Mélenchon ne doit pas être notre Tsipras
A une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, l’hypothèse d’un second tour avec Jean-Luc Mélenchon devient de plus en plus crédible et, suivant à qui il sera opposé, une victoire du leader des insoumis le 7 mai n’est plus saugrenue. Ainsi en quelques mois, la mobilisation de cette « France insoumise » permettrait, d’un coup, de dégager l’horizon à la fois de cette droite rance, suffisante, cupide et corrompue et de tous ces libéraux de droite comme de gauche, en fin de vie, qui comptaient bien prolonger la fête dans un big after avec un jeune premier dégoté dans les salons feutrés d’un de leurs amis financiers. Victoire qui redonnerait enfin espoir à tout ce peuple des déclassés et des laissés pour compte, à ce peuple des petites gens, des ouvriers et employés, des paysans , des petits artisans et commerçants, de tous ceux qui se sont repliés dans cette France périphérique et que la gauche de gouvernement dite progressiste n’a cessé d’ignorer et qui n’avait jusqu’à présent comme seule offre politique, pour tenter de se faire entendre, que le Front National.
Mais que faire de cette victoire ? Il restera, avant les élections législatives, à construire à la hâte une liste de candidatures labellisées « France insoumise » avec les morceaux éparpillés d’une gauche éclatée après ce quinquennat de trahison et de perdition. le P.C.F. , une partie du P.S., certains écologistes et d’autres comme l’ensemble des listes dites « alternatives » ou locales pourraient constituer, avec les militants qui depuis deux ans ont porté la candidature Mélenchon, les composantes de cette majorité.
Quand bien même une majorité se dégagerait en juin pour former un gouvernement en phase avec le programme des insoumis, cela ne suffira pas. Il faudra établir un calendrier des réformes, et indiquer quand et comment on convoquera un référendum pour engager le processus constituant. Il restera surtout à organiser la vigilance et la mobilisation populaire, condition nécessaire pour espérer pouvoir voir un jour une partie du programme « l’avenir en commun » devenir réalité. Le programme importe peu si l’on ne se donne pas les moyens de sa réalisation et/ou si l’on sous-estime l’adversaire comme l’ont montré les expériences malheureuses de ces dernières années.
Il ne s’agira plus de convaincre mais bien d’avoir les moyens d’imposer à son interlocuteur du moment un rapport de force qui assurera de pouvoir atteindre l’objectif que l’on se fixe. Il faut aussi se préparer à affronter des mesures de rétorsion que ne manqueront pas de prendre l’élite financière et le patronat, concernés qu’ils seront par les mesures de justice sociale contenues dans le programme de « l’avenir en commun » . En effet il ne faut pas penser que les grands groupes français, le MEDEF et les plus fortunés seront neutres et assisteront sans réagir aux mesures sociales et fiscales susceptibles de peser sur leurs profits ou sur leur patrimoine. Les marchés financiers feront monter les taux d’intérêt de la dette française et les capitaux commenceront à fuir et on pourrait assister aussi à une grève des investissements des multinationales.
Il faut que J-L. Mélenchon et son équipe tire les leçons de la Grèce : Syriza aussi avait un programme, le programme de Thessalonique contenant des réponses « à la fois réalistes et subversives », comme le soulignait Alexis Tsipras, et il pensait qu’il pourrait négocier avec les instances européennes. D’emblée, la BCE a refusé d’acquérir les titres apportés par les banques grecques. Pour s’assurer de la neutralité de la bourgeoisie grecque après sa victoire électorale en janvier 2015, Tsipras a conclu un accord de gouvernement avec le parti des Grecs indépendants et même repoussé certaines mesures sociales : peine perdue, les armateurs, les banques et d’autres secteurs du capitalisme grec ont joué contre lui. Mois après mois, le gouvernement n’a cessé de céder aux conditions imposées par le F.M.I. et la B.C.E. pour continuer à recevoir de l’argent frais. Cette année encore, pour bénéficier d’une nouvelle tranche de crédit le supplice et l’humiliation pour la population continuent. Après des mois d’impasse, le gouvernement grec de Tsipras a encore une fois plié et accepté les exigences du FMI et par l’Allemagne, en s’engageant à prendre des mesures supplémentaires d’économies budgétaires, en réduisant encore ses dépenses de 2% du P.I.B. entre 2019 et en 2020. ( lien ). Ce sont des économies supplémentaires de plus de 3,6 milliards d’euros par le biais notamment d’une quatorzième réforme des retraites et d’un nouvel abaissement du seuil d’imposition.
