Mitterrand observe un devoir de réserve dans la polémique entre Ndiaye et Raoult
Minimum culturel syndical, hier, après les réactions du député Eric Raoult : « Le Prix Goncourt est une entreprise privée, tout à fait remarquable a expliqué Frédéric Mitterrand sur Radio France Isère. Donc, les écrivains qui reçoivent le Prix Goncourt, et Marie Ndiaye est un grand écrivain, ont le droit de dire ce qu’ils veulent. Par ailleurs, Eric Raoult, qui est un ami et un homme très estimable, a le droit lui aussi en tant que citoyen, voire en tant que parlementaire, de dire ce qu’il pense ».
Le lendemain du jour anniversaire de la chute du mur de Berlin, la veille de l’Armistice, Eric Raoult déclare la guerre. A l’Allemagne ? Non, à la littérature. Enfin, c’est plus compliqué que ça : à Marie Ndiaye, l’auteur de Trois femmes puissantes (Gallimard), lauréate du dernier prix Goncourt.
Comme souvent chez les guerroyeurs enthousiastes, Eric Raoult aime la castagne, mais ne sait pas vraiment pourquoi. Pour le plaisir, sans doute. Trop de réflexion tue la réflexion et Eric Raoult, député UMP de Seine Saint-Denis (et vice président de l’Assemblée nationale), n’est pas une « tarlouze », mais un homme d’action qui aime l’ordre (en langue de bois cela signifie, comme dit son ami Dominique Paillé, qu’il est « entier »). Par exemple Eric Raoult apprécie les régimes stables : Israël (il est président de l’Association des élus amis d’Israël) et la Tunisie (il est aussi Président du groupe parlementaire d’amitié France-Tunisie). Deux pays en paix avec eux-mêmes. Qu’importe le prix à payer pour les populations.
L’ordre et la stabilité il l’apprécie aussi chez lui. Je veux dire chez nous. Par exemple il n’y a pas si longtemps il souhaitait rétablir la peine de mort (pour certains criminels seulement). Eric Raoult qui jadis ne voulait pas de logements sociaux dans sa ville, préférait que les taxes municipales servent à payer les amendes compensant le manque d’HLM. Eric Raoult manie l’aphorisme : « Dès qu’il y a un enfant, il faut un papa et une maman », a-t-il déclaré un jour. Ou bien : « On ne peut pas, dans les écoles de France, être partagé entre d’un côté le voile et, de l’autre, le string. Ces tenues ne seraient même pas permises dans une discothèque ! ».
Alors bon, ce n’est pas une moricaude qui va lui donner des leçons de France. Le 10 novembre, il s’échauffe contre Marie Ndiaye qui déclare dans les Inrockuptibles : « Je trouve cette France-là monstrueuse. Le fait que nous (avec son compagnon, l’écrivain Jean-Yves Cendrey, et leurs trois enfants – ndlr) ayons choisi de vivre à Berlin depuis deux ans est loin d’être étranger à ça. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : “La droite, c’est la mort.” Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible. Et même si Angela Merkel est une femme de droite, elle n’a rien à voir avec la droite de Sarkozy : elle a une morale que la droite française n’a plus ».
Le sang (français) de Raoult ne fait qu’un tour (de France ?). Tous à Berlin ! s’écrie-t-il en armant son chassepot. Calme-toi, lui lance Corinne, sa femme (qui l’avait prévenu de la sortie il est vrai « snob » et un « peu bête » de la lauréate du Goncourt), calme-toi mon rat, la Ndiaye a dit ça avant de recevoir le prix. C’est vrai. Eric Raoult fait semblant de ne pas remarquer que la date de l’interview accordée par Ndiaye à l’hebdomadaire débranché datait du 30 août et que la remise du prix Goncourt, lui, ne datait que du 2 novembre. Ça change tout, non ?
Non. Car il adresse hâtivement un comminatoire communiqué à Frédéric Mitterrand : « Monsieur Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du Prix Goncourt ». Petite réflexion personnelle : « le devoir de réserve, dû aux lauréats du Prix Goncourt » , cette phrase ne signifie rien. Ou alors, si je comprends bien, Eric Raoult devrait être plus réservé envers Marie Ndiaye. Poursuivons : « En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française ».Note en bas de page : « regardé » ? Je croyais qu’il était lu. Je comprends mieux, maintenant… Reprenons : « A ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays ». Note en bas de page : sans doute Eric Raoult fait-il ici référence à Alphonse de Chateaubriant (avec un t), Henri Béraud ou René Benjamin ?
