
que la guerre vient d’être déclarée à la Prusse, Rossel accourt à Paris pour
obtenir du service actif, mais ses démarches restent infructueuses.
A la nouvelle des premiers
désastres, Rossel conçoit un plan de défense dont il adresse l’exposé au
journal le Temps. Son écrit est
extrêmement lucide et est rempli de prédictions.
Sur le plan stratégique, il faut
d’après lui appeler tout le pays aux armes, et organiser une immense levée en
petites bandes qui auraient agi séparément, les corps d’armées réguliers ne
devant faire que soutenir l’action toujours engagée par les partisans. On le
constate aisément, Rossel s’inspire pour cette démarche de la « guerre des
Camisards » dans les Cévennes, à laquelle certains membres de sa famille
ont participé.
Quelques jours après, il est
appelé à Metz avant que cette ville ne soit investie. Caractère entier et
résolu, profondément patriote, il ne peut voir sans une profonde exaspération
la façon dont le maréchal Bazaine conduit les opérations militaires.
Très vite il ne lui est plus
possible de douter que, soit par l’ineptie, soit par la trahison de son chef,
ce qu’il suppose franchement, l’armée de Metz, et au-delà la France, marche à
sa perte.
La trahison de Bazaine - et
d’ailleurs d’autres généraux également - dont je parle serait celle de
capituler dans le but de restaurer en France un ordre moral conservateur voire
une monarchie, et d’empêcher tout avènement d’une république plus moderne, la
meilleure forme de régime politique pour Rossel.
Au moment de la capitulation, il
parvient à s’échapper de la cellule où l’avait enfermé Bazaine et déguisé en
paysan, il parvient à traverser les lignes allemandes.
Il gagne la Belgique où le
premier, dans le journal l’Indépendance
belge, il proteste contre la conduite du maréchal à travers deux articles,
il fait un court voyage à Londres où se trouve sa mère, puis rentre en France
et se rend à Tours pour se mettre à la disposition du gouvernement de la
Défense.
Il est rapidement nommé Colonel
auxiliaire et directeur du génie au camp de Nevers. Avant de partir, Rossel
rencontre Léon Gambetta et lui remet un rapport sérieux proposant des
possibilités de reconduite du combat. Léon Gambetta est séduit mais n’a que peu
de poids et ne donne pas suite.
Rossel remplit encore toutes ses
fonctions, qu’il juge à juste titre quasi-inutiles, lorsqu’il reçoit la
nouvelle de l’insurrection qui vient d’éclater à Paris. Nous sommes le 18 mars
1871.
Dès le lendemain, il écrit au
ministre de la guerre : « j’ai
l’honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à disposition
des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées. Instruit par une
dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui, qu’il y a deux partis en
lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas
signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de
capitulation. »
Comme les 107 qui ont voté contre
les conditions de paix, c’est-à-dire la gauche, Rossel n’accepte ni la défaite,
ni le gouvernement réactionnaire. Il part donc dès le 19 mars à Paris.
A peine arrivé, il se met en
relation avec les membres du comité du 17ème arrondissement, est
présenté au comité central siégeant à l’Hôtel de Ville et reçoit immédiatement
le commandement de la légion du 17ème arrondissement.
L’opinion publique soutient
largement Rossel. Le masque sévère de cet officier de 27 ans, brisant sa
carrière militaire pour se jeter dans Paris révolutionnaire, son renom
d’intégrité, les souvenirs de sa conspiration contre Bazaine et son évasion de
Metz plaisaient.
Dans la nuit du 29 au 30 avril, à
la suite de l’évacuation du fort d’Issy qui est une conséquence d’une attaque
des troupes du général Faron, la Commune destitue le général Cluseret, qu’elle
regarde comme incapable et désigne pour le remplacer au Ministère de la guerre.
Rossel est chargé de l’initiative
et de la direction des opérations militaires pendant que le Comité central de
la garde nationale doit s’occuper des différents services de l’administration
de la guerre.
Rossel donne à la résistance
contre l’armée de Versailles une vraie impulsion et pour ne négliger aucune
énergie, fait appel aux femmes qui le remercient de son attitude.
Mais Rossel se trouve bientôt en
butte à l’hostilité de certains membres du Comité du Salut Public et notamment
de l’anarchiste Félix Pyat, à cause de la discipline que veut imposer le
nouveau délégué à la Guerre. Une discipline pourtant indispensable pour faire
face à une armée régulière très bien équipée et bien plus nombreuse.
Pyat l’accuse pourtant d’aspirer à
la dictature, alors qu’au contraire Rossel s’y refuse largement bien que
certains l’y poussent. Rossel demande donc
lui-même sa destitution.
Après la prise du Moulin Saquet et
celle du fort d’Issy par l’armée de Versailles le 8 mai, Rossel qui a donc
vainement essayé d’organiser 7 000 hommes - sur les 12 000 qu’il devait
avoir - pour débloquer le fort, se sent pris d’une colère violente et écrit
cette dépêche qu’il fait aussitôt afficher à 10 000 exemplaires dans Paris
: « le drapeau tricolore flotte sur
le fort d’Issy ».
Le journal officiel de la Commune
essaye de démentir cette nouvelle ; mais la population apprend bientôt que
Rossel a dit vrai.
Alors, des bruits de trahison
ayant été propagés contre lui par Pyat et Miot qui exigent en vain son
arrestation, il envoie sa démission à la Commune, dans une lettre où il expose
la situation et les entraves de tout genre qu’il rencontre dans
l’accomplissement de ses fonctions.
