Modiano : « un pedigree » ou le roman-portfolio
Souvent un texte court est le meilleur révélateur d’un talent d’écrivain. Patrick Modiano dans son « Un pedigree » (Éditions Gallimard, 2005) confirme sa veine narrative assez séduisante, explicitée dans une langue simple et linéaire, tradionnellement classique. Même s’il y a, pour un lecteur peu avisé, le risque que ce petit texte l’emmène dans une réalité autre que la sienne, peuplée de fantômes du passé qui réapparaissent sous forme de cauchemars. Il n’y a pas de texte de Modiano où l’auteur ne fasse référence à la dernière guerre et à la période de l’Occupation à Paris. Une réalité historique et culturelle qu’il n’a pas vécue, mais dont il a quand même subi les conséquences sur le plan profondément intime (n’oublions pas que le père de Modiano était juif).
Le texte apparaît moins roman qu’un document personnel. On y trouve en fait les ingrédients du parcours autobiographique à la manière d’un portfolio : le « moi » du narrateur qui fait tout un avec le « moi » du héros, une longue et étouffante succession de rues, de quartiers, de cafés, de noms de personnes réelles plus ou moins connus, des lieux de passage reportés avec une si scrupuleuse exactitude, dirait-on « photographique », qui pourraient susciter, de prime abord, chez le lecteur, un sentiment d’ennui et de rejet.
A contrario, sous la plume sûre de Modiano, ces mêmes faits et gestes s’animent prodigieusement, entraînant le lecteur et Modiano lui-même dans une atmosphère de rêverie, à la recherche des racines. « J’écris pour savoir qui je suis, pour me trouver une identité » répond-il à une question sur le sens de son écriture.
C’est que Modiano veut inspirer l’odeur du temps passé, non certainement pas dans un esprit nostalgique (tous savent ses idées sur la Collaboration), mais pour combler une lacune culturelle et ambiante qu’il associe à ses origines souffrantes et obscures. En écrivant « Un pedigree » il a voulu remplir un vide, les années de son enfance et de son adolescence, pour y re-trouver un accord avec soi-même et avec ses parents. Et Modiano entreprend ce voyage à rebours en victime vulnérable marquée par la solitude. Sa famille est divisée et en désaccord sur tout de sorte que le détachement de ses parents est vu comme une libération. Sa mère, indifférente et préoccupée uniquement de son travail d’actrice, aimant le voyage et la bonne table, n’a pas été capable de transmettre à son fils l’amour et la sécurité dont il avait besoin. Son père, Albert, un homme entortillé et ambitieux qui mène une vie de précarité et de corruption, admire les êtres à succès.
Timide et pris entre ces deux personnalités fortement individualistes Modiano est seul mais résolument convaincu à trouver sa voie dans l’écriture grâce à laquelle il réussit à construire une identité certaine, son identité.
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