Les technologies de l’information ont donné naissance à un nouveau monde, un nouveau monde dans lequel nous passons pour nombre d’entre nous le plus clair de notre temps, un nouveau monde dans lequel il est possible de faire bien des choses comme par exemple travailler, jouer, discuter. La convergence tant attendue et tant annoncée est en train de se réaliser. Avec elle, nous dépassons le stade des outils techniques dispersés qui ne servaient qu’à nous accompagner ponctuellement dans notre vie terrestre pour construire un "ailleurs", une nouvelle planète. On converge toujours pour aller quelque part. Ce nouveau monde est très différent de notre monde naturel mais il est bien réel, il n’a rien de virtuel. Alors si ce que nous tenons là est bien un lieu de vie, comme un nouveau continent ou une nouvelle planète, il est temps maintenant de le doter d’une organisation politique qui laisse leur place aux pouvoirs publics.
Manifeste pour le code universel.
Avec la TNT, la téléphonie mobile, l’Internet et plus généralement « tout ce qui est numérique » il ne fait désormais plus de doute qu’un nouveau monde est apparu. Il ne s’agit pas d’une fiction. Tous les jours, au travail ou à la maison, nous nous connectons d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire que nous nous transportons dans une réalité parallèle, une nouvelle dimension (pour parler comme les feuilletons des années 70 !). Le nouveau monde que nous avons aujourd’hui en face de nous est réellement une nouveauté, et il est artificiel car entièrement fait de la main de l’homme.
Bien sûr la nature des choses y est différente. Parfois même un nouveau mode de vie s’y développe. Bien sûr l’observation empirique la plus sommaire fait ressortir des différences majeures entre ce milieu et notre milieu naturel. Sur Terre nous avons de nombreux éléments physiques : les liquides, les solides, les gaz... et ces éléments sont très différents les uns des autres du point de vue de leurs propriétés physiques et de leurs comportements mécaniques. Le nouveau monde lui ne comporte qu’un seul élément, cette matière appelée "numérique". Il a une homogénéité parfaite, une unité profonde règne derrière les écrans. Vraiment il suffit d’ouvrir les yeux pour voir la différence avec notre monde éclaté, nos pesanteurs terrestres (1).
Mais s’il est différent le nouveau monde qui a surgi en quelques années n’en a pas moins désormais une existence propre. Les dispositifs qui permettent d’y accéder sont nombreux, ce ne sont plus de simples accessoires de nos activités en ce bas monde, mais des points de passage vers un nouveau lieu, un Grand Tout dont le Web est la figure centrale.
Un monde différent, mais un monde quand même
D’un point de vue politique, il y a là un territoire, de nouvelles terres qui, si elles sont numériques, n’en sont pas moins des lieux de travail ou de loisir, comme les entrepôts et les bureaux d’une entreprise, ou un parc d’attraction. Toute activité humaine à base de représentations et de signes (textes, images, sons, calculs) peut se tenir dans le nouveau monde. Bien entendu, la limite se situe dans le maniement d’objets solides et dans l’accomplissement de fonctions organiques (alimentation). Mais dès lors qu’il s’agit de manier des représentations et des signes, la seconde nature offre ses services, il devient possible de s’y installer le temps nécessaire pour faire son travail, se divertir, discuter, et cela grâce à une petite chose appelée « curseur » qui permet de se déplacer et d’agir, comme une sorte de vaisseau monoplace. Nous sommes désormais face à deux éléments, deux univers : d’un côté notre monde naturel, celui dans lequel nous sommes nés, et de l’autre un monde artificiel qui, issu de la convergence de toutes les technologies numériques, prend de plus en plus de place dans notre réalité quotidienne.
Un régime politique féodal
Comment ce nouveau monde est-il organisé sur le plan politique ? Comme au moyen âge. La puissance publique est absente. Des seigneurs privés se partagent le territoire, Google, Microsoft et autres détiennent le pouvoir, tous les pouvoirs. Ces grandes firmes se chargent de développer jour après jour le nouveau monde, et cela naturellement pour la seule satisfaction de leur intérêt propre, pas dans le sens de l’intérêt général. Nous sommes donc en présence d’un nouveau féodalisme qui correspond au règne de pouvoirs privés, maîtres chez eux comme les seigneurs dans leurs châteaux. Le mouvement en faveur des logiciels à sources ouvertes a, le premier, exprimé une volonté de renverser le système politique en place. En imposant la transparence, en rejetant une approche exclusivement commerciale ce mouvement pose les bonnes questions et apporte les bonnes réponses. Mais il présente un défaut majeur : l’absence de force et d’autorité. Les structures associatives qui gouvernent le mouvement du logiciel ouvert ont peur du pouvoir et refusent d’entrer réellement dans l’arène politique. Elles ont de bonnes idées, mais pas l’organisation qui permettrait de les imposer. Sans argent et sans véritable chef les "communautés collaboratives" ne viendront jamais à bout d’empires structurés et organisés comme des armées en bataille. Au mieux elles survivront péniblement, toutes entières occupées à tenter de résoudre leurs difficultés juridiques et à sortir de leurs querelles de chapelle, au pire elles seront doucement trompées, envahies, absorbées et se retrouveront finalement sous la coupe des seigneurs. Et puis on voit bien que le mouvement du logiciel ouvert est entre les mains de quelques gourous qui parviennent encore à tenir la maison grâce à leur autorité morale. Mais demain ? Qu’adviendra-t-il demain quand les fondateurs auront disparu ?
