Pourquoi je fais la grève ce jeudi 14 novembre
Monsieur le président, si je m’attelle à cette lettre, c’est que j’ai un dernier espoir encore aujourd’hui. Je lisais récemment le livre de Rosa Montero « Instructions pour sauver le monde » où elle parle de la théorie des vases communicants de Fieldman, qui retrace la belle idée poétique qu’il y aurait une force du mal qui conduit à plus d’entropie dans le monde et que pour contrecarrer, il y aurait une force du bien qui contribuerait à plus d’ordre. C’est une belle idée et je me dis que si nous français, nous avons voté pour vous et si les américains ont voté- par deux fois- pour Barak Obama , c’était pour contrecarrer cette entropie généralisée qui conduit inexorablement notre monde vers sa perte. Le sujet de cet essai ne sera pas la mondialisation, l’esprit devenu complètement mercantile de ceux qui ont les rênes du monde, les multiples pollutions qu’on subit chaque jour et la course vers le toujours plus, toujours plus de quoi, à part de subir de manger et respirer de plus en plus de la merde comme dirait jean pierre Coffe, toujours plus d’entropie en terme scientifique, mais je tenais à vous dire en préambule que nous avons voté de notre côté du monde et de l’autre côté-outre atlantique- pour combattre cette entropie et que nous avons porté tous nos espoirs dans ce vote , en pensant que nous irions vers plus d’humanisme . Vers ce que disait Danielle Mitterrand du socialisme : le socialisme est tourné vers l’humain, le capitalisme vers le commerce, l’argent et prêt à sacrifier l’humain. Nous avons voté pour aussi plus de justice, d’équité, de répartition. Bien sûr, de ce côté-ci comme de l’autre côté, nous sommes amenés à nous poser des questions sur le bien-fondé de ce vote et la seule réponse actuelle, c’est de nous dire que vous étiez les moins pires alors que nous vous souhaitions les meilleurs. Ce qui n’est pas du tout le même espoir.
Le sujet de cette lettre sera essentiellement axé sur notre école et quelle école nous souhaitons pour nos enfants. Je m’inquiète sérieusement aujourd’hui aussi bien en tant qu’enseignante mais aussi en tant que parent de la réforme envisagée aujourd’hui. Et je souhaiterais vous parler de notre vision de l’école car je pense que même si l’éducation est un des plus gros budgets de l’état, voire le plus gros, vous n’avez peut-être pas le temps étant donnés les nombreux problèmes que connait la France et donc les nombreux chantiers envisagés pour colmater les brèches de vous pencher sur une question d’éthique ou de déontologie et pourtant c’est là, que la nouvelle réforme ne vient en aucun cas secourir notre vision humaniste d’enseignants mais au contraire nous soustraire une partie de notre mission.
Je reprends un extrait du livre « Nos enfants ne sont pas à vendre » de Joël Bakan. « Depuis le début des années 1980, les enfants, les enseignants et les écoles sont tenus responsables du déclin des Etats-Unis dans l’économie mondiale. Dès ces années-là, les industries et les gouvernements ont commencé à déclarer d’une seule voix que le système d’éducation ne préparait pas les élèves aux exigences d’une main d’œuvre compétitive, que la médiocrité de l’enseignement faisait courir aux Etats-Unis le risque de devenir une nation de second ordre et que seule une réforme radicale de l’école publique pouvait mettre un frein à cette tendance. » et s’ensuivent l’explication de la mise en œuvre des programmesNo Child left behind de George W.Bush ou sa prolongation par Barak Obama nommée Race to the top où dans les deux cas, ces réformes mènent à plus d’ examens (chez nous évaluations), plus d’heures de cours, dans la semaine et dans l’année et plus de spécialisation précoce et des enseignants payés à l’efficacité. Non, vous ne rêvez pas, c’est bien d’efficacité dont il est question et c’est là que nous nous trouvons dans une vision de l’école diamétralement opposée à notre conception à nous, acteurs de la base. La plupart des écoles publiques aux Etats-Unis se sont vus retirer leurs subventions quand les résultats n’étaient pas au rendez-vous et des enseignants mis à pied. Mais de quel rendez-vous s’agit-il et de quels résultats devons-nous être tributaires ?
