Plus sérieusement :
Rumeur : un traitement miracle pour Ebola
Par la rédaction d’Allodocteurs.fr
rédigé le 23 septembre 2014, mis à jour le 23 septembre 2014
● FAUX
– L’affirmation circule depuis quelques semaines sur les réseaux
sociaux : un traitement simple et peu coûteux existerait pour Ebola,
mais l’information serait tenue secrète par ceux qui veulent tirer
profit de l’épidémie. Analyse d’une rumeur dangereuse.
Sommaire
Les allégations
Les épidémiologistes, les médecins, les chercheurs affirment
qu’il n’existe aucun traitement contre la fièvre Ebola ? Ils devraient
consulter de façon plus assidue leur mur Facebook : ils y trouveront
bien, tôt ou tard, un lien vers une méthode simple et pas chère
d’endiguer l’épidémie. Toutes les épidémies, d’ailleurs :
« Le seul remède qui est vraiment efficace contre les virus est le chlorure de magnésium [qui est] un très bon stimulant de la production des anticorps ! »
Autre clic, autre article, affirmations
similaires et tout aussi gratuites. Une Française aurait envoyé en
Guinée des infirmiers maliens avec « 40 kg de nigari » (nom japonais du
chlorure de magnésium sous forme de paillettes) :
"Après moult contacts avec les autorités et les médecins, qui n’ont bien sûr rien voulu donner […] il y a quand même un soignant de la Croix Rouge
qui a entendu le message et distribué le nigari sans aucune
autorisation officielle et qui a constaté les résultats !!! Et ça marche
sur EBOLA !!!"
"[Il]
donne du nigari à toutes les personnes présentant des symptômes de la
maladie, sans les envoyer à l’hôpital. Et tous les symptômes
disparaissent !"
Chlorure de magnésium (DR)
Un homme isolé serait donc en train d’endiguer l’épidémie, dans l’indifférence générale, au nez et à la barbe de Médecins sans frontières (accusé ici ou là de se cantonner au respect des protocoles et de « refuser l’accès des malades à tout autre médecin »). Du côté du Comité International de la Croix Rouge (CICR) comme de celui de MSF, on n’a jamais entendu parler de cette histoire.
Sans vergogne, un auteur nous livre rien moins qu’un « Protocole contre le Virus Ébola » :
« Dès l’établissement du diagnostic mettre 10 gr de chlorure de magnésium dans une bouteille de 1,5 ou 2 litres d’eau, faire boire un verre toute les 30 minutes, puis après 4 verres, toutes les heures jusqu’à consommation des 10 grammes. […] »
« Normalement après ces 5 premiers jours le malade se rétablit ! »
Pourquoi ce traitement proprement magique n’est-il pas employé
en masse pour guérir les malades d’Ebola (et tous les malades atteints
d’un quelconque virus) ? Les auteurs de ces textes nous l’expliquent :
« Ce traitement simple n’est pas proposé par la médecine officielle car c’est un produit très peu coûteux ! »
"Pourquoi
en effet étudier cette hypothèse, dont l’inconvénient majeur, si elle
se révélait positive, serait de ne pas rapporter le moindre dollar ? […] Si l’on vous propose le fameux choix « la Bourse ou la Vie », c’est évidemment la Bourse qui doit l’emporter."
Les colporteurs de la rumeur se citent les uns les autres, produisant des dizaines de pages du même acabit...
Un siècle de chlorure de magnésium
Si l’on en croit les auteurs de ces textes à fort pouvoir de propagation, les propriétés du chlorure de magnésium sont innombrables : il guérit les verrues, évite la perte des dents, aide à lutter contre le vieillissement, etc.
Une boîte espagnole de Propidon, vaccin combiné formulé par Pierre Delbet
Publicité pour la Delbiase, mélanges de sels de magnésium du Pr Delbet encore prescrit en Europe en cas de carence en magnésium.
Mais sa plus grande vertu, c’est évidemment la "stimulation de
l’immunité naturelle", qui donne au corps les moyens de lutter contre
quasiment n’importe quel virus. Un pouvoir qui aurait été découvert par
un certain Pierre Delbet au début du XXème siècle.
Pierre Delbet, chirurgien, a effectivement étudié les propriétés
du chlorure de magnésium. Dans un premier temps, il s’intéresse à ses
propriétés antiseptiques. Selon ses recherches sur le chien, appliquer
cette substance sur une plaie stimule localement la production de
globules blancs. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, il
recommande son utilisation (ainsi que celle de la teinture d’iode) pour soigner les blessures.
Après la guerre, Pierre Delbet s’intéresse au traitement des maladies infectieuses. Il formule un vaccin combiné (du nom de Propidon) destiné à immuniser contre certains staphylocoques, streptocoques et le bacille pyocyanique(1).
Le chirurgien expérimentera ensuite, chez le bovin, les effets
conjugués de l’administration de fortes doses de virus vivant et de
divers sels de magnésium. Ses travaux, présentés à l’Académie des Sciences en 1944, n’ont pas fait l’objet d’un compte-rendu(2). En revanche, l’un de ses élèves, Auguste Neveu, affirmera dans plusieurs ouvrages avoir soigné des malades atteints de diphtérie en s’inspirant des procédés de Delbet. Mais ses recherches n’ont jamais fait l’objet de publication dans aucune revue scientifique.
