• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > « Merci Patron » devient « Merci Client »

« Merci Patron » devient « Merci Client »

« Merci Patron » disait l'informaticien en recevant son chèque mensuel, plus élevé que celui de ses collègues, à niveau de formation équivalent.

En un demi siècle, le monde de l'informatique a jailli et le travail a été bouleversé. Des tâches fastidieuses ont été supprimées et le salariat a fait place à une précarité galopante.

Dans les années 1970-1979, des monstres d'électronique sans écran avalaient des cartes perforées et en crachaient d'autres. On les voit dans les émissions télévisées de Guy Lux donner le résultat du vote des téléspectateurs.

L'informaticien devait écrire au crayon de papier sur des bordereaux papier des lignes de code que des dactylos spécialisées appelées perforatrices tapaient sur des perforeuses. Le traitement passait la nuit suivante. Un retour, des corrections sur des perforeuses en libre service, et le traitement passait la nuit suivante. Il fallait un certain temps pour mettre au point un programme et le tester complètement. Il fallait aux programmeurs des qualités particulières différentes de maintenant.

L'informatique de gestion envahissait grandes et petites entreprises en sortant des statistiques et en dressant rapidement et sûrement les comptabilités générales, fournisseur, client.

 

L'utilité des cohortes d'employés de bureau disparaissait, et leurs postes rébarbatifs avec. Le métier supprimé n'était pas forcément source de joie et but ultime de la vie d'un être humain. Regardez « le jour le plus long » et ces soldats qui discutent :

  • Pourquoi tu t'es engagé ?

  • J'étais dans un service comptable et je vérifiais des colonnes de chiffres déjà vérifiées que d'autres allaient vérifier.

 

Je me souviens aussi d'une Caisse de Retraite et de ma question :

  • Pourquoi n'informatisons-nous pas cette procédure ? Ça serait facile, ça serait vite rentable et cela ferait économiser des charges aux cotisants.

  • Nous ne pouvons pas. Nous employons beaucoup de main d'oeuvre non qualifiée qui pointerait au chômage sans espoir de retrouver un job.

 

On préférait alors faire payer les cotisants plutôt que les Assedic, et laisser s'exécuter un travail sans intérêt mais avec une plus-value sociale. La valeur qui prévalait alors était le travail, pas la marge de l'entreprise.

Les entreprises avaient créé un service informatique, avec un responsable et des salariés, et elles faisaient appel en complément à des sociétés extérieures. Celles-ci flirtaient avec le délit de marchandage, qui condamne toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'œuvre, à l'exception du travail temporaire et du travail à temps partagé. Elles ne proposaient pas du travail temporaire ni du temps partagé, mais des prestataires officiellement pour surcharge de travail ou absence de compétences en interne.

Les SSII, Sociétés de Services en Ingénierie Informatique, fleurissaient, recrutaient, embauchaient, faisaient la culbute sur les marges, se réjouissaient quand elles plaçaient au même endroit pendant des années un salarié devenu vache à lait et qui avait plus d'ancienneté que ses collègues salariés du client.

A l'opposé, et pour le forcer à démissionner, elles envoyaient au diable vauvert le malheureux que les caprices d'un chef fonctionnel avaient pris en grippe et mis fin au contrat prématurément.

L'informaticien prestataire ne bénéficiait pas des avantages sociaux de ses collègues de bureau et se contentait de l'espoir d'une rémunération compensatoire. Il vivait sans faire trop de bruit. Les contrats entre les entreprises étaient reconductibles chaque trimestre, et pouvaient être dénoncés violemment avant terme par le donneur d'ordre que le commercial de la SSII tenait à ménager pour obtenir de nouveaux contrats ici et chez d'autres clients. Le téléphone n'était pas aussi répandu qu'aujourd'hui, mais il avait vite fait de colporter les réputations d'un sous-traitant.

Aujourd'hui, tout a changé.

