Mussolini, Hitler, Franco : l’irrésistible envolée des pouvoirs exécutifs
Telle qu’elle a été organisée en 1940, la défaite de la France s’insérait dans une politique générale de destruction du parti et de l’influence communistes, et d’une mise au pas du pouvoir législatif envahi, peu à peu, par l’impact du suffrage universel, où le travail salarié - et tout particulièrement ouvrier - prenait une place grandissante consécutive à une évolution sociologique irrésistible.
Comme nous l’avons vu à partir de l’attitude du colonel Groussard livrant Paris aux Allemands, l’extrême droite redoutait une nouvelle Commune de Paris potentiellement étendue à l’ensemble du pays à travers le processus électoral tout simplement. Mais, de façon générale, les élites bourgeoises françaises avaient été bouleversées, comme leurs consœurs des pays anglo-saxons, par la crise de 1929 et ses suites, comme par le développement économique exceptionnel de l’URSS, puis par la guerre civile espagnole, tout en se trouvant tout d’abord rassurées par la survenue de Mussolini en Italie, de Hitler en Allemagne et de Franco en Espagne qui représentaient, chacun à sa façon, une montée phénoménale du pouvoir exécutif.
La continuité des succès du Führer allemand n’était certes pas le fruit du hasard : on le laissa faire, jusqu’au moment où il signa le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939. L’Occident s’était persuadé du fait qu’il finirait par mettre en application sa guerre de progression géostratégique à l’Est, et jusqu’à agresser militairement l’Union soviétique. Les Français avaient cependant négligé de tenir compte de l’autre versant de ses propos : il briserait également la France du diktat de Versailles…
Après la chute de la Pologne - pour la défense de laquelle ni la Grande-Bretagne ni la France ne levèrent le petit doigt malgré des engagements solennels et répétés et une déclaration de guerre en bonne et due forme le 3 septembre 1939 -, la politique des yeux doux se poursuivit, mais dans des conditions de plus en plus délicates, jusqu’à aboutir à une doctrine autrefois développée par Ernest Renan avec le plus grand cynisme et dès les lendemains de l’écrasement de la Commune de Paris avec la collaboration de Bismarck.
Elle figurait dans l’ouvrage La réforme intellectuelle et morale qu’il avait publié en 1871 :
« Si la Prusse réussit à échapper à la démocratie socialiste, il est possible qu’elle fournisse pendant une ou deux générations, une protection à la liberté et à la propriété. Sans nul doute, les classes menacées par le socialisme feraient taire leurs antipathies patriotiques, le jour où elles ne pourraient plus tenir tête au flot montant, et où quelque État fort prendrait pour mission de maintenir l’ordre social européen. » (Cité dans Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange, Le Feu sous la cendre - Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie, Éditions Paroles Vives 1986, page 322)
Quel coup d’œil, à 70 années de distance !
Ainsi, selon certains, de même que Mussolini et Hitler avaient aidé au renversement du gouvernement de Frente Popular en Espagne, de même le dernier cité pourrait-il recevoir la responsabilité d’établir en France cet ordre nouveau : un pouvoir exécutif souverain.
Mais Espagne et France, c’était encore bien peu de choses : le problème principal était désormais représenté - aux yeux des diverses bourgeoisies capitalistes dans le monde - par l’URSS. Ainsi, même après l’attaque contre la Pologne, les gouvernements français et britannique en étaient-ils encore à laisser entendre à Hitler qu’il était possible de s’organiser pour se faire le moins de mal possible… avant de passer aux choses sérieuses à l’Est.
Ainsi, tandis que le gouvernement polonais implorait l’intervention des aviations française et britannique, et que ces deux pays hésitaient à franchir le pas d’une déclaration de guerre qui devait, d’ailleurs, rester sans aucun effet plusieurs mois même après l’effondrement de la Pologne, le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain déclarait à la Chambre des Communes le 2 septembre 1939 :
« Si le Gouvernement allemand acceptait de retirer ses troupes, le Gouvernement de Sa Majesté serait disposé à regarder la situation comme étant identique à ce qu’elle était avant que les forces allemandes n’eussent franchi les frontières polonaises. » (Livre bleu anglais, n° 1, Documents concernant les relations germano-polonaises, Paris 1939, page 162)
Deux jours plus tard, ayant enfin déclaré la guerre la veille, le même Premier ministre britannique s’adressait directement, par radiodiffusion, à l’ensemble du peuple allemand, pour bien lui montrer de quel côté la voie restait ouverte.
Il s’en prend d’abord au mauvais berger, Hitler :
« Il a donné sa parole qu’il respecterait le traité de Locarno : il l’a violée. Il a donné sa parole qu’il ne désirait ni n’entendait annexer l’Autriche : il l’a violée. Il a déclaré qu’il n’incorporerait pas les Tchèques dans le Reich : il l’a fait. Il a donné sa parole après Munich qu’il n’avait plus d’exigences territoriales à formuler en Europe : il l’a violée. Il a donné sa parole qu’il ne voulait pas de provinces polonaises : il l’a violée. Il vous a juré pendant des années qu’il était l’ennemi mortel du bolchevisme : il est maintenant son allié. » (pages 182-183)
La phrase concernant Munich sous-entend manifestement qu’en dehors "d’exigences territoriales à formuler en Europe", Hitler aurait pu en avoir en dehors de l’Europe… et plus particulièrement en URSS. Quant à la dernière phrase, elle montre où est le plus gros reproche à faire à Hitler : on comptait tellement sur lui !
Car, ainsi que Chamberlain le dit ensuite : il aura tout bonnement trahi l’entièreté de l’Occident capitaliste :
« Dans cette guerre, nous ne luttons pas contre vous, peuple allemand, envers qui nous n’avons aucun ressentiment, mais contre un régime tyrannique et parjure qui a trahi non seulement son propre peuple, mais l’ensemble de la civilisation occidentale et tout ce qui nous est cher, à vous et à nous. » (page 183)
Mais pour montrer à Hitler et au peuple allemand qu’ils ne font pas pour autant fausse route, l’Angleterre et la France laisseront froidement tomber la Pologne, en attendant de pousser encore un peu plus loin leurs avances à l’Allemagne nazie…
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