Nationaliser le sol du nouveau monde
Il convient donc de remettre les logiciels qui forment l’ossature du nouveau monde à la collectivité. L’An I de la Révolution commencera le jour où sera prononcée la nationalisation des logiciels constituant l’infrastructure de base de la nouvelle planète. Concrètement, cela signifie que l’Etat proposera un système d’exploitation de type Windows, Linux ou Mas OS, capable d’assurer les fonctions de base des machines et des réseaux, un logiciel représentant réellement la partie publique de l’Etherciel. Comme sur Terre, cette zone publique correspondra à ce qui est commun, partagé et donc gratuit et accessible à tous (2).
L’urbanisme du nouveau monde doit ménager un domaine public, comme il existe sur Terre des boulevards, des autoroutes, des parcs ou des océans, placé sous l’autorité de la collectivité et géré de manière démocratique, à côté des immeubles ou des maisons. La rue par exemple est ce que l’on a coutume d’appeler (dans le vocabulaire policier notamment) la "voie publique". Il existe une distinction juridique fondamentale entre la voie publique et une propriété privée. La voie publique appartient à tout le monde, comme par exemple les plages. Personne en France n’a le droit de s’approprier les bords de mer, car ils appartiennent au domaine public. Il en va de même pour les routes où chacun est libre de circuler en voiture et de stationner (à condition de respecter le code de la route). En même temps il existe des propriétés privées qui ne sont pas accessibles librement, précisément parce que ce sont des propriétés privées et donc le propriétaire en fait ce qu’il veut (sous réserve de ne pas déranger ses voisins). La même distinction devra être appliquée au nouveau monde. A côté du domaine public subsisteront des domaines privés régis comme aujourd’hui par les principes de la propriété intellectuelle et donc par les termes de la licence proposée – imposée - par le propriétaire des lieux. Mais ces espaces privés n’auront plus le monopole qu’ils ont actuellement. La planète numérique, comme la planète Finance, doit être mise au service de la collectivité au lieu de tourner sur elle-même comme une machine folle, hors de tout contrôle. Installons la démocratie dans le nouveau continent !
La France ? Pourquoi la France ?
La question que pose le nouveau monde a une dimension globale. Le nouveau monde est unique et rassemblé, il n’y en a pas deux. Mais cela ne signifie pas qu’un Etat ne peut rien faire, cela ne signifie pas qu’il n’y aurait qu’une solution, une solution "globale". Cessons de nous défausser sur d’autres au-dessus de nous pour mieux dormir, la tête dans le sable. Une solution globale ? Un gouvernement global ? Est-ce là le seul horizon ? La diplomatie se ramènerait-t-elle à une formule mathématique !??!? Mais un gouvernement global ne verra jamais le jour (et c’est bien ainsi) ! Nous payons des gens, appelés "politiques" pour gouverner, pas pour obéir (obéir au marché, obéir à des institutions inter- ou supranationales). La politique n’est pas une technique binaire. En politique, si A=B et B=C cela ne veut pas forcément dire que A=C. Attendre une solution globale reviendrait à se condamner à l’immobilité. La France peut donc montrer la voie.
Venons-en aux modalités techniques. Nationaliser Windows ? Peut-être. Si les programmes nationalisés ne donnent pas satisfaction, on en développera de nouveaux. Ces logiciels conçus et écrits par et pour la collectivité pourront bénéficier du label "code universel".
Tout est une question de mot...
Changeons de vocabulaire. Le moment est venu de dépasser les qualificatifs fragmentaires tirés de technologies (informatique, Internet, réseaux, TNT etc...) dont nous voyons bien qu’elles ont de moins en moins d’importance car toutes finalement aboutissent à la même chose, au même résultat, et c’est cela qui compte. Cela ? Mais qu’est-ce que "cela" ? Une telle chose n’a jamais existé auparavant. Comme d’habitude tout est en réalité une question de mot. Il faut un mot pour qualifier les mondes numériques, il faut un substantif pour désigner « tout ce qui est numérique », il faut donner un nom au nouveau monde. Etherciel, ce sera l’Etherciel.
Emmanuel Cauvin
(service d’impression à la demande)
(2) Emmanuel Cauvin, Ils regardent le gouffre, 2008, p. 208 et suivantes