Marine Le Pen élue Président de la République en mai 2017
POLITIQUE FICTION : Le directeur de L’IFRES (Institut de sondage) analyse les raisons de la victoire de Marine Le Pen contre Jean-Luc Mélenchon en 2017 – après un deuxième et dernier mandat manqué de Nicolas Sarkozy.
L’Europe occidentale connaît donc un deuxième séisme politique. Quelques mois après l’accession au poste de Premier Ministre de Geert Wilders aux Pays Bas, c’est au tour d’un autre pays fondateur de l’Union Européenne – mais quatre fois plus peuplé – de voir arriver à sa tête un dirigeant de la Droite populiste. L’IFRES a réalisé un sondage "sortie des urnes", duquel on peut déduire les principales raisons qui ont conduit, d’une part, à l’effondrement des droites et gauches dites de gouvernement, et, d’autre part, à l’élection de la fille de Jean-Marie Le Pen - disparu en 2015.
Les quatre protections réclamées par les électeurs
Notre enquête fait clairement ressortir une quadruple attente de la part des électeurs français :
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Sur les délocalisations.
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Sur la mondialisation financière.
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Sur la sécurité.
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Sur la crainte d’une dérive communautariste.
Protection contre les délocalisations (choix important dans leur vote pour 68% des sondés)
En premier lieu, les électeurs souhaitent être protégés contre les délocalisations, conséquences de la mondialisation, processus qui leur semble profiter uniquement aux élites financières et économiques françaises et internationales, ainsi qu’aux pays émergents et à leurs populations. Bien sûr, ils reconnaissent à 55% que cette mondialisation leur est bénéfique en tant que consommateurs de produits manufacturés à bas coûts, mais ils estiment en somme que les inconvénients l’emportent largement sur les bénéfices. Face à ce qu’ils considèrent désormais comme une « économie de marché de dupes », ils sont devenus au fil du temps très perméables aux thèses protectionnistes, et très hostiles au discours libre-échangiste dominant incarné par le PS et l’UMP.
Cette attente fut majeure, puisque c’est sur ce thème central que les deux qualifiés au second tour (Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen) ont pu faire la différence, en imposant un débat sur lequel les candidats PS (Ségolène Royal pour sa deuxième tentative après l’échec de François Hollande en 2012) et Jean-François Coppé (UMP) ont d’emblée été mis en difficulté.
Sur ce thème en effet, les promesses protectionnistes des deux candidats du second tour répondaient aux attentes d’une population épuisée par soixante années de libre-échange.
Protection contre le capitalisme financier (pour 57% des sondés)
Un deuxième bouclier, étroitement lié au premier, apparaît indispensable aux électeurs français : Celui qui permettrait de mieux résister aux pressions des marchés financiers, dont les exigences sur la Zone Euro en général et sur la réduction des déficits français en particulier, a conduit Nicolas Sarkozy a reculer une deuxième fois l’âge légal de la retraite (porté à 67 ans), tout en réduisant drastiquement la couverture sociale des français. Même si l’UMP s’est démenée pour expliquer – avec une certaine logique – que lorsqu’on n’aime pas les marchés financiers, il semble paradoxal de leur demander de boucler les fins de mois de l’Etat Français depuis bientôt quarante ans. Mais ce discours intellectuellement cohérent, reste suspect de technocratie aux yeux d’une majorité d’électeurs, peu enclins à discuter des causes obscures d’une interminable crise, mais sensibilisées à ses conséquences quotidiennes.
Etre protégé des capitaux américains comme des produits chinois, voilà à quoi l’on peut résumer les exigences des français. L’UMP et le PS, perçus tous deux comme défenseurs d’une Europe ouverte aux capitaux et aux marchandises, n’ont rien pu opposer à cette déferlante protectionniste.
Protection contre l’insécurité (pour 67% des sondés)
La troisième protection à laquelle les français aspirent, c’est la sécurité des biens et des personnes. Le bilan de dix années de sarkozysme a été ravageur pour l’UMP, alors que la thématique sécuritaire a constitué le fonds de commerce du Président sortant en 2007 et en 2012. Le coup de poker qu’a tenté Jean-François Coppé dans la dernière partie de la campagne, n’a fait qu’accentuer le désarroi de l’électorat de la droite classique, désemparé par la hausse impressionnante des crimes et délits, ainsi bien sûr que par les violentes émeutes de 2015, dix ans après celles de 2005, démontrant que rien n’avait changé dans les banlieues de l’Hexagone. Celles-ci demeurent toujours minées par le trafic de drogue et leur mise en coupe réglée par des mafias de plus en plus lourdement armées. Monsieur Coppé a surpris tout le monde en annonçant « Une politique ne se juge pas sur ses intentions, mais sur ses résultats. La guerre à la drogue menée depuis 50 ans sur un modèle prohibitionniste a échoué : Il y a toujours plus de drogue en circulation, toujours plus de drogués et des réseaux criminels chaque jour plus puissants qui ont fait main basse, chez nous sur des quartiers, ailleurs sur des pays entiers. La guerre a la drogue est perdue depuis longtemps, mais nous n’osons pas le dire. » Sur la base de ce constat lucide, Coppé a proposé la légalisation totale de l’ensemble des drogues (cause probable, on s’en souvient, d’une tentative d’assassinat, vraisemblablement financée par l’argent de la drogue). Ce coup de poker –dont il faut toutefois souligner le courage – a été unanimement rejeté par son camp et a suscité l’incompréhension de ses plus fidèles soutiens. Ceci a sans conteste permis à la candidate du Front Nationale d’apparaître comme le seul véritable rempart contre l’insécurité. Ni le PS, et encore moins le Front de Gauche, n’ont semblé crédibles aux Français sur ce sujet. Et ce qui apparaît désormais comme une erreur tactique grave du candidat de l’UMP a laissé un boulevard à la candidate populiste qui a su saisir l’aubaine, lui permettant de ne pas faire dans la surenchère et ainsi de rassurer les électeurs les plus modérés, décontenancés par le contre-pied du candidat UMP.
