Moi, travailleur lâche et complice de racisme
Acturevue publie le témoignage d’un serveur qui avoue et dénonce sa faute. Celle d’avoir accepté le racisme de son patron. Il s’indigne de ce comportement et du sien. Il aurait voulu refuser sa complicité.
Aujourd’hui j’ai besoin d’écrire. Ecrire, parce que j’ai honte.
Etudiant, j’essaye de gagner ma vie en étant serveur dans un restaurant, rive gauche à Paris. Etre serveur, c’est obéir à des règles, respecter des codes, se soumettre à son patron. Il faut appliquer, accepter, respecter et surtout se taire.
Les produits que l’on propose sont chers. Les stratégies que nous utilisons sont perverses et n’ont qu’un seul but : que le client consomme toujours plus.
Parfois, mon patron me demande de virer un SDF parce que « ça fait sale dans le restaurant ». A d’autres moments, je ferme les yeux quand je vois le patron payer 5 euros de l’heure un plongeur tamoul d’origine, quand je sais malgré tout, que cela se fait au « black » et que je suis payé le double. Souvent, je reste silencieux face aux exigences et aux caprices du client. A la manière d’un ministre, je dois « fermer ma gueule ou démissionner ». Mais, ce qui me révolte aujourd’hui, c’est ce que j’ai dû accepter la semaine dernière, sans rien dire, parce que je suis lâche.
"Même les juifs enlèvent leur casquette !"
Nous sommes mardi soir, et le patron vient comme à son habitude, prendre son, ou plutôt ses verres, en terrasse. Je sers les clients, tout en m’assurant que son verre de vin n’est jamais vide. Quelques heures plus tard, il rentre dans le restaurant pour vérifier que tout se passe correctement et pour, ce soir là, évaluer le type de clients qui consomme dans son restaurant.
Le patron s’approche de moi et me demande :
« C’est qui les clients, là bas, assis au bar ? »
Naïf et débordé, je réponds bêtement :
« Ce sont des habitués. Mais, ils sont calmes, ils ont juste pris quelques bières et du vin. »
Je pensais que le patron se souciait de leur taux d’alcoolémie. Je n’avais pas imaginé que ces trois clients, la cinquantaine, poseraient problème parce que ce sont « trois arabes ».
La patron, énervé, ajoute :
« Et ben franchement, quand on les voit, ça donne pas envie de rentrer ici. »
Cela aurait pu s’arrêter là. Le patron devait rentrer chez lui. Il aurait pu partir. Mais non, il a fallu qu’il aborde l’un des protagonistes au teint malheureusement hâlé et qui portait un chapeau :
« Vous savez que c’est pas poli de garder sa casquette dans un établissement ? ».
L’homme au chapeau l’ignore d’abord et continue de parler à ses amis. Puis le patron, qui à ce moment là se baladait avec son chien en laisse dans le restaurant, revint à la charge :
« Vous avez entendu ? Quand on est poli, on ne garde pas son chapeau à l’intérieur d’un restaurant. Même les juifs enlèvent leur casquette ! ».
Les trois personnes stoppèrent net leur discussion. Moi à côté, je tapai des consommations à la machine, et constatai, ébahi, leur calme et leur patience. L’un des trois répondit au patron :
« Vous savez que c’est pas poli de se promener avec un chien dans un restaurant ? »
Il n’en fallait pas plus pour que le patron explose de rage, de bêtise et de haine :
« Vous n’êtes pas les bienvenus ici. On ne veut pas de vous ici, changez de maison ! »
Dans une autre ville, dans un autre restaurant, face à d’autres personnes, le patron aurait reçu au mieux un coup de poing dans la figure. Au pire…
Mais, par chance et par sagesse les trois hommes n’ont pas bougé, n’ont pas répondu. Ils m’ont simplement demandé qui était l’homme qui criait des choses racistes. Et j’ai répondu à la fois gêné et soulagé que c’était le patron.
Un autre client, qui mangeait à côté des « trois arabes » a été courageux. Il a regardé dans les yeux mon abruti d’employeur et lui a lancé :
« Vous êtes vraiment un abruti vous ! »
« Moi je suis un abruti ? Je vous pisse à la raie vous ! Vous devez être un socialiste, et bien j’emmerde les socialistes ».
Sur ces belles paroles le patron est parti.
Ne rien dire, être complice
Ces répliques semblent caricaturales, grotesques et pourtant elles sont bien réelles. Ces choses-là doivent se produire souvent. Les cons sont partout, et il arrive qu’ils aient à diriger des gens ou à gérer un établissement. Mais les lâches sont aussi partout et j’en fais aujourd’hui partie.
J’étais à côté du patron, face à ces trois hommes. Je les regardai dans les yeux, pendant qu’ils se faisaient insulter. J’aurais dû jeter mon plateau, démissionner, et montrer mon désaccord. J’aurais dû m’indigner d’une situation que je juge inacceptable. Mais je n’ai rien fait.
Mon histoire n’est pas bien grave, mais elle révèle une chose : le courage est un effort, une lutte, un combat. Bien sûr que si je démissionne, je me mettrais en difficulté. J’ai une place en or qui me permet de payer mes études et mon train de vie de jeune insouciant. Mais, au prix de combien de compromis ? Si j’accepte que des gens se fassent insulter parce qu’ils sont arabes, qu’accepterais-je demain ?
Si je réunis mon courage pour refuser cela, et que d’autres le réunissent aussi, ne pouvons-nous pas imposer nos principes ? Je suis comme d’autres, esclave d’un système. Et je constate aujourd’hui que j’en suis à la fois victime et complice. Jusqu’à quand vais-je devoir accepter, de manière passive et lâche, que mes valeurs soient bafouées par ceux à qui je dois ma place ?
Comme l’avait dit Périclès :
« Le bonheur, c’est la liberté. Et la liberté, c’est le courage ».
Je sais aujourd’hui que je dois refuser ces compromis. Que je dois claquer la porte, seule façon pour moi de m’indigner et de condamner une telle situation. Quand est ce que je serai assez courageux pour partir, au risque de ne pas trouver un autre emploi ? Je ne sais pas, mais je sais qu’il faut que je le fasse.
Et si tout le monde faisait cela. Et si nous nous soumettions tous à des principes que nous jugeons vertueux, plutôt qu’à un système que nous savons détraqué ?
Ce témoignage est sûrement utopique, mais il est pour le moment le seul moyen que j’ai d’avoir un peu moins honte. Ecrire pour dénoncer le racisme de mon patron et ma lâcheté. Ecrire, comme un moyen pour moi d’expier ma faute. Celle de ne pas avoir pris la bonne décision, au bon moment.
D’un serveur anonyme, parce que pas courageux
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