La suite, maintenant : « Les prises de position de Marie Ndiaye, Prix Goncourt 2009, qui explique dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve "cette France [de Sarkozy] monstrueuse", et d’ajouter "Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux", sont inacceptables. Les propos d’une rare violence, sont peu respectueux voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du Chef de l’État. Il me semble que le droit d’expression, ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de compte personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions, plus de respecter le rôle et le symbole qu’elle représente. C’est pourquoi, il me paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière ? ».
Un écrivain, sauf s’il est payé par le gouvernement, ne défend qu’une chose : l’expression. Et puis c’est quoi, les couleurs littéraires de la France ? Le pays de Marie Ndiaye, ce n’est pas la France, l’Allemagne ou le Sénégal, mais la littérature. Raoult en est encore au Tour de France de deux enfants. Il aurait mieux valu que Marie Ndiaye glisse sa tirade dans la bouche d’un des ses personnages. Puisqu’Eric Raoult regarde les livres au lieu de les lire cela nous aurait épargné de grotesques chamailleries. Il est vrai que de nos jours l’écrivain doit tout faire lui-même : écrire et assurer sa promotion. Un écrivain qui parle, à l’instar d’un homme politique, ne dit pas toujours des choses sensées. Il faut savoir leur pardonner.
Chaque année Louis XIV versait à Corneille 2000 livres de rentes, à Perrault 1500 et à Molière 1000 (seulement 600 à Racine). Cela obligeait les gens de plume à un devoir de réserve certain envers le prince. En contrepartie ils pouvaient travailler sereinement. Depuis, la littérature est entrée dans l’ère libérale, c’est l’éditeur qui paye, mais il faut payer de sa personne pour vendre. Cette privatisation ne devrait pas déplaire à Eric Raoult qui semble pourtant regretter, curieux anachronisme, l’époque où l’écrivain était au service du parti. « Mais le poète n’a pas à entretenir chez autrui une illusoire espérance humaine ou céleste, ni à désarmer les esprits en leur insufflant une confiance sans limite en un père ou un chef contre qui toute critique devient sacrilège ». Eric Raoult n’a peut-être pas lu - seulement regardé ? - Le déshonneur des poètes, de Benjamin Péret.
Raoult considère donc que Marie Ndiaye, l’auteur de Trois femmes puissantes, est la représentante de la culture française dans le monde (en plus de représenter le commerce du livre). Ça serait, à l’en croire, une idiote utile qui en ces temps identitairement corrects symboliserait le mieux la « race française », c’est-à-dire, comme disait Bardamu, « ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici, poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c’est ça les Français ».
Ce n’est pas son Goncourt que Raoult reproche à Ndiaye, ce qui n’aurait constitué au final qu’une vaine attaque de plus contre cette récompense de fin d’année. Il lui reproche d’avoir trahi un territoire, une terre, qu’il estime être la sienne. Il ne manquerait plus qu’il la fasse breveter, la France. Que Sarkozy, Besson, Hortefeux et Raoult soient Français, passe encore, c’est dans la logique de cette introuvable identité, mais qu’ils ne viennent pas nous donner des leçons de France. Que la France soit défendue par de tels baltringues, c’est douloureux. Qu’en outre ces esprits calculateurs nous imposent le devoir de dénicher le génie de la France jusque dans le Goncourt, ce beaujolais nouveau littéraire, les bras m’en tombent.
Oui, en dehors de leurs livres, les écrivains devraient savoir se taire. Voyez Céline (soyez sans crainte, je ne le compare nullement à Marie Ndiaye), génie et crapule, extrêmement Français dans les deux cas. Eh bien, le génie ne lui a pas suffi. Il lui fallait aussi en rajouter une couche avec des idées, ces idées qu’il trouvait vulgaires, ces idées sans spécialités, les mêmes que manient avec tellement de brio les Raoult, les Besson, les Hortefeux…
Marie Ndiaye a demandé l’arbitrage de Frédéric Mitterrand afin que ce dernier mette un terme à cette grotesque mascarade. On est pour l’heure sans nouvelle du ministre de la culture. Pas d’impatience : on sait qu’il soutient promptement les artistes dans le malheur. Avec un bémol : Sur Radio France Isère, il a expliqué hier qu’il n’avait pas « à arbitrer entre une personne privée qui dit ce qu’elle veut dire et un parlementaire qui dit ce qu’il a sur le coeur ». C’est envoyé.
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