Protection contre le multiculturalisme (pour 50% des sondés)
La quatrième protection, la plus polémique, est bien sûr liée à la défense de la laïcité, paravent consensuel derrière lequel se cachent – suivant la sensibilité politique des sondés – la défense des valeurs républicaines, celle de l’Identité Nationale, la lutte contre l’immigration légale ou clandestine ou la xénophobie. Un chiffre permet cependant de mieux comprendre la réalité de l’électorat : Si en 2011, 68% des français considéraient qu’il existait un antagonisme entre Islam et Intégration (1), ce chiffre s’établit six ans plus tard à 79%. Or, ce constat sans appel gène indubitablement les élites du PS ou de l’UMP, incapables de sortir d’un discours apaisant perçu comme une négation totale de la réalité par une majorité des sondés (56%). La multiplication, malgré son interdiction en 2011, du voile intégral – et l’impuissance admise des pouvoirs publics à verbaliser les contrevenantes dans des environnements parfois très hostiles aux forces de police, illustre l’incapacité de l’UMP à endiguer une islamisation perçue comme menaçante. Par ailleurs, le ralliement d’un certain nombre d’organisations (féministes, enseignantes etc…) traditionnellement marquées à gauche, mais dénonçant spectaculairement des dérives religieuses intégristes, a pesé dans la perception d’une question de société qui n’est plus réellement connotée à Droite, mais qui semble faire l’objet d’un consensus qui transcende les clivages. C’est d’ailleurs Jean Luc Mélenchon qui a créé la surprise, en affichant sur ces sujets une détermination nettement plus forte que celle de la candidate socialiste, sans bien sûr pouvoir rivaliser sur ce terrain avec Marine Le Pen.
Le duel télévisé du second tour – auquel Jean-Luc Mélenchon a d’abord refusé de participer – fut l’illustration du malaise de la Gauche sur ces questions. Les sondés indiquent avoir été marqué par la démonstration de Marine Le Pen sur l’immigration « qui ne sauvera pas nos retraites ni nos comptes publics, bien au contraire, mais qui tirent les salaires et les conditions de travail vers le bas, pour le plus grand bonheur des Patrons. Monsieur Mélenchon, si vous défendiez vraiment les classes populaires de ce pays, à commencer par les travailleurs immigrés intégrés, vous devriez vous opposer à l’immigration, légale ou clandestine. » Elle fit preuve également d’habileté en rappelant qu’une personnalité comme Ariane Mnouchkine avait accueilli dans son théâtre de la Cartoucherie des Sans Papiers de l’Eglise St Bernard en leur disant : « C’est vous et pas un de plus. Et vous ne troublerez pas le spectacle, j’ai votre parole ? » (2) Marine Le Pen avait fait remarquer lors de ce duel télévisé, que tous les Français savaient comme Mme Mnouchkine que la générosité avait ses limites, et qu’on ne pouvait pas tolérer que les bénéficiaires de celle-ci « troublent le spectacle ». Les sondés semblent également l’avoir suivi quand, toujours lors de ce débat, elle a nié que la France soit devenue raciste en la portant au pouvoir « Où et quand dans l’Histoire de l’Humanité des millions de gens ont ils été aussi pacifiquement accueillis, soignés et éduqués qu’en Europe au cours de ces 50 dernières années ? ». Enfin, en faisant le lien entre la fin du libre-échange des marchandises et des capitaux avec la fin de l’immigration, elle a visiblement convaincu sur la cohérence de l’ensemble, alors que le candidat du Front de Gauche a eu du mal à justifier des frontières fermées aux capitaux d'un côté mais ouvertes aux migrants de l'autre.
Le grand chelem de Marine Le Pen sur ces quatre protections
Les français aspiraient donc à une quadruple protection. Quelle crédibilité avait à leurs yeux chacune des quatre grandes forces politiques en présence, le Front de Gauche, l’Alliance Verts-PS, l’UMP et le Front National ?
Contre les délocalisations, et le capitalisme financier : Seuls le Front de Gauche et le FN ont semblé cohérents pour 43% des électeurs sondés.
Contre l’insécurité et le multiculturalisme : Marine Le Pen a fait un quasi cavalier seul (62%, loin devant ses rivaux).
Sur ces quatre thèmes principaux, la disqualification de la droite et de la gauche dites de gouvernement constitue certes une explication rationnelle, mais surtout un problème politique majeur pour les formations concernées.
Il reste maintenant à déterminer si ce séisme sera confirmé lors des prochaines élections législatives. Que le FN dispose ou non de la majorité au Parlement, la France s'aventure économiquement et politiquement en Terra Ingognita.
(1) Sondage : ici
(2) Article paru dans Libération ici
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