Trois affaires invraisemblables
Poursuivi devant la Cour de Justice de la République, cet ancien ministre emblématique de la politique française contemporaine était poursuivi en personne pour trois affaires où il lui était reproché d’avoir prétendument usé de ses fonctions ministérielles pour soutirer de l’argent. Il était soupçonné, dans la première, de corruption pour avoir accordé en échange de plusieurs millions de francs en 1994 à un honorable citoyen l’exploitation du casino d’Annemasse, contre l’avis des autorités administratives et policières. Dans la deuxième affaire, le transfert du siège de la branche transport de GEC-Alsthom en Seine-Saint-Denis aurait été autorisé en 1994 contre le versement de plusieurs autres millions de francs versés à un intermédiaire mort depuis, présenté comme proche du ministre. La troisième affaire enfin est une histoire de vente d’armes par la Sofremi, une société sous tutelle du ministère de l’Intérieur : elle aurait versé des commissions à des gens présentés aussi comme proches et même fils du ministre, à l’occasion de marchés conclus principalement en Amérique latine.
Des affaires de collaborateurs indélicats
C’était cousu de fil blanc. L’accusation ne pouvait apporter la moindre preuve à ses allégations contre M. Pasqua, tout juste des présomptions dites sérieuses et concordantes, comme quand on veut noyer son chien. Elles concernaient en fait uniquement des proches collaborateurs indélicats qui auraient, à l’insu d’un ministre intègre, fait valoir leur proximité avec lui pour extorquer de l’argent à des quémandeurs de faveurs.
En apprenant ça à l’ audience, M. Pasqua en a d’ailleurs été tout retourné, lui qui avait mis toute sa confiance en ces hommes. Il a même solennellement assuré que s’il en avait été informé, il aurait été le premier à conduire à la police ces "faisans" qui se servaient de son aura à son insu pour accomplir leurs forfaits.
Le sophisme de l’avocat général
L’avocat général qui a eu le culot de demander 4 ans de prison dont deux avec sursis contre M. Pasqua, n’avait lui aussi que des présomptions pour étayer son réquisitoire. Son sophisme, développé comme un syllogisme, rigoureux reposait au départ sur une hypothèse autovalidante, c’est-à-dire une hypothèse présentée comme démontrée alors qu’elle ne l’est pas :
1- l’ignorance de ces agissements, disait-il, relevait ou de l’incompétence du ministre ou de sa connivence ;
2- or, il était exclu de taxer d’incompétence M. Pasqua qui, pour être Ministre de l’Intérieur une seconde fois, devait avoir une connaissance intime des rouages de son ministère ;
3- donc M. Pasqua ne pouvait ignorer les délits commis par ses proches collaborateurs, s’il ne les avait pas lui-même encouragés.
Un précédent où l’on retrouve un collaborateur indélicat
C’est tout de même fort de bouillon d’imaginer qu’un ministre puisse tout savoir de ce qui se passe dans son ministère, comme si des collaborateurs, pour tirer profit de leurs fonctions, ne pouvaient agir dans l’illégalité à son insu. M. Pasqua n’avait-il pas déjà connu un précédent désagrément dans « l’affaire du Carrefour du Développement » en 1986 ? On lui avait imputé sans preuve la délivrance d’un « vrai faux passeport », par l’intermédiaire d’une de ses connaissances, à l’ancien directeur de cabinet d’un ministre socialiste pour qu’il échappât à la justice en s’exilant : le fortuné bénéficiaire avait, disait-on, livré, en échange, de précieuses informations sur les malversations de son ministre.
Deux relaxes dans deux affaires de corruption sans corrompu
Heureusement composée de 6 députés et de 6 sénateurs pour assister trois magistrats professionnels peu au fait des arcanes d’un ministère, la Cour de Justice de la République, réservée aux ministres, était mieux à même de savoir par expérience qu’un ministre, si puissant soit-il, est parfois ignorant de ce qui se passe dans son ministère et qu’il peut même être trahi par ses plus proches collaborateurs. Elle a donc relaxé M. Pasqua avec bonheur dans deux des affaires, en le déclarant non coupable de corruption passive dans celle du casino d’Annemasse et non-coupable du délit de complicité d’abus de biens sociaux dans celle du transfert du siège de GEC-Alsthom en Seine-Saint-Denis. Qu’importe, comme le relève sur son blog l’excellente journaliste judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard, qu’on se trouve du coup confronté à deux cas où la corruption a été avérée avec un corrupteur, mais sans corrompu ! Ce serait, selon la journaliste, une situation inédite de corruption sans corrompu identifié.
L’absence de menace de M. Pasqua : une prétérition ?
Mais en quoi cela concerne-t-il M. Pasqua ? Il s’était d’ailleurs adressé directement à la Cour de façon solennelle en toute franchise : « Vous aurez à vous déterminer, avait-il déclaré à ses juges. Les choses ne sont pas faciles. Si vous considérez que je suis un pourri, condamnez-moi, faites-le ! Et je vous regarde, les yeux dans les yeux, tous. Ce n’est pas pour vous menacer ! Mais j’ai la faiblesse de penser que vous me connaissez et j’espère que vous avez de moi une autre perception que celle qui vous a été donnée. »
Sans doute est-il surprenant d’entendre un prévenu en plein prétoire déclarer à ses juges : « ce n’est pas pour vous menacer ». Ceux-ci n’auraient-ils pas pu prendre cet avertissement pour une prétérition, ce procédé d’expression qui consiste à dire quelque chose qu’on prétend ne pas dire ?
Toujours est-il que, dans la troisième affaire de commissions prétendument versées à l’occasion de ventes d’armes, la Cour qui, parole de M. Pasqua, n’était pas menacée, l’a condamné à un an de prison avec sursis pour complicité d’abus de biens sociaux et complicité de recel, mais sans inéligibilité et avec confusion de la peine et de celle de dix-huit mois de prison avec sursis déjà préalablement prononcée pour faux et financement illégal de campagne électorale dans le dossier du casino d’Annemasse.
On a peine à comprendre la logique judiciaire, car, pas plus que dans les deux autres, des preuves n’ont pu être avancées dans cette troisième affaire. Or, le doute ne doit-il pas profiter à l’accusé ? On croyait la Justice française, après Outreau, plus attentive à ménager l’innocence des honnêtes citoyens, les humbles comme les ministres. Ne vient-elle pas, alors qu’elle a su relaxer M. Pasqua dans deux affaires, de rechuter dans la troisième au risque de commettre une nouvelle erreur judiciaire ? Paul Villach