Depuis quarante ans, le seul travail essayant d’évaluer
l’efficacité d’un traitement à base de sels de magnésium pour stimuler
l’immunité d’un être vivant (et par là-même réduire une infection parasitaire) semble avoir été mené sur des souris en 1989. Portant sur une infection par un ver (et non un virus), l’étude révéla qu’un bon taux de magnésium sanguin peut être associé à une diminution des symptômes infectieux.
A noter que le chlorure de magnésium reste utilisé de nos jours dans certains laboratoires à des fins antiseptiques.
Fiction naturopathe
Puisqu’aucune étude n’a jamais été publiée sur le sujet,
comment peut-on affirmer que la substance "a prouvé son action contre la
polio, la méningite, la dengue, le chikungunya, le tétanos" ? Comment
peut-on produire un « protocole » d’utilisation ? Comment peut-on affirmer
qu’un malade guérit « normalement » en quelques jours ?
Voici tout simplement un tombereau gratuit d’affirmations sans aucun début de preuve.
Que le chlorure de magnésium injecté localement déclenche une
réaction immunitaire et entraine une multiplication des globules blancs
sur le site de l’infection, rien de bien étonnant : c’est la raison même
pour laquelle on adjoint des sels d’aluminium dans de
nombreux vaccins. La présence conjointe de tel ou tel sel métallique
dans le voisinage d’un virus atténué aboutit à une production massive
d’anticorps reconnaissant le virus.
Il est beaucoup plus difficile d’imaginer par quel mécanisme le
chlorure de magnésium dans un verre d’eau pourrait guérir un malade
infecté par un virus. En dépit de l’incroyable facilité à mettre en
œuvre un protocole expérimental autour de cette substance, aucun
chercheur depuis un siècle – excepté Auguste Neveu, qui n’a jamais
soumis ses affirmations à la critique de ses pairs – n’a observé ce
phénomène.
Dans l’état actuel des connaissances humaines, affirmer que le chlorure de magnésium guérit la moindre infection virale est un mensonge.
« Une vaste fumisterie », commente le professeur François Bricaire, chef
du service des maladies infectieuses de l’hôpital La Pitié Salpetrière
(Paris).
Mensonge viral
Plusieurs des sites web qui hébergent les articles
(dés)informant sur le remède miraculeux hébergent mille et une autres
révélations sur des moyens « naturels » de guérir de maladies graves (jus
de citron pour guérir du cancer, etc.). Ils s’accordent en outre presque
tous sur un point : les vaccins sont dangereux, ils sont inefficaces,
ils propagent des maladies, ils sont les outils d’un programme
d’intoxication massive des populations. Ironique, lorsque le seul effet
immunitaire vraisemblable du chlorure de magnésium est son utilisation
dans un processus vaccinal.
Une telle rumeur fait son nid sur plusieurs souches. Premièrement, sur la défiance du lecteur envers l’industrie pharmaceutique(4) et l’économie de la santé.
Deuxièmement, sur sa méconnaissance de la biologie et/ou des mécanismes de validation d’une découverte scientifique.
Troisièmement, sur la croyance que, dans la nature, se trouve à l’état natif les solutions à tous les maux qui affligent l’homme.(3)
Quatrièmement, sur le simple désir d’aider :
propager une nouvelle qui pourrait, si elle était vraie, sauver des
vies. L’internaute qui clique sur « j’aime » ou retweete les pages
affirmant qu’un remède simple est dissimulé par l’industrie pense très
probablement bien faire…
Quels dangers pour les populations ?
Chez un individu sain, un traitement au chlorure de magnésium est a priori sans grand danger. Il en va autrement en cas d’insuffisance rénale sévère, auquel cas l’accumulation de chlorure de magnésium dans l’organisme peut entraîner des troubles graves.
Affirmer qu’un remède contre
Ebola est gardé secret avec la complicité des ONG et de l’ensemble de la
communauté scientifique, c’est en outre sous-entendre que la communauté
internationale laisse volontairement le virus Ebola se propager en
Afrique. Le fait que tant d’internautes valident de leurs clics ces
allégations en dit long sur l’état de défiance des citoyens à l’égard
des institutions.
En cas de forte déshydratation, une supplémentation en sels
minéraux peut s’avérer utile (les sels de magnésium sont utiles pour le
bon fonctionnement musculosquelettique). En revanche, une cure prolongée
de sels de magnésium peuvent entraîner des diarrhées. Promouvoir ce « traitement » dans les zones d’épidémie apparait totalement irrationnel, et potentiellement dangereux.
En outre, à se croire immunisé par cette cure imaginaire, les
populations risqueraient de s’exposer au virus. Alors que les autorités
des pays touchés ont le plus grand mal à faire respecter les conseils de
prévention élémentaires, on observe que propager ce type de rumeur peut
avoir de graves effets.
« Depuis le début de l’épidémie », nous explique Benoît Carpentier
du CICR, "on nous a déjà rapporté plusieurs cas de personnes qui, dans
des villages, ont eu vent de traitements miracles. Je
ne sais pas si cette rumeur-ci a un effet car, comme je vous le disait,
nous n’avons pas eu de retour concernant [le chlorure de magnésium]. En
revanche, nous avons rencontré des gens qui croyaient que se laver au
[chlore], voire boire du [chlore], les protégeait contre Ebola."
Enfin, ces légendes urbaines mettent en danger les volontaires étrangers. Comme le confirment les ONG, les rumeurs qui entourent les campagnes de prévention occidentales entraîne des refus de soins, avec des attaques « régulières et violentes » des bénévoles.
—http://www.allodocteurs.fr/actualite-sante-rumeur-un-traitement-miracle-pour-ebola-14377.asp?1=1