Manifeste pour une santé publique militante
La prise en compte des données de la santé publique constitue une des particularités de l’évolution sociale de ces dernières décennies. Ainsi, les préoccupations face aux causes de décès et à leurs déterminants potentiellement évitables sont devenues au fil des ans des thèmes abordés de plus en plus directement par le discours politique et l’action publique.
Par ailleurs, la détermination de déterminants dans l’apparition de pathologies s’est progressivement muée en une tentative de mise en évidence de causes responsables de ces pathologies, avec le double objectif d’éviter les décès qui pouvaient leur être imputés et de diminuer le coût social de leur prise en charge par la collectivité. Sont ainsi apparus des indicateurs divers traduisant cette évolution : dans l’évaluation de l’efficacité des médicaments, des indicateurs du type « nombre de vie sauvées » ; dans le suivi épidémiologique de l’état de santé de la population, des indicateurs du type « nombre de journées d’hospitalisation » ou « nombre de décès liés à tel facteur de risque » (et non plus « liés à telle pathologie »).
Enfin, avec l’apparition d’un « principe de précaution », puis sa promulgation à hauteur d’une valeur constitutionnelle, les notions de fatalité, de risque, ont progressivement déserté le discours officiel en matière de santé. Les anciennes politiques de prévention routière devenaient ainsi, par exemple, des politiques de lutte contre la violence routière. Simultanément, le risque, devenant l’ennemi sur le terrain de la santé, devenait paradoxalement une vertu en matière économique, avec un discours vantant chez les entrepreneurs l’initiative, l’indépendance, et le « goût du risque ».
Produit direct de cette évolution, la politique de santé publique s’est de plus en plus attachée à la lutte contre le risque dans un certain nombre de pathologies identifiées ou présentées comme exemplaires. Parmi ces grandes causes, parfois portées au rang de grande cause nationale, on a ainsi pu assister à une mobilisation contre les accidents de la circulation, le tabagisme, les noyades en piscine privée non surveillées, plus récemment contre l’obésité, les accidents domestiques, les comportements addictifs, la consommation d’alcool.
Dans tous les cas, la démarche suit des axes de développement comparables et s’appuie sur un argumentaire similaire. Les différents piliers de cet argumentaire, bien que communs, ne sont pas nécessairement soulignés ni étayés dans chaque cas avec la même force. Ils demeurent néanmoins présents, chacun plus ou moins développé selon les circonstances, dans les campagnes orchestrées sur ces thèmes.
Le premier de ces piliers porte naturellement sur les conséquences de la pathologie en cause sur la santé de l’individu concerné, avec à la clé son expression à l’échelle collective en termes de mortalité : la route tue tant de chauffards par an ; le tabac tue tant de fumeurs par an ...
Le second pilier est constitué par les conséquences de la pathologie sur les individus qui n’en sont pas directement responsables : les chauffards tuent tant de victimes innocentes par an ; le tabagisme passif abat tant de non fumeurs par an...
Le troisième pilier est celui des conséquences sociales de la pathologie examinée : le tabac, la route, la grippe, coûtent tant de journées d’hospitalisation et tant de journées d’arrêt de travail par an (c’est-à-dire tant de journées de prestations sociales).
Le quatrième pilier consiste en la définition des facteurs modifiables parmi les causes de la pathologie concernée : le tabagisme ou la consommation d’alcool en tant que comportements individuels ; la non-vaccination de certains en tant que facteur de propagation de la grippe...
Le cinquième pilier tient dans la désignation des responsables des conditions d’apparition de la pathologie en cause : les fumeurs, les consommateurs d’alcool, les personnes non vaccinées contre la grippe, les propriétaires de piscines privées non surveillées...
Le sixième pilier enfin concerne la mise en place de mesures d’incitation douce, puis forte, puis d’obligation, visant à faire cesser les comportements responsables de la survenue de la pathologie en question : hausse du prix du tabac, puis création de zones protégées des émanations de tabac, puis limitation de sa consommation à des zones restreintes, puis interdiction de sa consommation dans les lieux publics fermés ; renforcement des limitations de vitesse, puis des peines encourues en cas d’infraction, puis pénalisation des infractions les plus marquées...
