Lukashenko en voit de toutes les couleurs
Le président biélorusse récemment mal élu accuse le mouvement populaire qui le conteste d’être une révolution de couleur, telle que fut la révolution orange en Ukraine. Il agite le souvenir des troubles de la place Maïdan pour obtenir l’aide du Kremlin et garder son pouvoir. La réalité est ailleurs.
Une révolution de couleur, qu’est-ce ? C’est avant tout un concept élaboré par le Kremlin pour décrire les révolutions nées dans les années 2000 qui ont renversé les gouvernements alliés à la Russie dans certaines anciennes républiques. Le pouvoir russe voulait comprendre et surtout contrer ce qu’il percevait comme la création d’un encerclement de ces frontières par des états à la solde des USA. Des ONG américaines ont publié un manuel pour encourager ces mouvements colorés et dont les principes étaient l’utilisation d’un symbole de ralliement universel, souvent une couleur, puis le retournement fraternel du système sécuritaire chargé de la répression dans le but de créer une transition sans bain de sang.
L’Ukraine est à la fois un parfait exemple et un excellent contre-exemple. Bien que la révolution aie réussie à Kiev, elle a entraîné une guerre civile et une crise économique. Les biélorusses, aux premières loges, ont été marqués par ce drame si proche et c’est bien pour éviter le même destin qu’ils ont endurés le régime dictatorial actuel. Loukashenko l’a bien compris : « Après-moi, Maïdan ».
Mais le Bélarus n’est pas l’Ukraine, ce pays divisé par la langue et la religion, tiraillé entre Russie et Europe de l’ouest, miné par les divisions comme si bien décrit par un rapport prophétique de la CIA 10 ans auparavant. Le Bélarus est au contraire plus homogène, les adversaires et partisans de Lukashenko n’ont pas de territoire ou d’accents propres. Ils vivent au sein des mêmes familles et le policier anti-émeute et la blogueuse de l’opposition dorment le soir dans le même lit.
Loukashenko est lui-même le carburant principal de cette révolte par son mépris des mesures face au coronavirus, son mépris des électeurs, son mépris des manifestants. Les électeurs avaient depuis longtemps abandonné toute illusion sur la sincérité des scrutins, certains émaillant leurs bulletins de mentions injurieuses ou carrément obscènes à l’attention des scrutateurs corrompus. Le résultat présidentiel de 80 % à été l’injure de trop. Non seulement leurs votes étaient méprisés, mais à présent ils étaient eux-même publiquement humiliés.
Les heurs ont commencé dès les premières fermetures des bureaux de vote. Au son des clameurs de la rue, ils ont fermé leurs portes et se sont terrés dans le noir. Leurs présidents partagés entre la peur de la voix au téléphone qui leur dictaient les chiffres et celles de leurs concitoyens qui scandaient de l’autre côté de la porte. Ils ont dû choisir avant de signer de leur nom et d’emprunter la porte de service. Beaucoup de ces feuilles de résultats ont été publiées et donnent le président sortant largement minoritaire.
Ces bureaux de vote, souvent des écoles où les électeurs amènent leurs enfants et dont les organisateurs recrutés parmi les professeurs enseignent la probité et l’excellence le reste de l’année. Ces prix d’excellence qui ont été épinglés aux portes de ces classes avec des mots à l’attention d’une professeur de mathématiques qui a si mal compté les bulletins et qui compte maintenant ses élèves subitement disparus.
Le président a, bien entendu, agité le spectre de l’ingérence étrangère s’embrouillant d’ailleurs sur son origine de Russie ou d’ailleurs pour ensuite lui-même appeler personnellement le Kremlin. Vladimir Poutine peut légitimement être accusé de bien des défauts sauf de celui d’être stupide. Il rassure son alter-ego en se jouant de mots au sujet de leur alliance militaire et se garde bien de bouger le petit doigt pour une affaire à l’évidence purement biélorusse.
La société biélorusse n’est pas divisée comme fut la société ukrainienne. Ces membres qu’ils soient mu par la révolte la peur ou la mauvaise conscience partagent la même inspiration à l’unité, à l’indépendance du pays et à l’état de droit. De nombreuses personnes sont encore emprisonnées et certaines d’entre elles ont carrément disparu.
A la vue des crimes de la répression, les soutiens du régime se font plus discrets et un retour en arrière semble illusoire. Loukashenko, lui, ne devrait pas tant craindre les couleurs autres que celle du sang.
36 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON