Menacer la liberté d’expression par la tentation de chacun
Cet article est en réaction à l’article Notre gouvernement fait planer de nouvelles menaces sur la liberté d’expression et Internet... de Quitterie Delmas, responsable UDF.
Avant tout, je voudrais remercier Quitterie Delmas (représentante UDF) d’oser parler de libertés fondamentales. Le sujet semble désuet pour nos hommes politiques, au-dessus de l’exécutif (donc trop souvent au-dessus également du législatif), pourtant vous avez dû vous rendre compte que les internautes y sont sensibles.
Puis j’aimerais réagir en tant qu’auteur d’un mémoire conséquent sur la DADVSI, que je transmettrai (avec ses coquilles) à quiconque m’en fera la demande ([email protected]).
L’article de Mme Delmas abordant trois projets distincts, nous respecterons l’ordre qu’elle a choisi par souci de lisibilité. Je vous renvoie à son article riche en liens pertinents.
1 Rapport Tessier sur la presse numérique demandé par le ministre Renaud Donnedieu de Vabres (19 février 2007)
Tout d’abord, et je vais sans doute en surprendre vu le réquisitoire qui a été mené contre eux par Mme Delmas, je n’ai rien contre les labels, ni contre les "contrats pour l’amélioration de la qualité" (grosso modo : labels d’Etat élaborés en concertation et se distinguant par la marque "Approuvé").
Pour faire simple, les labels sont des certifications répondant à un cahier des charges, assurées par un organisme privé ou public, fixant son cahier des charges librement. Le contrôle s’opère contre rémunération, et la crédibilité de l’organisme dépend directement de sa rigueur (avec les risques de dissimulation et de corruption que cela entraîne, certes). Ici, nul n’est forcé d’adhérer au label. Ne pas avoir de label n’entraîne aucune discrimination. Bref, ça tire vers le haut sans couler ceux qui sont hors du système (personne ne trouvera à redire quand il y aura des labels "garanti sans OGM", le consommateur doit pouvoir choisir en confiance et avec discernement, et c’est lui qui accordera ou non sa confiance à tel ou tel label).
Les risques émergent dès que des interrogations sur la probité du contrôleur surviennent, ou que l’obtention d’un label ouvre droit à une subvention (là c’est du pur clientélisme qui gangrène tous nos partis, y compris l’UDF), ou que la non-obtention d’un label entraîne un risque pour la perrenité du site (interdiction, etc.).
En tout cas, je trouve l’idée très bonne, mais je considère que le secteur privé doit jouer un rôle crucial dans cette normalisation, et que les sites non labellisés ne devraient pas subir de conséquence financière ou juridique à leur encontre (laissons l’internaute décider).
Il me semble que la crédibilité d’un article dépend déjà des liens et des références qui y sont faites, exactement comme dans un travail universitaire. Sur AgoraVox, les articles les plus repris, les mieux notés sont généralement les mieux documentés (par exemple, les articles de Forest Ent, j’en passe et des meilleurs).
Bref la labellisation pourrait être un problème, mais ne devrait pas en être un... à part si les bibliothèques, centres de documentation, cités universitaires, cybercafés et autres n’autorisent la navigation qu’auprès des sites labellisés. Cessons là : je ne veux pas donner d’idées que je n’aimerais pas voir mises en oeuvre.
2 Projet de loi sur la prévention de la délinquance (13 février 2007)
En ce qui concerne le projet de loi sur la prévention de la délinquance, ne vous semble-t-il pas étrange que celà arrive juste avant les élections ?
Et si c’était pour empêcher que ne soient buzzées les violences policières qui pourraient suivre les élections ? Ou lutter contre la vidéo-surveillance inversée que permettent les nouvelles technologies ? Ça n’a bien sûr aucunement à voir avec la "Cow-boy attitude" qui règne actuellement chez les forces de l’ordre, qui tendent de plus en plus vers le modèle des SWAT...
3 Projet de décret pour la création d’une commission de déontologie d’Internet (31 janvier 2007)
C’est encore une fois un danger uniquement potentiel. quel sera l’impact réel de cette labellisation, ou de ce refus de labelliser ? C’est la question à laquelle il faut répondre pour comprendre quelle pouvoir sera donné à cet organe, vous l’avez compris, politisé.
Les parents vont-ils utiliser cette accéditation comme référence ?
Les fournisseurs d’accès s’y réfugieront-ils quand leur responsabilité sera mise en cause de tous les côtés ?
Et quid des administrations, des cybercafés, des accès collectifs (comme les réseaux WiFi gratuits coopératifs qui surgissent un peu partout) ?
Conclusion
Bref, vous l’aurez compris, la stratégie est globale, opaque, et pourtant simple :
1 Absence de Safe Harbour, à l’américaine, pour limiter la responsabilité civile et pénale des FAI, des serveurs, des hébergeurs.
2 Multiplication des responsabilités et incriminations, à tous les échelons.
3 "Ceux qui ont à se reprocher" seront nettement plus visibles : ils se verront refuser leur label, ou leur accréditation.
4 Passage de lois rendant tout le monde coupable ou presque (88% des Français avaient en 2005 de la musique copiée chez eux, et la tendance logique est à la hausse).
5 On frappe vite et fort sur le porte-monnaie des fournisseurs de moyens, en leur donnant la possibilité de se dédouaner s’ils restent docilement dans les sentiers battus que l’Etat a tracé pour eux.
6 La synergie entre culpabilité de tous et moyens répressifs permet à l’excécutif de désigner à une Justice débordée les cibles à abattre, à la tête.
Bref, une stratégie diablement efficace.
Nous assistons à un processus original de destruction des droits fondamentaux : on laisse le citoyen les monnayer librement contre de l’argent ou de la sécurité. Si certains droits fondamentaux ne regardent que ceux qui les cèdent (par exemple, la cession de sa vie privée contre des bons d’achats par le système des cartes de fidélité des grands magasins), d’autres sont particuliers puisqu’il n’existent que si tous en ont l’usage. Nous pourrions faire obstacle à la plupart des atteintes aux libertés individuelles qui nous menacent. En n’accordant aucun crédit à la labellisation, en comptant davantage sur notre esprit critique que sur une certification par un tiers...
Le véritable danger à terme est là : l’exclusion des libertés fondamentales du débat public, oserai-je dire des préoccupations des citoyens (en cela la télé-réalité a joué son rôle). Résister à cette érosion est l’affaire de chacun, et l’affaire de tous.
Merci, Mme Delmas, d’avoir contribué par cet article à leur retour sur le devant de la scène.
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