Le cheminement suit ainsi un parcours bien tracé dans un ordre quasi immuable : information, inquiétude, culpabilisation, réprobation, exclusion, sanction.
Si la logique d’une telle progression ne fait aucun doute, il doit être néanmoins permis de souligner certaines de ses insuffisances dont la prise de conscience, même s’il fait peu de doute que le temps lui permettra d’intervenir, gagnerait en rapidité si elle était un tant soit peu théorisée. C’est évidemment l’objectif de la présente réflexion. En effet, la lenteur de cette démarche témoigne de son caractère d’improvisation, même si sa décantation, avec le temps, a permis d’en mieux cerner les contours et les lignes de force. Le gain de temps obtenu par le fait de comprendre sa logique autorisera à en tirer le plus rapidement les conséquences les plus précises, à en discerner les prolongements les plus prometteurs, à en anticiper l’éventuelle éclosion, et ainsi à sauver un nombre incalculable de vies.
Dans cet esprit, une première remarque consisterait à noter qu’aucune assurance n’accepte de couvrir les conséquences d’une dégradation volontaire des biens assurés. A-t-on vu une assurance habitation couvrir les dégâts d’un incendie volontaire ? A-t-on vu une assurance vie indemniser des bénéficiaires après un suicide ? Ne serait-il dès lors pas légitime que les dégâts occasionnés à sa propre santé du fait d’un comportement imprudent ou négligent soient exclus des risques couverts par une assurance sociale ? La large disponibilité du vaccin antigrippal ne doit-elle pas faire s’interroger sur la justification de la prise en charge des frais de santé occasionnés par une grippe chez un individu dont la négligence, voire l’entêtement, lui a fait refuser le vaccin ? Si, dans le plus strict respect de la liberté individuelle, reconnaissant à chacun le droit de soumettre sa santé ou sa vie aux risques les plus extrêmes, on peut comprendre des choix personnels variés, il est tout à fait discutable que de tels comportements aient à faire subir le poids de leurs conséquences à la solidarité publique. Poussant encore les choses, il est permis de s’interroger sur la réelle légitimité de la prise en charge des soins occasionnés par une tentative de suicide, exemple extrême de l’attentat volontaire choisi par un individu contre sa propre santé.
Bien plus. Imagine-t-on une assurance qui, contrainte d’indemniser la victime innocente d’un accident dont le responsable est identifié, ne se retournerait pas contre ce responsable pour s’en faire rembourser le coût des indemnités versées à la victime ? L’assurance-maladie ne serait-elle dès lors pas en droit de réclamer aux fumeurs de son entourage le remboursement des frais de santé pris en charge pour la victime d’un tabagisme passif ? La prise de risque choisie par une femme de quarante ans s’engageant dans une grossesse doit-elle être financée par la collectivité quant aux soins qui devront être prodigués sa vie durant à l’enfant trisomique qui viendrait à naître ?
La seconde remarque de cette réflexion pourrait porter sur la liste des pathologies dont les causes sont identifiées et relèvent en grande partie de choix de comportements individuels, choix dont les conséquences en termes de santé publique ne sont pas négligeables. Qu’il soit donc, là aussi, permis de s’interroger sur une responsabilité personnelle, donc ne justifiant pas une quelconque solidarité de la collectivité, devant la survenue, pêle-mêle :
- d’un cancer du col de l’utérus chez une femme ayant multiplié les partenaires sexuels
- d’un cancer du sein chez une femme dont l’imprévoyance lui a fait repousser tardivement sa première grossesse voire même y renoncer sans raison légitime
- d’une rubéole congénitale chez l’enfant d’une femme qui n’a pas eu la prévoyance de s’en prémunir par une simple vaccination
- d’un cancer du colon chez un individu qui a négligé de manger plusieurs sortes de légumes ou de fruits chaque jour
- d’une grippe chez un non-vacciné (sauf allergie prouvée)
- d’un coma hyperosmolaire chez un diabétique après un écart de régime
- d’une entorse de cheville chez un pratiquant du football
- d’une fracture du col du fémur chez une femme ménopausée sans traitement substitutif
- d’une maladie cardio-vasculaire chez une personne ne pouvant attester d’une alimentation à base d’huile d’olive et d’une consommation de mayonnaise sans abus
- d’une noyade chez un individu adulte ayant négligé d’apprendre à nager
- ...
