Mort aux brevets !
Sempiternel débat que celui des brevets ! Je ne suis certes par le premier et ne serai pas le dernier à y mettre mon grain de sel, mais je souhaite malgré tout l’enrichir de quelques arguments.
L’utilité des brevets
Le système de brevets a été créé pour protéger le travail d’un inventeur. Cette personne, ou ce groupe de personne, a consacré des ressources, du temps et de l’énergie pour mettre au point quelque chose de nouveau. A la fois pour le dédommager de cet investissement, et, pour aller plus loin, pour le récompenser, l’état lui donne le droit d’être le seul à exploiter cette invention pendant une période donnée.
Les brevets sont l’un des 3 grands pans de la propriété intellectuelle, les deux autres étant les marques (qui protègent la construction de longue haleine d’une réputation) et les modèles (qui protègent grosso-modo la créativité, l’idée originale d’un design).
Pour parler de ce que je connais le mieux, lorsqu’un laboratoire dépose un brevet pour une molécule, il a déjà travaillé un à deux ans pour la mettre au point. Il lui faudra encore 10 à 15 ans pour un faire un médicament, et devra donc, sur le temps très réduit qui lui reste, réussir à le rentabiliser. Or, on observe une tendance lourde à la réduction de ce temps résiduel, pour diverses raisons que je n’évoquerai pas ici : il faut de plus en plus de temps pour transformer l’invention en médicament, et il reste donc de moins en moins de temps pour rentabiliser le médicament. Conséquence logique de cet état de fait, le médicament devant être rentabilisé sur un temps plus court, il est beaucoup plus cher. En d’autres termes, les médicaments nouveaux seront de plus en plus chers, pendant de moins en moins longtemps.
En poussant le raisonnement à l’extrême, on arriverait à des médicaments hors de prix pendant trois mois, avant qu’ils ne tombent dans le domaine public (il faut en effet un minimum de temps, en particulier des procédures administratives à respecter, pour sortir un générique). A ce niveau là, les patients attendront ou les laboratoires ne développeront plus que des médicaments destinés à des patients auxquels il ne reste que 3 mois à vivre. Absurde.
Abandonner les brevets ?
Beaucoup ont déjà scandé haut et fort avoir une solution toute faite : toute la recherche devrait être publique, c'est-à-dire qu’elle serait subventionnée, mais que les découvertes seraient exploitables par tout un chacun.
C’est bien entendu une utopie, pour deux raisons :
- La recherche publique existe déjà en France. Elle ne produit rien d’utile, ou si peu. La plupart des laboratoires scientifiques sont des usines à gaz. Bon, je suis vache, la France est en pointe sur la recherche fondamentale. Demain, votre linge sera propre grâce à une nouvelle technologie sans énergie, lavé dans une machine grande comme trois stades, avec des cycles de lavage de 3 ans.
- L’état n’a pas même les moyens de subventionner correctement ses propres structures, comment pourrait-il prendre en plus en charge la recherche qui est actuellement réalisée par le secteur privé ?
Les brevets, une incertitude
De toute façon, un brevet, aussi solide soit-il, sera violé par les contrefacteurs. Vous pouvez avoir eu seul l’idée géniale et déposé tous les brevets du monde, vous ne tarderez pas à découvrir que vous êtes copiés. Et je ne parle pas de votre voisin jaloux qui ira au tribunal pour expliquer que vous n’auriez jamais eu l’idée de faire tourner votre moteur à l’urine s’il n’avait oublié de fermer les stores vénitiens la dernière fois qu’il s’est amusé avec bobonne.
Les contrefacteurs sont souvent impunis. Le cas d’Apple contre Samsung est rarissime. Pour peu qu’il opère dans un pays où vous n’avez pas le brevet, vous l’avez dans le baba. Iriez-vous dépenser 500€ pour déposer votre lave-café en Australie ? Et le lave-café d’être copié ou amélioré grâce à l’utilisation de peau de kangourou. Sans compter que certains pays n’ont même pas de système de brevet.