Ainsi le formidable espoir qu’a porté Syriza s’est transformé au fil de ces deux années de gouvernement Tsipras en une douloureuse désillusion pour le peuple grec qui s’est vu imposer depuis deux ans que des sacrifices. Désillusion qui risque fort de l’éloigner une fois encore d’une gauche incapable de mettre en œuvre son programme pour le livrer totalement défait, sans aucune défense, dans les mains de ses propres prédateurs.
UN PARTENAIRE NÉCESSAIRE : LA MOBILISATION POPULAIRE
Il ne faut pas oublier que si une élection peut permettre d’accéder au gouvernement, l’essentiel du pouvoir demeure ailleurs, dans les bureaux et salles de réunions des organismes internationaux, les salons feutrés des institutions financières et des multinationales. Il est clair que ce genre de partenaires ne tomberont pas sous le charme d’un discours lyrique d’un « président insoumis » armé de la seule légitimité du vote populaire. (souvenons-nous du sort du référendum de 2005 ). Seul un gouvernement adossé à une forte mobilisation de l’ensemble de ses électeurs peut permettre d’imposer une négociation à armes égales.
Une telle mobilisation ne se décrète pas, elle se prépare et se construit. Certes, il y a des rigidités économiques et tout ne pourra être fait d’un seul coup. Dans la perspective d’une transition sociale et écologique telle que la définit le programme de la France insoumise, celle-ci se heurtera inévitablement à une riposte des « 1% » et de leurs agents et relais, nationaux et internationaux. Deux axes sont nécessairement à prendre en compte : le premier, c’est qu’ avec raison, les travailleurs, le peuple, ne défendront qu’un pouvoir qui en priorité améliorera leurs conditions d’existence et répondra à cette urgence sociale qu’impose le chômage de masse, la précarité et la pauvreté, la seconde est que pour se préparer à un affrontement inévitable avec le capital : il faudra nationaliser rapidement le système bancaire et pouvoir contrôler les mouvements de capitaux. La suite dépendra de la confiance que le peuple aura en ce gouvernement et de sa capacité à se mobiliser pour faire entendre sa voix et imposer la mise en œuvre du programme qu’il se sera donné.
Nous avons connu les promesses du programme commun, le formidable espoir de Mai 1981 qui s’est éteint définitivement deux ans après avec le tournant libéral du premier gouvernement Fabius. Il y a eu l’épisode de la « gauche plurielle » avec Lionel Jospin qui s’est terminé par l’impasse électorale de l’élection de 2002.
L’histoire nous a montré que les conquêtes sociales sont le fruit de mobilisations ouvrières et populaires à l’échelle de la nation toute entière. La victoire de Jean-Luc Mélenchon peut ouvrir une nouvelle période d’avancées sociales si, au lieu de s’appuyer seulement sur des experts et les résultats électoraux, il sait organiser la mobilisation active et permanente de ses électeurs.
Les 23 avril et le 7 mai, avec un vote Mélenchon, l’investissement de citoyen ne doit pas se réduire à la mise d’une enveloppe dans l’urne, puis à se réjouir le soir du 7 mai d’avoir dégager Fillon, Macron et Le Pen, chacun retournant ensuite devant ses écrans pour être à nouveau le spectateur de cette crise systémique qui, si rien n’est fait, ne manquera pas de nous engloutir. Cet acte citoyen doit signifier pour chacun des électeurs de la France insoumise le début d’un engagement dans la durée pour des combats à venir qui se traduiront aussi par des sacrifices individuels pour construire cet « avenir en commun » si nécessaire.
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