Faisons un bref historique sur ce que j’ai vécu :
Quand j’étais à l’iufm de Bordeaux en 1999, on nous disait encore que nous avions les meilleures maternelles du monde, nous étions encore imbibés des petits livres bleus écrits par Lionel Jospin sur les programmes et bercés par le doux chant des sirènes que l’enfant n’était pas un vase qu’il fallait remplir, mais un être humain que l’on devait placer au centre et essayer d’élever (pas du tout au terme moral) mais d’élever en tant qu’être humain à réfléchir, exercer son sens critique, parler en public, débattre. L’école contre le dernier rempart contre la perte des valeurs. L’école comme dernier siège d’une caste perdue, les honnêtes hommes. J’étais heureuse et fière d’endosser cette mission-là, d’élever des individus et de les aider à mieux comprendre le monde qui les entourait et peut-être de changer le monde futur car on leur livrait les clés de l’ancien monde. Et d’un coup avec les années Sarkozy, on a commencé à voir poindre un doigt accusateur sur l’école. Nous n’avions plus les meilleures maternelles du monde, nous étions les derniers de la classe pratiquement de l’Europe en ce qui concernait la lecture et les mathématiques. Sur cela, s’ouvrent plusieurs débats : pourquoi des évaluations, que prouvent-elles et que disent-elles réellement ?
Comme nous l’avons vu aux Etats-Unis, le but des évaluations mises en place ne semble plus d’améliorer les élèves là où ils ont pêché, ce qui était prôné en 1995, on évaluait pour remédier, c’était le maître-mot de l’époque, celui qu’on nous inculquait en formation de professeur. Evaluer pour remédier était noble car les évaluations étaient là pour savoir où l’élève en était de ses connaissances et il fallait que nous réfléchissions à le mener au seuil cognitif suivant en faisant attention à ne pas brûler des étapes, pour ne pas entasser des connaissances mais bien les construire, paliers par paliers, briques par briques. En cela, nous étions des maçons de la connaissance. Le but caché de ces évaluations maintenant me semble de faire pêcher les élèves afin de nous dénigrer et parvenir ainsi à changer l’école, celle qu’on a connue, celle qui se voulait vecteur d’amélioration d’êtres en devenir.
Et voilà les médias de nous convaincre que notre école est mauvaise, qu’elle crée de l’inégalité, que les enfants ne savent pas lire, que les enseignants ne sont pas formés (jusqu’à présent pourtant, il y a toujours eu un organisme de formation à ma connaissance, qu’il s’appelle E.N. ou I.U.F.M. ) Alors pourquoi véhiculer ces idées reçues ? Qui crée de l’inégalité à part notre société ? Est-on responsables que certains enfants arrivent à l’école sans savoir parler ?
Une autre question pointe : Qui est à la tête des médias et qui a intérêt à nous discréditer ainsi ? Nous discréditer pour cautionner une réforme qui comme aux Etats-Unis viserait à privatiser nos écoles ? à transférer cet énorme budget sur les épaules des entreprises ? A créer de futurs petits consommateurs plutôt que des honnêtes hommes ou femmes, au sens ancien du terme ?
Moi, je pense que vous ne cautionnez pas cela, monsieur le Président mais que vous naviguez avec des conseillers qui visent peut-être cela à terme. Une grande réforme qui s’attaque à l’éthique même notre profession.
Qu’est qu’un test pour évaluer des élèves, si ce test ne vise pas à les améliorer mais à discréditer notre profession. Je recite Joël Bakan : « Avec le test normalisé, la connaissance est ravalée au rang de marchandise ; elle devient une série de chiffres numérisés que l’on peut échanger contre des biens tangibles. Ce qui se perd, ce sont les autres dimensions de l’enseignement : l’intellect, la raison, l’esprit critique, la beauté, la compassion, bref tout ce qui fait ce que nous sommes et ce à quoi nous aspirons. La connaissance finit par être un produit qu’on livre, plutôt qu’un héritage qu’on enseigne. »
Moi, Monsieur le président, j’exerce actuellement en maternelle parce que d’une certaine façon, il y règne encore la liberté pédagogique, inhérente normalement à notre fonction, et je m’applique essentiellement dans mon métier à améliorer les savoir-être de mes élèves, leurs savoir-faire suivent ou suivront plus tard. Je les fais parler, expliquer, s’engager, dire ce qu’ils envisagent comme dénouement à la lecture d’une histoire, pourquoi le loup de Pennart est-il sentimental ? Que veut-dire sentimental ? etc… mais comment voulez-vous les évaluer là-dessus ? Est-ce si important de voir si à la fin de la grande section ils savent copier une phrase correctement du script vers l’attaché ou comprendre les méandres du cerveau de ce loup qui ne mange ni le chaperon , ni Pierre parce qu’il pense à chaque fois à sa famille, qu’il fait de l’empathie, c’est ce qui lui évite de devenir un serial-killer. C’est un débat que l’on pourrait avoir, non ?
Revenons aux évaluations PISA et admettons le bien fondé de telles évaluations pour chiffrer la soi-disante médiocrité de nos élèves par rapport aux autres pays et regardons vraiment là où le bât blesse plutôt que d’asséner une généralisation : les enfants français sont nuls et leurs enseignants avec. Si on y regarde de plus près, ce n’est pas sur l’ensemble de la population que le niveau a baissé, parce que globalement, contrairement à l’idée véhiculée par les médias, l’illettrisme a baissé énormément en France mais c’est une minorité qui entraîne les résultats à leur perte. La classe moyenne obtient de meilleurs résultats qu’auparavant et aussi bons qu’en Finlande.
C’est en effet le niveau des élèves les plus faibles qui a baissé.
En fait, plus que le niveau général des élèves, ce sont les écarts entre les élèves qui s’accentuent.
"Quand on s’intéresse aux élèves qui n’ont pas de retard scolaire, ils sont plutôt bien placés dans les études Pisa, mais il y a plus d’élèves faibles ou très faibles qu’avant", constate Bruno Suchaut.
C’est ce creusement du fossé entre les bons et les mauvais élèves qui fait baisser la France dans les classements internationaux.
Une donnée confirmée par l’Insee : "Si le niveau de compréhension de l’écrit des élèves moyens n’a pas évolué, la plupart des évaluations témoignent d’une aggravation des difficultés parmi les élèves les plus faibles". L’institut souligne que "les compétences langagières (orthographe, vocabulaire, syntaxe) sont en baisse, ce qui explique l’aggravation du déficit de compréhension des textes écrits parmi les élèves les plus faibles."
Et bien entendu, le milieu social est étroitement corrélé au niveau des élèves.
L’étude PISA 2009 souligne que "c’est dans les collèges en zones d’éducation prioritaire que l’augmentation des difficultés est la plus marquée : près d’un tiers de ces collégiens éprouve des difficultés face à l’écrit, contre un quart il y a dix ans".
En France, le statut économique, social et culturel des parents explique une plus grande part de la variation des scores des élèves qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE. En clair, quand on vient d'un milieu défavorisé, on a moins de chances de réussir en France qu'ailleurs (Béatrice Roman-amat).
Ainsi, le niveau moyen des élèves français a tendance à décliner non pas parce que celui de tous les élèves baisse mais parce que les écarts entre les forts et les faibles se creusent et que les inégalités sociales s'accentuent.
Est-on responsables de la misère, Monsieur le Président ? Et dispose t-on de baguettes magiques dans nos écoles pour rendre la parole à ceux qui n’en ont pas ? Et pourtant combien de fois j’ai vu des enfants arriver en petite section sans la parole et ressortir en grande section avec au moins cet outil là, pas très performant en ce qui concernait la richesse du vocabulaire (on ne peut tout pallier, les carences familiales ne peuvent être toutes comblées en classe) mais performant en ce qui concernait les échanges de la vie courante. Donc je veux croire en l’école comme tout petit ascenseur social.
