Mitterrand vu du ciel
Plus opportuniste que Sarkozy, plus truqueur que Chirac, aussi honnête que Tiberi, François Mitterrand, ancien roi des gauches, renaît de ses cendres dans les librairies. Ou l’art de faire prendre une lanterne pour un messie...
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Souvenez-vous : 1981, au mois de mai, la rose au poing, une certaine France arpente Paris comme si elle se rendait à la messe, pleine d’espoir, de confiance et d’envie d’y croire. Le responsable de ce pèlerinage absurde est François Mitterrand, élu au nom de toute la gauche, censé annoncer des lendemains qui chantent.
Souvenez-vous, les petites mains jaunes au revers de la veste, les radios libres, les premières Fêtes de la musique, souvenez-vous, le premier ministre le plus jeune de l’histoire, Daniel Balavoine qui agite son blouson de cuir, et tout le toutim.
Souvenez vous...
Certains, en tout cas, n’en peuvent plus d’oublier, n’ont pas envie de croire qu’il est mort, qu’il n’est plus, que tout le cirque a replié son chapiteau.
Aujourd’hui, Mitterrand revient, et Libé le célèbre, Libé, vous savez, le quotidien de Serge July infiltré par Rostchild et désormais obligé de se plier aux lois du marché, loin des belles âmes.
Mitterrand revient, et Le Monde en rajoute, sur quatre pages, un Monde très écouté à l’époque par les oreilles du Prince, qui n’hésitait pas à fliquer tous ceux qui le gênaient, ou qui faisaient mine de le faire.
Mitterrand revient, et les barons s’expriment, se répandent, les Pascal Sevran par là, les Hanin par ici, les partisans de l’inventaire et ceux qui préfèrent se taire, se taire sur les affaires.
Oui, parce que le monarque à la rose, c’était surtout des couleuvres, et pas des minces, c’était surtout des truquages, et pas que des marchés, c’était de la combine à tous les étages, c’était beaucoup d’intelligence au service d’une filouterie extrême, c’est-à-dire la politique en son point culminant (Solutré mis à part), sans gant, sans chichi, sans idéologie, sinon dévoyée, sinon détournée. François Mitterrand, le Prince, le Roi des rois, le plus littéraire de nos présidents, un des plus romanesques.
Aujourd’hui, on exhume. Ses derniers moments, ses premiers, ses entretiens avec Duras, ses réflexions sur la politique, dans toutes les collections, dans toutes les éditions on déterre le vieux, comme s’il était devenu la seule figure présentable du barnum politique. Le seul en qui aujourd’hui certaines âmes perdues font semblant d’avoir confiance. On se raccroche à la méduse plutôt qu’au radeau.
Pourquoi un tel acharnement ? Pour renflouer une famille ruinée ? Pour excuser Mazarine de n’être qu’une fille banale, un écrivain quelconque ? Pour mettre un peu plus le souk chez les Hollande ? Pourquoi cet entêtement à vouloir à tout prix faire entrer dans la tête de l’Histoire que cet homme était un Grand, voire un Très Grand Homme ?
C’est comme les baromètres d’opinion, c’est curieux : à la question : « Quel Français préférez-vous ? », on nous fait croire qu’on répond l’abbé ou le tennisman, ou le footballeur, c’est selon, mais on nous dit que c’est notre choix, notre envie, que pour nous, elle est bien là, la France, dans cette barbe, dans ces mollets, dans ces dribbles.
N’importe quoi, bien sûr, comme vouloir nous faire gober qu’en 1981, quelque chose d’irrémédiable, de beau et de tragique s’est passé, et qu’on ne s’en est jamais totalement remis. Alors qu’en 1981, un long espoir insensé a commencé à se saborder, et n’a fini sa décrépitude qu’à la mort du souverain, usé jusqu’à la corde, jauni, à sec, plus enterré que ses dossiers.
Aujourd’hui, dans les librairies, mieux qu’Harry Potter, c’est Mitterrand qui souffle les bougies de la nouvelle année, immanquable, incontournable, ses vieux textes, ses prétendues petites phrases, sa prétendue élégance, Mitterrand à toutes les sauces, pour nous faire croire qu’il est encore à la page.
Que nous prépare-t-on encore ? Mitterrand et la Coupe de feu ? Mitterrand et la Princesse de sang mêlé ? Que veut-on nous faire croire ? Qu’en ces temps troublés, où les cinéastes éclairent le monde comme un coup de grisou éclaire une mine en Chine, un Guide serait le bienvenu, et que ce Guide, nous l’avions trouvé, élu, choisi, un soir de mai 1981 ? C’est aux jeunes générations qu’on veut faire croire ça ?
Sans doute. Après le totem de Gaulle, lui aussi grand succès d’édition, mais aujourd’hui un peu très flétri, on tente d’installer une autre figure de proue de la deuxième moitié du XXe.
Ce ne sont plus, il est vrai, des littéraires qui gèrent les maisons d’édition, depuis longtemps. Ce sont des financiers. Qui ne lisent que peu, sauf les bilans comptables. Qui inondent pour tirer le maximum. Qui se moquent, bien sûr, comme de leur dernière Internationale, de la figure Mitterrand. Qui n’ont aucun scrupule à tirer le maximum du moindre os.
Ce n’est pas nouveau. Mitterrand aurait approuvé. Et ce grand cynique, c’est vrai, aurait parfaitement été à son aise dans cette époque à sa taille. Comme un poison dans l’eau. Dilué, invisible, fatal.
C’est comme ça, aujourd’hui, on se trompe de mal, on se trompe de remède. Alors, après Che Guevara en pins, tee-shirt, porte-clés et bol à soupe, pourquoi pas Mitterrand dans la Pléiade ?
On a les cultes qu’on peut.
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