Mérite et richesse
Une manière courante, voire la seule, de justifier les inégalités de richesses est de ramener celles-ci aux mérites personnels comparés entre les riches et les pauvres. Les inégalité de richesse ne feraient que sanctionner les inégalités de mérite. Outre que l'on ne voit pas en quoi un écart mesurable et quantifié de richesses refléteraient un écart incommensurable purement qualitatif de mérite, il est clair que la notion de mérite est pour le moins ambiguë, voire paradoxale, dans l'usage qui en est fait pour prétendre justifier les inégalités de richesses.
Soit l'on entend par mérite la possesion de dons personnels d'intelligence de talent et de courage naturels et ces caractéristiques n'ont, en, eux-même, aucun sens éthique et donc ne sont pas particulièrement méritantes car il s'agit de données pour lesquelles le sujet n'a aucune part, ce qui ne justifie en rien qu'on le récompense pour cela. Soit l'on fait du mérite la cause morale et non plus seulement naturelle de ses efforts pour s'enrichir, mais l'on ne voit pas en quoi un escroc, voire un criminel, talentueux et laborieux, qui se serait enrichi par sa capacité éthique à déployer de telles qualités acquises par la force de sa volonté personnelle et les sacrifices qu'il aurait consenti , devrait être considéré il faut admettre que celui-ci est méritant et le récompenser à la mesure de ses crimes et délits du fait même d'avoir échappé à la punition par son courage et/ou sa maîtrise de soi et de la situation criminelle ou délictueuse, sa ruse et son intelligence. Ce qui serait pour le moins paradoxal : le crime parfait deviendrait un mérite qui devrait être récompensé par l'enrichissement criminel. Soit le richesse, au lieu d'être acquise, est héritée, mais alors il n'y a aucun mérite personnel pour qui est l'héritier. Soit enfin la richesse est l'effet d'un hasard heureux (loterie par exemple) ce qui n'engage pas le mérite du celui qui en bénéficie. Dans ces ce cas la notion de mérite ne peut servir à justifier la richesse.
En fait le mérite d'un individu ne peut provenir que du fait que ses ressources individuelles, quelles qu'elles soient, économiques ou intellectuelles, et quelle qu'en soit l'origine, naturelle ou acquise, sont volontairement et courageusement (ce qui implique un certain sacrifice des plaisirs immédiats) mises au service des autres et du bien public et non pas de ses seuls intérêts privés. C'est pourquoi Platon dans sa République refuse qu'un médecin travaille pour de l'argent car cela voudrait dire qu'il aurait intérêt à ce que ses patients soient et restent malades. Exercer la médecine et être commerçant sont, selon lui, deux métiers incompatibles. La médecin, au mieux, ne doit être rémunéré que lorsque le malade est guéri, donc au résultat et non à l'acte.
En cela la notion de mérite est égalitariste, au sens où elle vise à refuser toute exploitation de l'homme par l'homme. Ainsi le mérite d'une infirmière, d'un enseignant et d'un médecin dévoués, vaut toujours plus que celui d'un financier ou d'un footballeur cupides. Les inégalités de richesses importantes peuvent très souvent être le résultat et l'effet de l'exploitation des moins favorisés par les plus favorisés, même légale et ce, au nom du sacro-saint principe de la propriété des biens de production et d'échange qui fait du travail humain une marchandise profitable pour qui achète ce travail grâce à sa richesse pour l'accroître sans limite ni mesure de droit opposable. La notion de mérite n'entretient aucun rapport de cause à effet et encore moins nécessaire avec les inégalités du rapport de force entre les riches et les pauvres. C'est bien parce que les écarts des richesses, dans nos sociétés capitalistes, ne sont en rien la récompense évidente des mérites de leurs détenteurs que les plus riches des entrepreneurs (Bill Gates, William Buffet, Georges Soros etc...) aux USA et ailleurs, pour (re)légitimer leur fortune par l'usage qu'ils en font, s'obligent à utiliser un part importante de leurs revenus par des donations dans des actions et des fondations humanitaires. Dans les faits, la notion de mérite permet de développer, sur le plan éthique, dans nos sociétés, une contestation plus ou moins radicale des inégalités exorbitantes de revenus et de richesses en les désignant comme injustes. Ce qui conduit les états démocratiques à vouloir les réduire par l'impôt et différentes formes de redistribution en faveur des moins favorisés.
Ainsi, contrairement à la richesse, le mérite doit toujours se mériter par la solidarité avec les autres qu'il met en œuvre. Contrairement à la richesse, Il n'est jamaisl'effet du hasard, des compétences au service de buts égoïstes, de la fortune, de l'injustice sociale qu'est l'héritage et de la cupidité. Il est l'expression de la volonté éthique d'aider les autres, plus faibles ou moins compétants et performants que soi.
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