Alors encore cette question qui me taraude : à quoi bon mettre en place une réforme coûteuse pour la nation entière alors que le bât blesse dans les quartiers défavorisés. N’est-on pas en droit de se demander si une réforme qui se voudrait intelligente ne concernerait alors que la minorité qui nous met en faillite aux évaluations PISA ? Que donc les conséquences financières pour le budget de la France seraient moindres et qu’il suffirait seulement recruter des animateurs pour les quartiers défavorisés et mettre en place diverses interventions dans les médiathèques des quartiers, des ateliers de lecture en petits groupes dès le plus jeune âge…le mercredi toute la journée, sans plomber la semaine des autres enfants qui eux, ont le mercredi des activités tels que le sport ou la musique, financées par leurs familles. Mais faire cela, ce serait rétablir une forme d’équité avec une éthique noble et désintéressée, celle d’améliorer les conditions d’apprentissage des élèves les plus défavorisés et n’impliquerait en aucun cas de transférer le budget éducation nationale en budget territorial puis peut-être un jour le céder aux entreprises comme aux Etats-Unis, où il y a des écoles d’aides-soignants dès l’âge de dix ans.
Si on regarde de plus près ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, selon Joël Bakan, le niveau des élèves de ces écoles privées n’a pas augmenté même si les tests ont été parfois truqués et si on regarde chez nous, de nombreuses études montre que la semaine de quatre jours est au contraire favorable aux enfants et que les académies qui la pratiquent depuis un certain temps ont de meilleurs résultats. Allonger la semaine ou la durée de l’année scolaire n’améliorerait en rien les résultats des élèves. Alors pourquoi essayer de suivre l’exemple des Etats-Unis, sont-ils d’ailleurs un exemple, quand on voit le taux d’obésité morbide, de violence, la dégradation de leur environnement avec Monsanto et le taux de cancers, on peut se demander s’il est toujours utile de vouloir les rattraper. On nous présente toujours la France comme exception culturelle, mais on est en droit de se demander si la gratuité de l’éducation n’est pas une valeur remise en jeu aujourd’hui, ainsi que la gratuité de la culture. Les professeurs de langue latine ou grecque sont amenés à disparaître car le CAPES disparait ? A quand la disparition de la musique ? de l’Art ? Toutes ces matières inutiles qui ne conduisent pas à être compétitifs dans le monde actuel, purement économique. Doit-on soumettre nos valeurs culturelles au scalpel de l’économie de marchés ?
Pourtant si on regarde encore de plus près les évaluations PISA, le pays qui se distingue, c’est la Finlande. Et si on étudie le modèle finlandais, comme l’a fait Philippe Meirieu, on s’aperçoit qu’ils ont fait plutôt un recul sur les évaluations, la notation, et qu’ils essaient de s’adapter à chaque cas, comme le préconisait les programmes 1995 de Jospin. L’enfant au cœur de l’apprentissage. Quand sur une année, certains élèves sont en difficulté, on ne leur propose ni un maintien, ni un passage obligatoire dans la classe supérieure (sous principe que le redoublement soit interdit : pourquoi interdit d’ailleurs, si ce n’est qu’un élève de primaire coûte 5000 euros par an à la collectivité en tout cas, cest ainsi qu’il nous a été présenté en conférence pédagogique, comme seule raison de limiter les maintiens) mais les Finlandais ont créé des classes aménagées avec peu d’effectifs pour ces élèves qui n’arrivent pas à apprendre en grand groupe. Rien à voir avec notre dispositif de soutien qui ne se fait que sur une plage horaire trop limitée (une heure maxi), ou avec le dispositif du RASED qui concernait trop peu d’élèves et aussi sur un horaire limité à 1 ou 2 h par semaine. Une classe de 5 à 8 élèves en difficulté sur toute la semaine, voilà une vraie révolution de l’éducation à la finlandaise. Bien sûr, on va entendre les contradicteurs nous dire que cette réforme risque de nous coûter très cher, étant donné le nombre d’enfants en difficulté en France, qu’on est 80 millions et les finlandais seulement 5. Mais Meirieu donne aussi les conditions de cette réussite finlandaise, qui n’a pas grévé leur budget