L'informatique n'est plus une source de profit évidente. La rentabilité d'un projet n'est plus acquise.

Prenons l'exemple des « drive » que la grande distribution met en place. Le principe est simple. Le client prévient l'enseigne de sa commande et passe chercher sa marchandise préparée. Cela demande la mise en place d'une logistique, d'une infrastructure, d'un personnel, d'une procédure, et d'une informatique.

La grande distribution ne s'attend pas à une source de profit avec ce Drive, mais elle y va parce que la concurrence y va, et que celui qui n'ira pas sera le perdant. L'objectif n'est plus de gagner des profits mais d'éviter des pertes. Dans ces conditions l'informatique est une source de dépense qu'il faut réduire au minimum. L'informaticien n'est donc plus un créateur de richesse mais il appartient à un centre de coût.

Par ailleurs, le DSI, Directeur du Système Informatique, voit ses responsabilités accrues : il n'a plus seulement l'obligation de moyens, mais l'obligation de résultats. Il préfère donc appeler des éditeurs de logiciel qui porteront le chapeau à sa place en cas de pépins.

D'autre part, il délègue une partie de son informatique à une société extérieure, surtout pour des technologies vieillissantes sur le point d'être remplacées. C'est la TMA, Tierce Maintenance Applicative. Le DSI confie à une société ayant pignon sur rue, celles que vous trouvez en haut du classement par chiffres d'affaires de la profession, le soin de faire tourner des chaines de programmes et d'apporter les évolutions correctives et évolutives. Il garde un œil sur les personnes affectées, vérifie leurs CV et donne son accord sur le recrutement et l'affectation.

La société sous-traitante complète son personnel en piochant dans l'offre d'entreprises informatique plus petites, qui elles-mêmes complètent leur offre en contractant des indépendants.

Quant à l'informatique que le DSI gère directement, et comme il a perdu ses pleins pouvoirs de recrutement au profit du service des achats, ce dernier a dressé une courte liste d'entreprises habilitées. Et puisque celles-ci n'ont pas toujours les moyens, elles complètent en contractant avec des indépendants, ou avec une autre SSII, qui fournira ses salariés ou des indépendants.

 

Pour résumer, que le travail informatique soit réalisé directement ou non dans l'entreprise, on peut trouver des informaticiens avec des statuts divers, indépendants ou salariés d'une société ou d'une autre.

Le plein emploi des décennies passées a fait place à une généralisation de la précarité, accentuée par un manque de formation pour tout un pan du personnel et par l'a priori qu'à partir d'un certain âge l'individu n'est plus bon qu'à continuer de faire ce qu'il a déjà fait.

S'il fallait appliquer les mêmes préjugés partout, il aurait fallu mettre en quarantaine les plus de quarante ans :

  • un Loïck Peyron qui gagne une Transat à 54 ans

  • et un Louis Pasteur qui, à 59 ans, met au point le vaccin contre le charbon et, à 63 ans, le vaccin contre la rage.

 

L'informaticien indépendant, par choix ou par accident économique telle que la faillite de son employeur, doit faire profil bas pour conserver sa source de revenu. Il est en concurrence avec d'autres indépendants et des SSII.

Et de plus en plus, il est en concurrence avec ses collègues off-shore du Maghreb, de Roumanie ou d'Inde.

 

 

Le nombre d'employés de Capgemini en Inde dépasse les 47 000, soit le tiers des effectifs du groupe et reste inférieure en proportion aux Accenture ou aux IBM. Cf http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/02/20/l-inde-centre-du-monde-pour-capgemini_4370021_651865.html LE MONDE | 20.02.2014 à 12h19 |

 

Avec ses 134.000 personnes dans le monde, (...) les effectifs de Capgemini en Inde ont passé en avril le cap des 50.000 salariés. « En comptant tous les pays, comme la Pologne, le Guatemala, etc., l'offshore représente 60.000 personnes aujourd'hui. C'est 45 % des effectifs, ce sera plus de 50 % dans deux ans », témoigne Paul Hermelin, à la tête de Capgemini. Cf http://www.lesechos.fr/30/04/2014/LesEchos/21679-104-ECH_capgemini-depasse-les-50-000-salaries-en-inde.htm

 

Alors que fait le gouvernement ?