Cela a été longtemps le cas de la Chine et de l’Inde. Mais maintenant que ces deux puissances ont rattrapé leur retard scientifique sur l’occident, et le dépassent dans plusieurs domaines, il devenait urgent de s’adapter pour protéger leurs propres inventions, ce qu’elles ont fait.
Il y a enfin la démagogie du brevet. Le mythe veut qu’Indira Gandhi se fût laissée convaincre de ne pas voter de loi sur les brevets par Yusuf Hamied, fondateur de Cipla (un génériqueur indien). L’homme lui aurait déclaré que les brevets étaient une invention des laboratoires occidentaux pour ne surtout pas soigner les Indiens… On le voit aussi en France, même avec un brevet, même reconnu et défendu par la justice, vous ne serez pas à l’abri d’une association qui vous reprochera d’exploiter la misère. Le cas le plus récurrent est celui des médicaments contre le SIDA, mais on trouvera bien des associations de consommateurs pleurant sur la cherté d’un nouveau fusil d’assaut avec crosse amovible et tube lance-salade, puisqu’il en existe pour lancer de la roquette (peut-être pas en fait).
Tous ces éléments pris en compte à quoi bon s’escrimer à déposer un brevet, pour une invention qui générera des revenus de plus en plus incertains, et qu’il faudra défendre dans les tribunaux à l’aide d’une armée d’avocats ?
Inconvénients à renoncer aux brevets
Il y a bien évidemment des arguments pour ne pas abandonner notre système de brevet. Quels sont-ils ?
1° Le prestige : Le gouvernement ne sera jamais prêt à renoncer aux brevets, question de prestige national. « Nous n’acons pas de pétrole, mais nous avons des idées, qu’elles soient fausse, qu’elles soient bonnes, qu’elles soient fixes, qu’elles soient utiles, qu’elles soient stupides, qu’elles soient au gramme, nous en avons et nous en sommes fière ». « Une nation qui n’a plus d’idée est une nation qui se meurt, madame ! Regardez Vercingétorix ! Il a perdu parce qu’il n’avait plus d’idée ». La France ne saurait prétendre rester une grande puissance si elle ne favorise pas l’invention.
- Ce qui n’a pas empêché la Chine d’être une grande puissance, même si j’admets que celle-ci a d’autres atouts. Ce qui n’a pas empêché la Russie de le rester durant la catastrophique période Elstine.
2° L’emploi : La recherche emploi des milliers de français. Plus de brevet, plus de recherche, plus d’emploi. CQFD.
- Quel emploi ? La recherche publique restera, brevets ou non. Quant à la recherche privée, elle est délocalisée de plus en plus massivement. Pour le privé, les brevets déposés, y compris par les grands groupes français, le sont par les filiales situées dans des paradis fiscaux. Le plan social de Sanofi vise justement à transférer progressivement la recherche du groupe de la France vers les Etats-Unis. L’emploi est déjà hypothéqué, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne soit anéanti.
3° Préserver l’excellence : La France a acquis un savoir-faire de pointe sur certains domaines, il ne faudrait pas le sacrifier.
- Ce savoir-faire est déjà sacrifié par la loi du marché. La fermeture centre recherche d’AstraZeneca à Reims en est la preuve. L’incertitude sur l’avenir du site Sanofi de Toulouse en est une autre.
Avantages à renoncer aux brevets
Ne nous leurrons pas : la France est en déclin. Un déclin long amorcé lorsque la République a éclaté entre des pays sources de matière première et une métropole source de matière grise. On peu toujours rattraper ou compenser un retard en matière grise, on ne peut jamais faire surgir du pétrole ou des métaux de nulle part. Tôt ou tard, la recherche Française sera dépassée par celles des autres pays comme c’est déjà le cas aujourd’hui par la Chine ou la Corée, demain par l’Inde ou Singapour. Il est peut-être temps de redevenir réaliste et de cesser de poursuivre des chimères. Qu’y gagnerions-nous ?