national, c’est de limiter au maximum le personnel qui fait partie de l’education nationale mais qui n’est pas en face d’élèves. Si on regarde les statistiques en France du taux d’encadrement moyen des élèves, on en est à 14.9 élèves pour un professeur en France ! Et pourtant dans nos classes, on oscille entre 28 et 32 élèves depuis quelques années ! Alors avec ce taux d’encadrement, on fait croire que les professeurs se la coulent douce actuellement, alors que nos conditions d’encadrement se dégradent en quantité donc en qualité (qui peut croire qu’on enseigne pareil à 15 élèves qu’à 30 à part les personnes de 80 ans qui vont dire qu’ils ont connu des classes à plus de 40) .Ce qui se passe en France par rapport à la Finlande, c’est qu’il y a de plus en plus de personnels qui ne sont pas en face des élèves, ce qui n’est pas le cas en Finlande. En Finlande, on fait confiance aux professeurs donc ils ont très peu d’inspecteurs, de conseillers pédagogiques… ect..A quoi servent toutes ces personnes en terme de réussite des élèves, à part à sanctionner, noter ? Pourquoi 2 ministres de l’éducation nationale plutôt qu’un ? Pourquoi des inspecteurs de circonscription, des inspecteurs d' académie et quels sont leurs salaires par rapport aux nôtres ? Quand la cour des comptes dénonce une dépense faramineuse dans ce gouffre financier de l’éducation, nous vise t-elle ou vise t-elle toute cette hiérarchie inutile ? Il est trop simple de toujours tout nous mettre sur le dos," le mammouth a tous les défauts" et le mammouth c’est toujours la base , la pauvre base qui est face aux élèves et qui essaie pourtant dans la majorité des cas de remplir au mieux sa mission.(il y a des brebis galeuses mais comme dans toutes les professions et il ne faudrait pas toujours noircir notre profession comme un ramassis de fainéants, la majorité des professeurs que je connais essaie de faire au mieux leur travail).Alors pourquoi des organismes de contrôle ? Il vaudrait mieux contrôler si les taux actuels de pesticides autorisés, de phtalates sont vraiment inoffensifs pour notre santé que celle de nous contrôler. Nous, on est inoffensifs pour la santé de la population française. Les autorités finlandaises font confiance à leurs professeurs, ils ont la liberté pédagogique d’enseigner comme ils le veulent, on ne les tâlonne pas avec tout un référentiels d’objectifs qu’ils souhaitent atteindre à chaque séance, si on leur demande pourquoi ils enseignent, ils répondent qu’ils aiment les enfants. Peut-on tout chiffrer ? Qu’ont appris tous mes élèves à la fin d’une séance ? Nous, on nous le demande en inspection : les objectifs de la séance ? Nos projets d’écriture ? de lecture ? de sciences ? qu’ont appris nos élèves ? et si on répond qu’on aime les enfants, je n’imagine pas la tête de ma hiérarchie …Pour en revenir une dernière fois à la Finlande, il faut noter aussi qu’en plus d’avoir eu l’excellente idée de créer des petites classes d’élèves en difficulté, leurs locaux sont spacieux (plus on entasse les élèves, plus les rapports sont conflictuels), que toutes les 45 minutes, il y a une pause d’un quart d’heure et que ces conditions-là sont à étudier pour nos quartiers les plus défavorisés et les plus violents.
Et puis franchement , qui est réellement fatigué ?
Nous, les parents. Nous, nous sommes fatigués ! Fatigués de poser les enfants à la va-vite à l’école, de courir pour embaucher, de les récupérer, faire faire les devoirs, passer à la douche, et de préparer un repas équilibré pour qu’ils soient en forme et avoir la pêche le lendemain à l’école. Mes enfants sont-ils fatigués ? Et là, j’englobe nous tous parents. Je ne fais aucune discrimination alors que ma profession essuie souvent les quolibets des « travailleurs » normaux et qu’on a toujours le sempiternel reproche d'être toujours en vacances. Je pense que nous, tous en tant que parents, nous sommes fatigués. On n’a plus beaucoup de temps de libre. On nous parle de société de loisirs et pourtant en France, on est bien souvent toute la semaine, la tête dans le guidon avec très peu de moments libres pour nous. Même le mercredi, on court, pour remplir au mieux notre rôle de parents et diversifier les activités de nos enfants.
