Ma colo de curé
Dès l’âge de dix ans, chaque année au 1er juillet, mes parents m’expédiaient aussi sec en colonie chez les curés.
Départ à l’aube, les yeux encore collés de fatigue, anxieux de n’avoir encore entraperçu un visage familier dans la cohue vibrante et tendue à l’approche du départ.
Pas le temps de se répandre en questions sur le pourquoi du comment que nous étions déjà grimpés dans le wagon, lestés de nos sacs à dos Lafuma, duvets roulés et tenus serré par deux lanières de cuir.

Tarn, Lozère, Ardèche, Cantal, tels étaient nos départements d’élection, des terres âpres et saines, idéalement taillées pour les jeux d’aventure.
Arrivés en gare de Langogne, un car nous attendait. Cette dernière partie du voyage était toujours une épreuve. Tenir tout le trajet sans dégobiller était mon unique obsession.
Le car affrété par le diocèse n’étaient pas de première jeunesse. La charrette broutait invariablement dans les cols et il me semblait bien que la boîte de vitesse avait une infinie patience pour encaisser sans broncher doubles débrayages et interminables montées de pignons.
Le chauffeur à l’accent chantant était toujours volubile, comme si, convoyer une volée de moineaux bruyants était sa cure de jouvence.
Mais voilà, les relents de gasoil mêlés aux effluves de saucisson à l’ail, banane, qui s’échappaient des sacs à dos venaient corser l’affaire, et invariablement, le premier col sinueux était fatal aux plus fragiles d’entre-nous.
A la descente du car, outre un air vivifiant, nous attendaient diverses joyeusetés, les impondérables habituels : inondation, literie manquante, cuisinière grippée, tuiles envolées,...
En 1965, la réfection de la toiture de notre bâtisse de Naussac n’avait pu s’achever dans les délais prévus pour cause de printemps capricieux.
Le mâle orgueil flatté par les monos faisait de nous une docile main d’oeuvre, le temps pour notre curé de choc de rameuter le couvreur, avec force menace d’excommunication.
Cette colo de curé, c’était une vraie colonie comme on n’en fait plus. Le père Jamot la dirigeait à l’image de sa troupe de petits chanteurs à l’harmonium, c’est à dire à la baguette souple et à l’aide de petites guimauves en chocolat.
L’équipe était composée de quatre monos, d’un économe, de deux ou trois cuisinières originaires du canton de destination et enfin, du frère du curé, un grand dadais en short nommé chef Roger qui faisait office d’infirmier et d’intendant.
Nous étions logés dans une grande bâtisse avec terrain et dépendances.
A l’étage, plusieurs dortoirs séparés offraient une literie plus que sommaire, mais le drap était frais qui sentait bon la lavande et le polochon dur au mal.
Le matin, nous étions réveillés au son de la trompette. Le temps d’enfiler un short et une chemise marqués d’une étiquette à notre nom, et nous descendions quatre à quatre l’escalier de bois, direction les sanitaires communs.
1 savon Cadum, six berlingots de shampoing DOP, 1 tube de dentifrice Colgate, 1 brosse à dent, 2 gants et deux serviettes de toilette constituaient le strict nécessaire d’hygiène pour le mois.
Nos activités de loisirs étaient aussi trépidantes que l’agenda des monos, ce qui n’était pas pour nous déplaire.
Jeux guerriers en forêt pour les grands, jeu du béret ou de thèque pour les minots, jeux de piste ou jeux idiots, sans oublier le traditionnel crapahutage de nuit avec sac à dos et opinel à main couronnée, 40kms de marche à pied de Naussac à Langogne pour les courageux noctambules volontaires.
Nous arrivions fourbus au petit matin à la gare de Langogne. Le car transportant les troupes fraîches faisait une brève halte pour nous récupérer et nous voilà repartis pour la visite d’un village haut perché, la balade de trop pour nos mollets raidis par l’effort de la nuit.
Mais ces randonnées de nuit, quels souvenirs impérissables ! les comptines beuglées pour nous donner du coeur à l‘ouvrage, les lucioles qui balisaient notre chemin, l’odeur enivrante des premiers foins coupés, le silence enveloppant le bout de la nuit....
Un kilomètre à pied, ça use, ça use....
Il y avait aussi ces courses, mi-randonnée/mi-jeu de piste qui s’étalaient sur deux ou trois jours. Une séance de crapahutage par monts et vallées austères qui s’achevait parfois dans la confusion la plus totale, sous la foudre et les éclairs impressionnants.
Les fermiers offraient volontiers leur grenier à foin pour la nuit, et quelques biscuits pour apaiser les estomacs affamés.
Que ces nuits étaient douces, bercées par le chant des grillons et cet air embaumé qui nous suivait partout. Au réveil, une louche plongée dans un pot de lait tiède suffisait à nous remettre en selle.
Nous allions parfois en forêt ramasser les premières myrtilles que la cuisinière s’empressait de convertir en délicieuses pâtisseries qui nous noircissaient les babines.
L’immuable bénédicité précédait le repas de midi au réfectoire, un repas simple et frugal, et toujours accompagné d’un gros morceau de fromage de pays, Cantal ou Tomme au choix.
Les soirées étaient ponctuées par les inévitables veillées autour du feu de camp et les répétitions pour la grande kermesse propice au métissage pastoral.
Le mois s’achevait en pente douce. Un dernier grand jeu opposait les équipes Lorraine, Alsace, Poitou, Anjou. A nous, fiers lorrains de dénicher ici une touffe de queue de cheval, là un éperon argenté, une vieille faucille édentée, avant de monter en vainqueur le taureau d’élevage ramené fièrement à la colo avec moult précautions.
Nous rentrions amincis, mais en vie, contents et tristes de partir à la fois.
Je n’ai plus jamais revu Naussac, englouti quinze années plus tard sous les eaux d’un barrage controversé.
Il m’arrive de penser à la petite église où nous chantions le dimanche, droits et fiers dans notre uniforme, calots bleu ciel vissés de guingois, comme des mecs à la coule.
Aujourd’hui, cette colo là n’est plus mais la nostalgie est là.
Avec la règlementation d’aujourd’hui, ma colo de curé serait sûrement déclarée hors la loi.
- les noms des protagonistes ont été changés
- merci à Gül pour avoir remué ces souvenirs d’enfance
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