« Mon prédécesseur, dit-il en terminant, a eu le tort de se débattre au milieu de
cette situation absurde. Eclairé par son exemple, sachant que la force d’un
révolutionnaire ne consiste que dans la netteté de la situation, j’ai deux
lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action ou me retirer. Je
ne briserai pas l’obstacle car l’obstacle c’est vous et votre faiblesse ; je ne
veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire et j’ai l’honneur de
vous demander une cellule à Mazan. »
Le jour même, Rossel est arrêté
par ordre du Comité de Salut Public et gardé à la questure sous la garde très
« souple » et très amicale de Varlin puis Gérardin.
La quasi-totalité de la presse
prend sa défense. Il faut dire que Rossel défendait fortement la presse libre
et avait défendu leur liberté totale alors que la majorité de la Commune avait
fait interdire certains journaux.
Un accident l’empêchant de
marcher, il écrit pendant la « semaine sanglante » des notes lucides
sur la Commune et sur la société.
C’est en raison des écrits de
cette époque que j’ai présenté au départ Rossel comme ayant une sensibilité
pour les classes dominées, comme étant profondément social.
Il a ainsi pu écrire : « Qu’ont fait les classes gouvernantes
en faveur des pauvres ? Qu’ont-elles fait pour rendre les impôts moins
lourds à ceux qui gagnent le moins, pour faire la part à peu près égale à tout
le monde dans l’immense développement de la richesse publique ? Vous ne
comprenez pas qu’on fasse des révolutions ? Dites-vous. Lisez quelques
lignes qui résument les produits des divers revenus du pays et vous verrez
combien le législateur frappe le nécessaire des uns et épargne le superflu des
autres. Les Chambres françaises ont été profondément égoïstes. Elles ont
favorisé constamment leurs parents, leurs amis, leurs égaux ».
Au-delà, Rossel pensait qu’il fallait
étendre le droit de suffrage à tous (et
déjà il pensait aux femmes), quels que soient le sexe ou la classe, et recourir
au principe de l’élection dans la plupart des domaines.
Surtout, Rossel était persuadé que
les divisions sociales pouvaient être résorbées grâce à l’éducation. Il
assignait à l’école un rôle prépondérant pour l’harmonie sociale et, nourrie de
préceptes huguenots, il ne concevait l’instruction que comme générale,
gratuite, laïque, républicaine.
Le 7 juin, Rossel est arrêté par
M. Claude, Chef de la Sûreté.
Conduit à Versailles et traduit
devant le 3ème Conseil de guerre, il est condamné à mort le 8
septembre. Cette sentence étant annulée pour vice de forme, il comparait le 7
octobre devant un nouveau Conseil de guerre, qui le condamne à la même peine.
Pendant ce procès tout à fait
inéquitable, les témoignages de soutien et de sympathie ne manquent pas à
l’égard de ce jeune officier, dont tous reconnaissent la haute intelligence et
l’ardent patriotisme.
Des pétitions de Nîmes, Metz,
Montauban, d’étudiants parisiens, des dames de la légion d’honneur, les appels
du colonel Denfert-Rochereau - héros de la guerre -, de Victor Hugo, du Général
Vergnes et des officiers du camp de Nevers, de tous les notables protestants,
la demande du Conseil général de la Seine, la rencontre du père de
Louis-Nathaniel avec Adolphe Thiers ne suffisent pas à changer la sentence et à
obtenir sa grâce auprès de la commission des grâces.
Le matin de l’exécution, il
remet à son pasteur et ami, M. Passa, une lettre qui est son testament
politique : « Je vous charge si
jamais le parti que j’ai soutenu arrivait au pouvoir et s’il menaçait ses
adversaires de sa vengeance, de faire usage de cette lettre pour leur dire qu’à
ma dernière heure, je demande instamment à ceux qui ont l’honneur de défendre
la liberté, qu’ils ne vengent pas leurs victimes. Ce serait indigne de la
liberté et de nous qui sommes morts pour elle. Votre ami dévoué, Louis-Nathaniel
Rossel. »
Le 28 novembre 1871, à huit heures
du matin, Rossel, jeune officier de 27 ans, conduit sur le plateau de Satory
avec l’ancien délégué à la sûreté générale Ferré et un ancien sergent
Bourgeois, condamnés à la même peine, tombe sous les balles d’un peloton
d’exécution choisi parmi son régiment...
J’aurai la même conclusion
qu’Hélèna Pontier Martin qui travailla sur Rossel en 1937 : Ce matin là,
ce que les généraux tuèrent avec lui était précisément ce qu’ils croyaient
défendre. Rossel fut un des premiers à discuter sa mission. Sa conscience
l’avertit que cette mission n’était point dans une obéissance d’esclave et que
l’intérêt de la patrie passait au-dessus des intérêts privés...
Finalement, on peut aussi penser que Rossel incarnait à lui seul un ensemble de valeurs et de paradoxes du 19ème siècle : encore profondément rigoureux, marqué par un certain élitisme politique, il réclamait néanmoins la participation du peuple et de la classe ouvrière à la décision politique. Il souhaitait mettre en avant l’éducation universelle pour donner aux plus défavorisés les moyens de s’organiser. Il souhaitait un suffrage universel comprenant les femmes et représentant l’ensemble des catégories sociales. Rossel n’était ni véritablement un communard, ni un conservateur, il était raisonnable et réformiste. Ce jeune homme de 27 ans, peut-être encore trop jeune pour concilier ses propres contradictions, était simplement trop en avance sur temps.
Pour en savoir plus : voir l’article de Wikipedia (dont je suis le rédacteur) et le site "Louis Rossel, un officier chez les Communards"
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