Les enfants, eux, sont fatigués à partir de la quatrième semaine consécutive d’école (le rythme de 7 semaines, je ne sais pas qui l’a trouvé) , et cette fatigue est plus visible le vendredi. Ils ne sont pas fatigués d’apprendre, car en classe tout va bien cahin caha (sauf que tout peut basculer pour un crayon volé par un copain ) et mais cela se maintient assez calme sur 7 semaines consécutives, mais je pense qu’ ils sont fatigués de la collectivité, de se voir avec les copains "imposés". Les disputes, même en quartier favorisé comme le mien, démarrent la 5ème semaine généralement et ce, jusqu’à la septième, certains ne peuvent plus se voir « en peinture ». Les vacances en cela sont généralement profitables : ils ne se voient plus pendant deux semaines et récupèrent donc de ce trop-plein de collectivités. Et que voudrait faire la nouvelle réforme ? Prolonger ce temps de collectivité mais garder le même temps horaire de classe.
Avant d’envisager une telle réforme, il eût fallu se demander quelle était la cause de la fatigue des élèves. Les moments les plus violents qu’on connaisse et les plus accidentogènes, se passent sur le temps de la cantine. Je me souviens d’une classe de CE2 plutôt difficile et qui était surtout difficile au retour de la pause méridienne (puisque c’est le nouveau mot à la mode). Ils avaient fait du bruit en cantine (bien sûr, ils se lâchent un peu quand ils arrivent à la cantine), l’acoustique des cantines étant , je pense, dans toutes les cantines de France une aberration car le bruit génère encore plus de bruit, et je n’ai jamais entendu parler de cantine non bruyante), ils avaient été punis, enguirlandés par un personnel à bout de nerf et parfois ils avaient été même insulté (la qualification des employés de la pause méridienne en école primaire là-dessus serait peut-être à revoir, avec une formation a-minima) et pénétraient dans ma classe, encore tout énervés de ce qu’ils considéraient comme une injustice : avoir été puni parce qu’ils faisaient du bruit alors que tout le monde faisait du bruit. Même mes minots de 4 ou 5 ans finissent pas être bruyants (voire parfois violents : on a eu des coups de fourchettes et des insultes de la part de grande section lors de cette pause) à la cantine, alors s’il y a vraiment un problème dans nos écoles sur lequel se pencher, c’est bien ce problème de la pause méridienne.
Ne peut-on pas imiter les anglo-saxons et faire le lunch bag sur une pause déjeuner qui n’excéderait pas ¾ d’heure, ouvrir la bibliothèque aux enfants qui n’ont pas envie de s’ébrouer dans la cour etc… Il y a des pistes à explorer pour diminuer le bruit et les tensions inhérentes à cette pause méridienne. La prolonger sans donner aux élèves une possibilité de s’absoudre d’une partie de la collectivité, c’est s’exposer au pire. Les enfants les plus calmes de nos classes sont les enfants qui sont externes et des externes, il n’y en a plus que 2 ou 3 par classe actuellement.
Bon, ma lettre est longue donc je conclurai donc par mon espoir, mon effet loth, et par un mot de pierre Frackowiak qui résume ce qu’aurait été un bon point de départ de travail pour faire une bonne réforme :
"On ne peut concevoir de véritable réforme que dans le cadre d’un grand projet éducatif inscrit dans un projet de société, dans une perspective d’avenir à long terme, avec une vision humaniste, démocratique, généreuse, encore absente aujourd’hui. Mais, il n’est pas encore interdit d’espérer et de lutter." Pierre Frackowiak
Donc je suis en grève jeudi 14 novembre pour lutter et espérer une meilleure réforme.