Il octroie un prêt de 150 millions d’euros à MEDZ par l’Agence Française de Développement (AFD). La France est en déficit… des mesures d’austérité (notamment budgétaire) sont imposées à tous… le chômage progresse fortement dans notre pays Y COMPRIS DANS L’INFORMATIQUE… le redressement productif et la relocalisation des emplois sont censés être des priorités… mais notre 1er Ministre Jean-Marc AYRAULT en visite au Maroc, accompagné (entre autres) d’Arnaud MONTEBOURG, n’a pas trouvé mieux QUE DE FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE L’OFFSHORING AU MAROC, A SAVOIR LES (DÉ)(RE)LOCALISATIONS D’EMPLOIS DANS LES CENTRES D’APPEL, LES SERVICES INFORMATIQUES et LES SERVICES FINANCIERS en cautionnant le prêt de refinancement consenti par l’AFD (Agence Française de Développement) à "Casanearshore" !!!

cf http://munci.org/INCROYABLE-MAIS-VRAI-la-France-prete-100M-d-eur-a-une-zone-marocaine-d-activites-offshore-delocalisations-de-services-dans-le-cadre-de-la-co-localisation

 

De plus en plus, quand un informaticien trouve du travail, il doit dire « Merci Client ».


Moyenne des avis sur cet article :  3.91/5   (11 votes)




Réagissez à l'article

8 réactions à cet article    


  • Nicolas_M bibou1324 14 novembre 2014 14:06

    Je n’ai pas lu les différentes études sur l’emploi dans l’informatique.


    Ce que je sais par contre, c’est que si vous postez un CV d’informaticien Java/JEE sur Monster, vous aurez plus de 40 appels dans les 4 heures qui suivent de différents cabinets de recrutement, de SSII et de patrons de PME qui vous supplient de travailler pour eux. Et que vous allez être harcelé, à un rythme moindre, pendant au moins les 2 ans qui suivent. Testé et approuvé par tout ceux que j’ai pu rencontré dans l’informatique.

    Notre boîte (une SSII) recherche des informaticiens, même des autodidactes sans diplômes, et ce depuis 3 ans. Nous avons en permanence 10 postes ouverts (pour une boite de 120 personnes). Nous avons trouvé quelques personnes, ça suffit juste à compenser les départs.

    Du chômage dans l’informatique ? Certainement, pour ceux qui ne sont pas mobiles ou qui souhaitent rester au chômage. Pour les autres, envoyez moi un CV, la prime de cooptation est de 3000€ dans ma boite sur Grenoble, ça me fera de l’argent de poche.

    Ah pardon, vous parliez des informaticiens indépendants ? Ceux qui aiment galérer à trouver du boulot et faire des formalités administratives sans fin ? Ben qu’ils galèrent au chômage. Je ne verserai pas une larme pour eux. D’autant plus que je reçois des offres non sollicitées pour des indépendants (essentiellement sur Paris, alors que je n’ai pas du tout le profil et que je ne souhaite pas devenir indépendant) toutes les semaines.

    Ce que je constate de par mon métier, c’est qu’on est en train de relocaliser depuis 4-5 ans. Ce qui était délocalisé au Maghreb et en Inde est en train de revenir en France, c’est bien plus rentable vu la qualité produite dans ces pays.

    • foufouille foufouille 14 novembre 2014 14:15

      « un CV d’informaticien Java/JEE sur Monster, »
      va falloir être beaucoup plus précis pour vérifier si bibou ne raconte pas une enième propagande


    • sleeping-zombie 14 novembre 2014 22:42

      C’est probablement vrai, mais a quel niveau de rémunération ?