1° Les économies d’argent. La recherche française privée est outrageusement subventionnée, niche fiscale auquel le gouvernement Ayrault ne semble pas vouloir s’attaquer. A chaque menace, les patrons brandissent la menace sur l’emploi, mais ils le font dans tous les pays où ils opèrent. D’un coté, ce sont donc des menaces en l’air. D’un autre côté, toutes les subventions possibles n’empêchent pas les plans sociaux. S’ils quittent le pays, ce seront autant d’économies pour l’Etat.
2° Les économies encore. Sans brevet pour protéger les nouveaux produits, ceux-ci pourront être vendus à moindre frais, libérant un pouvoir d’achat considérable. Dans le cas des médicaments, ce seront d’immenses économies pour la Sécurité Sociale, dont on nous alarme chaque année du déficit.
3° L’emploi. Sous conditions d’une politique de charges patronales habile, un marché libéré du carcan des brevets et des royalties deviendra plus productif que ceux des pays environnant, et la France pourra peut-être redevenir une terre de production industrielle. Les emplois perdu par a recherche seront alors compensés par l’industrie.
J’ajouterai enfin que le moment est sans doute optimal : la recherche scientifique française a encore une légère avance sur la majorité des nations concurrentes étrangères. La France pourrait ainsi abandonner les brevets en position de force. Et prendre plus tard une revanche bien méritée sur les pays qui l’ont copiée sans vergogne pendant des décennies.
Quelques mots sur les médicaments génériques
Renoncer aux brevets ne signifie pas pour autant permettre tout et n’importe quoi. Plusieurs articles sur ce site ont d’ailleurs dénoncé les différences trop importantes qui existent entre un médicament du laboratoire inventeur et le générique, prenant en défaut le discours officiel qui assure que les deux sont identiques.
Bien au contraire, ils ne le sont pas, et c’est précisément ce que révèle l’affaire de la Wellbutrin générique aux Etats-Unis, dont nous parle Pharmaleaks dans la rubrique Santé.
Il importe, c’est essentiel, de trier le bon grain de l’ivraie dans ce domaine. Il y a d’une part des génériqueurs consciencieux, scrupuleusement respectueux des bonnes pratiques, et d’autre part des profiteurs qui voient le marché du générique comme une manne sur laquelle sauter et rejetant en parallèle les responsabilités qui incombent à celui qui fabrique un médicament. Dans un article précédent, j’avais d’ailleurs décrit une situation ubuesque se déroulant aux Etats-Unis, dans laquelle l’inventeur était tenu pour responsable des effets ressenti par des patients qui avaient pris du générique.
Dans le cas de la Wellbutrin, c’est Teva qui est en cause, mais je ne pense pas qu’il faille jeter la pierre dans ce cas précis. En revanche, on pourra surtout citer Ranbaxy, qui après trois ans de menaces de la FDA n’avait rien fait pour rectifier les manquements dans ses usines, ce qui avait conduit à une crise de crédibilité de l’agence, accusée d’être trop laxiste, et finalement à un embargo des médicaments de Ranbaxy sur le territoire américain.
J’essaie pour ma part de ne pas acheter n’importe quoi. Je demande au pharmacien quel générique il me propose et n’hésite pas à refuser si le fabricant ne me convient pas. Démarche logique, je privilégie le générique vendu par le laboratoire inventeur, comme par exemple un générique Sandoz quand le produit a été mis au point par Novartis. Je le confesse aujourd’hui, cette logique m’a parfois amené à faire des infidélités à mon ancien employeur, mais la démarche est simple : seul le prix a changé, tout le reste est identique. Si en revanche je prends un générique Actavis pour un produit de Pfizer, changent la concentration en principe actif et les excipients, et donc la pharmacodynamique du produit.
Autant dire que ça m’agace parfois de devoir faire 3 pharmacies pour trouver un produit d’un génériqueur que j’estime fiable…
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