Macron : un homme d’affaires dans un palais de la République ?
Macron : un homme d’affaires dans un palais de la République ?
Alors que les Français s’apprêtent à mettre en place un président de la République, il serait intéressant de savoir ce que les commentateurs du texte de la constitution de 1958 écrivent sur la fonction présidentielle (*) .
Ce qu’on lit aujourd’hui, notamment dans les manuels de droit constitutionnel, ressemble beaucoup à ce qu’on y trouvait dans les éditions des années 1958-60.
Sans que les auteurs d’aujourd’hui traitent des effets du contenu des traités signés par F. Mitterrand et ses successeurs sur l’exercice de la fonction présidentielle. Alors même que les dispositions du titre XV inséré en 1992 dans le texte constitutionnel, auraient pu (ou dû) inciter à aller lire ces textes ( Maastricht et textes déclinés, Marrakech, traités commerciaux depuis 1992) . Auquel cas on se serait aperçu que le chef de l’Etat avait en réalité changé de rôle même si cela n'avait pas été formulé dans le texte de la constitution
Expliquons.
Les traités dont il s’agit organisent sur le continent européen - et au delà en réalité - un système dans lequel tout ce qui concerne l’économie et la finance doit se faire sans les entraves des législations nationales et sans frontières. Système dans lequel toutes les activités « vendables » doivent obéir à ces règles, et échapper par ailleurs à la propriété des personnes publiques.
Dans ce contexte, le rôle du chef d’Etat est d’être (qu’il en ait envie ou qu’il y prête la main pour jouir du prestige de la fonction) dans l’usage même de ses prérogatives, un homme d’affaires. Avec l’obligation de raisonner comme tel. Et, comme il est à la tête de l’Etat, le président de la République est devenu de facto une sorte d’homme d’affaires en chef.
Qui d’un côté, veille à faire voter les lois pour laisser les affaires … se faire, quand les textes extérieurs ne s’imposent pas par eux mêmes sur le territoire.
Qui d’un autre côté, doit prendre en main la population. Concrètement, la partie de la population qui souffre des effets secondaires des « réformes » induites par l’idéologie « conventionnelle » ( = des traités). Pour ce faire, les experts en psychologie sociale sont là pour conseiller les dirigeants sur les techniques à mettre en œuvre. Pour éviter au président-homme d’affaires d’avoir à d’employer la police ou la gendarmerie comme vaccin contre la contestation.
Certains disent d’Emmanuel Macron qu’il se comporte en homme d’affaires.
Et le lui reprochent . En ayant alors tort, au regard du contexte qui vient d’être rappelé.
Car Emmanuel Macron joue exactement et avec un apparent succès semble-t-il, le nouveau rôle qu’il incombe au président de la République de tenir (1) . A ce sujet, avant de devenir président de la République, il a montré, si l’on en croit ses biographes et ses collègues banquiers, des talents d’homme d’affaires dans le poste qu’il avait dans une banque. Activité d’homme d’affaires qui consiste comme chacun sait, à favoriser les opérations de vente et d’acquisition, sans qu’une préoccupation d’un autre ordre ne vienne parasiter la réalisation de l’affaire (2) .
C’est probablement parce que E. Macron a montré de réels talents lors de son pantouflage chez le banquier, qu’il a été recommandé à F. Hollande pour rétro pantoufler chez le président de la République en exercice. Chez lequel il a fait merveille dans la réalisation de fusions acquisitions. Et, c’est à l’évidence parce qu’il paraissait fiable pour jouer, comme les divers traités le lui demandaient, le rôle de facilitateur des affaires, qu’il a été aidé (contributeurs, divers réseaux, et propriétaires des médias) à devenir président de la République.
Il est amusant de constater que la plupart de ceux qui adressent le genre de reproches mentionnés ci-dessus à E. Macron, se gardent bien d’établir un lien entre leur critique (de l’homme, de ses décisions, de ses méthodes), et le texte des traités et des décisions extérieures « supérieurs » aux textes français, y compris à la constitution . Et qu’ils évacuent la conception sociétale qui se dégage mécaniquement des traités en question. Quant aux « responsables » politiques qui proposent de modifier la constitution en visant E. Macron, ils ont en vérité en tête ( v. leur discours), les vieilles préoccupations visant, comme au bon vieux temps (de la III° et de la IV°), à permettre aux parlementaires et aux chefs des partis de mieux manœuvrer. Préoccupations qui n’ont rien à voir avec le « président - homme d’affaires - de - par - les traités ».
Parce que le cas échéant, il leur faudrait dire que la coopération entre les Etats contigus du continent européen, et entre ces Etats et les autres Etats du monde, pourrait se faire ( coopération qui est de toutes façon inévitable dans à peu près tous les domaines) sur d’autres bases. Spécialement sur d’autres bases idéologiques. Ne serait-ce qu’en demeurant dans le concept de la vieille formule de Lincoln : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ou dans les formules que les constitutions françaises depuis la Révolution réservent à la détention et à l’expression de la « souveraineté ». Qui exigent en réalité que tout individu conserve (ou aujourd’hui : « retrouve » ) la possibilité de participer au choix des règles qui pourront lui être imposées et à la possibilité d’en changer.
Probablement parce que « sortir de l’Europe » est la seule expression que l’on connaisse et que l’on pratique. Mais qui est une expression qui effraie et qui fait traiter de noms d’oiseaux ceux qui l’utilisent. (Les virtuoses de la psychologie sociale ont bien travaillé).
Pourtant, vivre en Europe, c’est à dire là ou l’on est, mais selon d’autres règles et avec des hommes politiques (au premier rang desquels le président de la République) n’ayant pas à jouer le rôle d’hommes d’affaires, recouvre une éventualité qui n’est ni irréaliste, ni crapuleuse, ni irréalisable ( dans un monde qui serait en définitive tout aussi ouvert, mais qui serait simplement débarrassé des théories et de l’idéologie actuellement imposées).
Si l’on ajoute à ce qui vient d’être dit 1/ les discours électoraux et 2/ les sondages sur les intentions de vote, le prochain chef de l’Etat sera … ce qu’il « doit » être : un homme d’affaires.
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
(*) Sur cette question dans le contexte du texte de 1958, v. notre : « Textes et documents constitutionnels depuis 1958 ; analyses et commentaires » . Dalloz-Armand Colin.
(1) Quand François Hollande a proclamé – pour attirer des voix – que « son ennemi, c’était la banque » , il ne connaissait pas, ou faisait semblant de connaître ni le contenu des traités, ni le texte du titre XV de la constitution. En tous cas, son action montre qu’il a tenu comme il fallait le nouveau rôle dévolu au président de la République.
2) Comme dans la vente Alstom – General Electric a été mis de côté le fait ( étranger à la logique pure des affaires) que la réalisation de cette affaire faisait tomber la France sous la dépendance des Etats-Unis pour son industrie nucléaire ou pour sa politique de défense et, par voie de conséquence pour sa politique étrangère.
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