A toute fin utile, et dans le but d’optimiser la détection des prises de risque inconsidérées afin à la fois de renforcer le pilier culpabilisation décrit plus haut et d’éviter une charge financière indue à la collectivité en repérant les comportements déviants, on pourra utilement relire l’argumentaire d’un rapport sur les causes de décès du Haut Comité à la santé publique qui, dans son chapitre consacré à l’alcool au volant, signalait qu’en 1995, 30% des responsables d’accident avaient une alcoolémie supérieure au taux légal. Qu’il suffise ainsi d’observer que, comme c’est la tendance, la simple diminution de ce taux légal aurait comme effet mécanique d’augmenter la proportion de conducteurs sous l’emprise de l’alcool. A l’extrême, le fait de ramener ce taux à zéro permettrait de porter à 100% la proportion détectée de conducteurs ivres, laissant dès lors chacun face à ses responsabilités morales mais également financières de chauffard et de délinquant. En cela, l’argumentaire du HCSP n’est pas sans rappeler ce qui avait pu, de prime abord, passer pour une boutade dans un message publicitaire prémonitoire de la Française des jeux : « Loto : 100% des gagnants ont tenté leur chance ».
A une époque où d’une part, les mentalités sont de plus en plus ouvertes à la promotion des valeurs d’autonomie et de responsabilité individuelle, et d’autre part, les ressources disponibles à l’affectation sur le domaine de la santé sont de plus en plus comptées, les esprits semblent désormais prêts à entendre le discours d’une Santé publique militante et citoyenne. C’est dans la définition claire et transparente des priorités de santé publique selon le rang des causes de décès, puis dans la juste affectation des ressources disponibles à ces priorités selon qu’elles concernent des pathologies évitables ou non, qu’elle montrera sa place éminente au sein d’une société qui se sera donné comme plus noble objectif de faire reculer la mort pour un coût raisonnable.
En ces temps de campagne électorale, nous proposons donc d’alerter les différentes formations politiques et leurs candidats sur le plus prioritaire de ces fléaux de santé publique grevant tant l’espérance de vie que le budget de la nation, que sont les maladies cardio-vasculaires. A titre de mesure immédiate et symbolique, dès la prise de fonction du prochain président de la République, et compte tenu de haute teneur en cholestérol et de son potentiel pathogène majeur, nous réclamons la mise en place d’un plan de lutte vigoureux et volontaire contre la mayonnaise et ses dérivés : interdiction totale et immédiate de toute publicité, interdiction de sa délivrance dans les officines de restauration collective accueillant des mineurs, taxation de 300% sur le prix au détail, introduction d’une clause d’exclusion dans les contrats d’assurance-vie concernant les consommateurs réguliers, ouverture à titre dérogatoire des avis de la Cnil d’un fichier d’identification croisé inter-administrations avec connexion automatique à toute base de donnée privée existante pour l’identification des usagers réguliers, ouverture d’un registre national des lieux de vente autorisés à en assurer la vente au public sous contrôle d’une haute autorité indépendante, extension des missions des Brigades de lutte contre le trafic de stupéfiants aux produits illicites définis par cette haute autorité, en vue d’une interdiction totale et absolue de production, de vente, et de consommation à échéance de trois ans sur l’ensemble du territoire national et à échéance de cinq ans sur l’ensemble du territoire européen.
De l’engagement des forces politiques dans cette bataille salutaire dépendra le jugement que les électeurs, mais également l’histoire, porteront sur l’action de ceux qui aspirent à devenir nos responsables et qui, faute d’y souscrire, porteront devant la nation et l’humanité la lourde responsabilité de n’être pas intervenus lorsqu’il en était encore temps. La Santé publique militante se tient à l’avant-garde de ce combat. Il revient à chacun d’entre nous d’en porter la conviction à tous les niveaux de la société.
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