    • foufouille foufouille 15 novembre 2014 07:53

      certainement au smic car sa description de spécialisation en informatique ne veut rien dire


    • Citrik_Elektrik Citrik_Elektrik 15 novembre 2014 12:35

      Nop, il a raison. Les profils Java/JEE s’en sortent bien. C’est parce que c’est une techno de plus en plus répandue qui présente pas mal d’avantages (portabilité, scalabilité horizontale...). Du coup, beaucoup d’éditeurs qui proposaient des produits dits « monolithiques » se tournent vers cette techno quand ils doivent réactualiser leurs produits et les adapter aux besoins actuels du client.
       
      En revanche, dans les autres domaines, c’est beaucoup plus moribond. L’article présente bien la tendance actuelle qui est à l’externalisation outrancière. C’est tout bénef pour les gens qui développent autre chose que leurs compétences techniques, notamment de bons softs skills ou des compétences en management. Néanmoins, les autres triment. Des gens hyper pointus galèrent parce qu’ils ne savent pas se vendre. A contrario, de véritables charlots ont pignon sur rue parce qu’ils ont du bagout.
       
      Cet article est très bien parce qu’au-delà des salaires qui restent corrects dans le domaine, on voit qu’ils sont adossés à une grande précarité des emplois.


    • Citrik_Elektrik Citrik_Elektrik 15 novembre 2014 12:52

      @bibou1234
       
      Ceux qui passent en indépendant savent ce qu’ils font. Le profil type c’est l’ingénieur qui a fait ses armes dans une SSII, qui s’est fait un carnet d’adresse et qui sait se vendre. Dans un tel cas, la valeur ajoutée d’une SSII est faible parce que c’est souvent lui qui dégote ses propres missions. Si vous êtes dans ce cas, passer indépendant est une bonne chose parce que vous récupérez pour vous l’énorme part de facturation qui revenait à la SSII pour ses coûts de fonctionnement interne et bien sûr sa marge. En général, le client demande un geste par rapport à ce que demande une grosse SSII mais c’est tout de même très rentable.
       
      Et même pour ceux qui galèrent à trouver des missions, ils peuvent toujours avoir recours à une société de portage dont la com restera toujours inférieure aux coûts d’une SSII. En ce qui concerne les formalités administratives, franchement, rien de terrifiant. Avec l’aide d’un cabinet comptable, c’est du billard. Et sachez qu’un indépendant ne reste jamais longtemps au chômage car il n’y a pas droit. D’ailleurs, nous n’y cotisons pas.
       
      Concernant la relocalisation, il y a effectivement un mouvement dans ce sens mais il est largement compensé par la délocalisation qui continue de plus belle. Si des sociétés relocalisent, c’est parce qu’ils ont échoué à gérer les différences culturelles avec les autres pays. Il y a d’ailleurs une grande spécialité qui se crée actuellement : les séminaires pour réussir son activité off-shore.
       
      On y explique notamment les cas les plus courants auxquels ceux qui pratiquent le développement off-shore se heurtent. Par exemple, c’est très courant que les indiens et les chinois vous répondent « oui oui » quand vous leur expliquez le besoin alors qu’en fait, ils n’ont rien compris et vont livrer n’importe quoi. Dire « non » semble être incorrect ou bien est une marque d’irrespect dans ces zones géographiques. Forcément, quand on ne le sait pas, on va au devant de quelques surprises...


    • César Castique César Castique 14 novembre 2014 15:54

      « On préférait alors faire payer les cotisants plutôt que les Assedic, et laisser s’exécuter un travail sans intérêt mais avec une plus-value sociale. »


      ...dont le surcoût était facturé en aval, faut être sérieux ! 

      • paul75 16 novembre 2014 21:00

        Pour ceux qui doutent encore de la réalité du chômage dans l’informatique : http://munci.org/emploi-informatique.pdf

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès