« Mitt, je suis ton père... »
Amusant : alors que George Lucas s'assurait une retraite heureuse en vendant son empire (sans contre attaque) à Disney, la phrase clé de sa saga résonnait partout aux USA... où un candidat arpentait le pays, un candidat républicain avait aussi un père, homme d'affaires et politicien lui aussi qu'il semblait avoir oublié, depuis que ce dernier était passé du côté obscur du monde militaire. Car Mitt Romney a bel et bien un père, décédé en 1995, dont il n'a jamais fait cas durant toute sa campagne, et pour cause, comme on va le voir. Tout le monde avait trouvé Mitt plutôt mal à l'aise quand on parlait en débat télévisé de l'armée : tous ont retenu la tirade déjà célèbre d'Obama sur "les chevaux et les baïonnettes" qui a laissé un Romney bien démuni pour y répondre. Il y a une explication possible à cette gêne et à cette retenue : le propre père de Romney est en effet un homme politique plutôt particulier, disons, car il est devenu brebis galeuse de l'armée américaine en 1968... alors qu'on lui promettait un avenir présidentiel tout tracé. Car c'est à savoir aussi, mais le propre père de Mitt aurait pu prétendre au poste suprême aux USA, comme aujourd'hui son fils ! Et, fait tout aussi surprenant, il n'y a pas que pour cela que Mitt Romney a autant tenu à rendre son encombrant père aussi invisible durant toute la campagne... retour, donc, sur le père plus ou moins caché du prétendant républicain à Maison Blanche.
George Romney a eu lui aussi un carrière politique (il a été élu gouverneur du Michigan) qui aurait pu le mener à devenir président, en effet, s'il ne s'était pas heurté à plusieurs obstacles, dont certains sonnent étrangement aujourd'hui, chez un fils plutôt porté sur la voie de la répression vis à vis de l'immigration. Car la famille Romney, elle la connaît très bien cette immigration... son arrière grand père a dû quitter en 1884... les Etats-Unis, pour deux raisons assez saisissantes, comme nous l'a rappelé la presse US : "Un examen attentif du débat de ce soir de Romney et la façon dont il a décrit le déménagement de sa famille au Mexique dans son livre de 2004, sur le redressement : la crise, le leadership et les Jeux Olympiques, montre un homme qui imagine les 'immigrants du 21ème siècle en quête de sécurité ou d'un refuge économique aux États-Unis comme tout à fait différent de celui des membres de la famille Romney qui se sont déplacés vers le Mexique en 1885, a déclaré Jeff Biggers, un historien qui a étudié la famille Romney. (Biggers a blogué sur ses résultats pour le Huffington Post.) Après avoir examiné les dossiers publics et l'information dans les archives des Mormons d'Arizona Biggers a dit qu'il avait trouvé que la famille Romney avait fui les États-Unis en raison des lois anti-polygamie et une accusation de parjure que l'arrière grand-père de Romney avait eue face à une question sur des terres. Dans son livre "The Turnaround", Romney décrit les choses différemment". Le père de Mitt, George Romney est revenu du Mexique alors que Mitt était tout jeune : ce dernier est donc bien né au Mexique de parents américains émigrés. George a fait l'université de l'Utah avant de travailler pour le géant de l'aluminium Alcoa. Devenu directeur de l'entreprise en 1942, il joua un rôle dans la direction de la production automobile pendant la guerre avant de se retrouver à la tête de la General Motors en 1954. Il y deviendra le supporter des "petites voitures" face aux énormes "bateaux" d'alors de Detroit !
Sa fortune accumulée lui permet de se lancer dans la politique, sous la bannière républicaine, et devient en 1962 gouverneur du Michigan, favorable à la guerre du Viet-Nam, qu'il visite comme élu en 1965 (on ne sait pas si c'est le fameux élu républicain "Davenport" caricaturé dans le film Air America, joué par l"épatant Lane Smith, mais ça y ressemble fort, malgré le fait que Nixon est déjà élu dans le film). Il finit même par faire la couverture du Time à deux reprises ! En face de lui il trouve un redoutable adversaire appelé justement Richard Nixon, dont les subsides de campagne ne proviennent pas d'une fortune personnelle, mais d'accords forts particuliers avec certains industriels, tel... Howard Hughes, comme j'ai pu le conter ici. Il n'empêche, George va néanmoins tenter l'investiture républicaine, l'année même ou le président Johnson a décidé l'envoi au Viêt-nam de 10 500 soldats supplémentaires ; et ou Saigon se fait attaquer par les Viets-Congs. Cette année trouble et agîtée également où Robert Kennedy annonce sa candidature à l'investiture du parti démocrate (Johnson a décidé de ne pas se représenter), et dans laquelle le sénateur Eugene McCarthy, favorable à un retrait du Viet-Nam est alors le mieux placé. L'année aussi du massacre de My Lai qui provoquera un séisme médiatique sans précédent, une fois les terribles photos révélées. Kennedy n'ira pas loin, il sera assassiné le soir de sa victoire à la primaire de Californie le 5 juin 1968 ; les démocrates abandonnant McCarthy pour le falot Hubert Humphrey. La guerre demeure le sujet de préoccupation numéro un dans les consciences des électeurs, avec le problème des droits civiques évoqué par le Pasteur Martin Luther King : le pays sera l'objet d'émeutes raciales violentes cette année-là à l'annonce de son assassinat le 4 avril, à Memphis (Tennessee). A la fin du mois, ce sont les étudiants qui manifestent à l'université Columbia (à New York) contre la guerre, alors qu'une semaine auparavant, le maire démocrate de Chicago, Richard Daley dépassé par les événements, a donné l'ordre à la police de tirer sur les étudiants en cas d'affrontements ! Démocrates comme républicains, en 1968, sont dépassés !
Côté républicain, quatre prétendants postulent alors à la primaire : l'influent gouverneur de New-York Nelson Rockefeller (qui s'est déclaré le 30 avril, en photo ici à gauche : dislexique, il parviendra a être vice-président en 1974 sous Gérald Ford, qui avait aussi été le vice-président de... Nixon, qu'il grâciera du scandale du Watergate), celui de Californie, Ronald Reagan, ancien cow-boy d'Hollywood de films de série B, Richard Nixon qui a été le vice-président d'Eisenhowern, ne l'oublions pas... et George Romney dont la religion avouée représente un handicap certain à cette époque, mais qui croît à ses chances. Mais c'est sans compter sans "tricky dicky" (Nixon), ses coups bas et son argent de pots de vins : c'est lui qui sera choisi le 8 août par les électeurs ... qui ont éliminé d'emblée George Romney, en raison d'une gaffe mémorable de ce dernier. Lors d'une émission télévisée de 1967, ce dernier a en effet avait affirmé devant le présentateur de la chaîne WKBD-TV 50 un peu médusé qui lui posait la question de son opposition à un agrandissement de l'aide militaire au Viet-Nam décidé par Johnson, que ses premiers propos favorables à la guerre étaient "diplomatiques", et qu'il s'était fait "laver le cerveau", là-bas, "par les militaires". Le voilà désormais plus du tout persuadé de la guerre au Viet-Nam, pour prévenir l'extension communiste. Le père de celui qui 44 ans après s'enmêle les pinceaux sur le nombre de navires que doit posséder la Navy était revenu convaincu de l'inutilité de maintenir une guerre perdue d'avance : à l'époque de son revirement, son fils avait à peine 21 ans, et faisait partie de la génération "flowerpower" (sans être pour autant hippie ; il est alors en France, vient de connaître les événements de mai et dirige même alors la mission mormone de France !). Il n'a pas sombré dans la contreculture hippie et l'opposition à la guerre du Viêt Nam pour autant, mais en a au moins vu les effets. La gaffe du père fut monumentale, et George Romney, l'armée à dos, dû abandonner tout espoir de mettre un jour les pieds dans la Maison Blanche, passant le flambeau aujourd'hui à un autre gaffeur en chef ; son fils, Mitt. Un garçon qui n'a pas fait de service militaire.... sa femme étant même venu dire à la tribune lors d'un meeting, pour compenser cette absence, que les "missions" de prosélytisme faites par son mari étaient équivalentes, justement, à un service "militaire". Le petit soldat de Dieu, qui nous en rappelle d'autres, qui ont aussi "Dieu à leur côté"... et les ravages qu'ils ont pu faire en Irak.
Une armée américaine qui a usé et abusé de la Bible comme j'avais pu l'écrire ici-même : l'armée américaine, on l’a vu, s’est affichée ouvertement en croisade religieuse, ce que le général Petraeus, lui-même en bon croyant, à laisser ouvertement faire, en prenant fait et cause pour un ouvrage critiqué sorti en 2008, "Under Orders : A Spiritual Handbook for Military Personnel," de l’aumônier William McCoy. Ses propos comme quoi il aurait voulu voir cet ouvrage "dans chaque paquetage" passaient difficilement". On en avait vu les effets : "En 2004, lors d’un raid un dimanche de Pâques sur les insurgés irakiens des Forces spéciales, les officiers, inspirés par une projection la veille du film de Mel Gibson « La Passion du Christ, avait écrit les mots : « Jésus a tué Mohammed » en arabe sur leurs chars Bradley et avait incité ses hommes à le crier en anglais et en Arabe pour apostropher les soldats irakiens recrutés avant de se lancer sur un attaque pour réprimer l’insurrection". Pour Romney, rien de tout ça, donc, comme il a pu le clamer lors du troisième débat : "dès le début du débat, Romney a précisé que l'objectif principal était de répondre à une question qu'il avait laissée en suspens il ya une semaine à la deuxième rencontre entre les deux hommes : en quoi il diffère de George W. Bush. Il a maintes fois dit qu'il s'opposait à la guerre, et même si il a appelé à des dépenses militaires supplémentaires, il a minimisé les solutions militaires aux problèmes extérieurs"...
La religion dans l'armée, un mormon qui en 1968 rejoignait le clan des anti-guerre (pour que son fils Mitt puisse ainsi échapper à l'envoi au Viet-Nam ?) et un fils qui aujourd'hui se dit aujourd'hui lui aussi "opposé à la guerre" ? En détail, certains se sont souvenus en effet de l'affaire de George Romney, craignant semble-t-il une funeste hérédité de girouette politique chez le fils : "voici donc l'affaire (pardonnez-moi d'aller plus loin, mais je viens de me rafraîchir la mémoire en lisant l'excellent Rick Perlstein "Nixonland") : Romney avait dit en 1965, après une visite au Vietnam, que l'engagement américain était « moralement juste et nécessaire et avait probablement renversé une modification de l'équilibre de puissance supérieure à si Hitler avait conquis l'Europe. " Des trucs assez forts et un exemple du genre d'idiotie profonde qui nous a conduit à cette guerre. En 1967, alors qu'il s'apprêtait à défier le président Lyndon Johnson, Romney a pris une position complètement différente en affirmant que l'engagement américain au Vietnam avait été une erreur dès le début. Dans une interview télévisée avec une station de Detroit, il a été confronté à sa déclaration précédente et a été accusé d'avoir changé radicalement d'opinion ("Plus ça change" noté en français dans le texte original). Romney a répondu : "Quand je suis revenu du Viet Nam, je venais d'avoir le plus grand lavage de cerveau jamais reçu par un individu" Il a ajouté qu'après le voyage, il avait fait une étude approfondie de l'histoire du conflit et en avait conclu que cela avait été une "tragique" bavure d'envoyer des troupes américaines dans une guerre terrestre d'Asie et qu'en fait, il n'était nécessaire d'envoyer des soldats américains pour empêcher une prise de contrôle chinois de l'Asie du Sud". Selon l'auteur, ce soir-là, George Romney avait chuté de 16 points d'un coup dans les sondages ! Imaginez en ce cas l'opinion du père de Mitt Romney quand un membre de son parti, à savoir G.W.Bush a décidé d'envahir l'Afghanistan, puis l'Irak... Ou quand il appris le lavage de cerveau véritable cette fois subi par les prisonniers de Guantanamo... ou d'Abou Graïb...
"Le terme "lavage de cerveau" avait été le moment fort de cet interview, nous rappelle l'auteur de l'article, car « le terme lavage de cerveau est entré en usage après la guerre de Corée pour expliquer pourquoi certains prisonniers de guerre, prétendument insuffisamment forts dans leur patriotisme pour résister, ont choisi de rester en territoire ennemi et de dénoncer les Etats-Unis - ce que l'impitoyable fait aux esprits faibles. Aucune des deux parties de l'association d'idées faite par Romney ne pouvait alrors plaire aux électeurs : l'idée que les architectes de la guerre du Vietnam étaient impitoyables, et la notion d'un président plutôt mou d'esprit. " Ce qui est craint, aujourd'hui, c'est que le fils fasse de même : "le fils de George Romney, Mitt, essaie de naviguer dans des eaux similaires. Il a changé sa position sur un certain nombre de questions, mais il semble vouloir nier qu'il l'a fait et ne souhaite pas expliquer clairement pourquoi il l'a fait. J'ai écrit un il ya quelques jours qu'il faut s'adresser directement à ses relations et expliquer pourquoi il les a faites. Mais compte tenu de l'expérience de son père avec ce genre de choses, je pense que je peux avoir un soupçon de sympathie pour sa réticence à le faire". L'ombre du père pèse sur la carrière du fils, qu'il avait couvée à ses débuts : en 1994, un an avant l'infarctus qui allait l'emporter, il avait activement (et finacièrement) participé à la campagne de son fils Mitt Romney pour devenir sénateur du Massachusetts contre Ted Kennedy, qui lui rafffera haut la main la mise.
Battu de 16 points d'écart, par un Kennedy dont c'était le 6eme mandat, Mitt avait tenu des années après à donner son explication toute personnelle de son échec ; "quand j'ai vu Ted Kennedy se lancer pratiquement sans opposition, un homme qui selon moi, en vertu des politiques de l'État-providence libéral avait créé une classe marginale permanente en Amérique, je pensais que quelqu'un devait se présenter contre lui ", a déclaré Romney." Il m'est arrivé d'avoir été assez sage pour comprendre que je n'ai pas eu l'ombre d'une chance de le battre. ... J'ai dit à mes partenaires dans mon cabinet, je serai de retour dans six mois, ne prenez pas ma chaise. Je me suis réjouis qu'il dut prendre une hypothèque sur sa maison pour finalement me vaincre. Je suis très fier du fait que je suis resté en tant que citoyen d'une bataille où j'ai senti qu'il était le meilleur pour la nation, et nous parlons aujourd'hui de candidat à la présidence. Je suis dans la course parce que je me soucie du pays. " Mitt est comme son père, il réécrit quand bon lui semble l'histoire à sa façon, et transforme ses échecs monumentaux en demi-victoire (ou demi-défaite, plutôt !). On notera la jouissance de l'endettement de son adversaire : Romney ne jure que par l'argent, ce qu'une photo de son cabinet d'avocats d'affaires et d'investisseurs Bain Capital résume très bien : ils brandissent tout le dieu dollar, certains le billet vert entre les dents (Romney est au milieu de la photo, le dollar en main). La politique de Romney se résume à ça, en réalité. Il dépensera 7 millions de dollars pour sa campagne (et forcera Kennedu à en dépenser davantage, 10 millions).
Kennedy avait lui trouvé un autre argument massue à l'encontre de son adversaire : il avait fait remarquer que chez les Mormons, il ne peut y avoir de prêtre... noir (alors qu'au tout début de la doctrine d'anciens esclaves l'avaient été :"pendant près de 150 ans, l'Église mormone enseigne que les gens à peau sombre (partiellement Africains) ne pouvait pas obtenir le salut véritable, la vie éternelle (c.-à-la Divinité dans le plus haut des cieux : le royaume céleste*)). L'autre argument étant des interviews dévastateurs des anciens employés d'Ampad, une firme rachetée par Bain Capital et aussitôt liquidée, laissant ses ouvriers sur le carreau (dont des femmes enceintes)...-"en 1992, Romney Bain Capital a acheté American Pad and Paper (Ampad) pour 5 millions de dollars. Bain a commencé à augmenter la dette de l'entreprise de façon spectaculaire dans le but de payer les frais d'acquisitions et de financer rapidement Bain. En trois ans, Bain avait porté la dette de l'entreprise de 11 millions de dollars à 444 millions. Dans le même temps, Bain sabrait les salaires et les prestations de retraite pour les travailleurs. En 1995, Bain a fermé une usine Ampad à Marion, Indiana, pour un coût de 200 emplois et en dévastant la communauté. Quelques mois seulement après la fermeture de l'usine, Bain avait laissé Ampad s'endetter encore plus pour offrir à Bain 60 millions de dollars. Bain a même pris des millions en frais pour lui-même quand il avait permis à Ampad s'endetter pour acquérir de nouvelles entreprises. En 1996, Bain, dirigée par Romney a vendu 40% de ses actions pour 15 dollars par action peu après la prise de l'entreprise publique. En 1998, le stock Ampad était pratiquement sans valeur et l'effondrement en raison de la dette insoutenable de l'entreprise semblait imminente". Au début 2000 Ampad était déclarée en faillite. Le dernier argument de Ted Kennedy étant la position de girouette de Romney sur l'avortement : de favorable, il passera progressivement aux thèses pro-life !
On comprend mieux, à la lecture de cette analyse, pourquoi Mitt Romney est toujours aussi mal à l'aise quand il doit parler de l'armée, qui se souvient de la déclaration dévastatrice de son père : l'ombre d'un Dark Vador devenu pacifiste plane étrangement sur la campagne républicaine... imaginez après ça la défiance à laquelle aura droit le fils Mitt s'il se retrouve à la tête des armées américaines... Voilà qui augure fort mal du futur de ce pays, en cas de victoire républicaine !
(*) voir ici l'hilarant reportage sur les Mormons noirs (ré-admis en 1978 seulement comme fidèles par l'Eglise mormone !) fait par le John Stewart show... sidérant de vide de pensée !
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