Ne nous trompons pas ! en limitant l’immigration, c’est la solidarité et l’entraide qu’ils veulent contenir
« La petite politique s’efforce de satisfaire la horde inquiète de nos incertitudes. La grande politique s’élance en générosité (nous élève avec elle) dans les grandes houles de l’incertain. » Patrick Chamoiseau
Osons la fraternité – l’appel de 30 écrivains et intellectuels pour les migrants.
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« Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles », déclarait le 6 juin 1989 à l’Assemblée Nationale Michel Rocard, avant d’ajouter qu’il fallait « résister à cette poussée constante ». E. Macron, ce 26 juin 2018, a rappelé que l’Europe veut « renforcer sa coopération avec les garde-côtes » libyens pour « limiter les mouvements » de migrants car, selon lui, « la capacité à fermer cette route est la plus efficace et aussi la plus humaine » , sauver les gens en mer « à la fin, on fait le jeu des passeurs en réduisant le coût du passage pour les passeurs. « L’Europe peut prendre sa part mais elle ne peut pas prendre plus que sa part « , a-t-il poursuivi…
Trente ans après rien à changer, l’immigration continue a être présentée par nos dirigeants politiques comme un fléau, « une charge qui exigerait des sacrifices de la part des populations accueillantes », « un flux qu’il faut à tout prix contenir pour ne pas être submergé ». Toutes sortes de représentations erronées sur les immigrés sont agitées par des irresponsables politiques qui jouent dangereusement avec les peurs et les angoisses de ceux qui, dans nos pays d’accueil, vivent déjà la précarité, le déclassement et la marginalisation . « Ces gens vont nous prendre nos emplois« , » ils vont faire baisser les salaires » « ils vont profiter des aides sociales » » ils vont nous agresser ou nous voler » « parmi eux se cachent des terroristes » etc…. Or, à chaque fois, la réalité et les conséquences de l’intégration d’immigrés viennent démentir ces prophéties apocalyptiques. L’ensemble de la société y trouve son compte. Le pays d’accueil comme le pays d’origine s’enrichissent mutuellement grâce à celui qui a choisi d’immigrer.
Toute cette agitation n’a-t-elle pas pour objectif d’étouffer la bienveillance, la fraternité et toute expression de solidarité humaine chez les « gens de rien » ? Tout cela afin d’entretenir l’esprit de compétition nécessaire à la seule réussite qui vaille dans la société libérale, la réussite individuelle, afin d’entretenir cette » guerre de tous contre tous » pour distraire de leur condition ceux qui n’ont que leurs bras et leur intelligence à vendre et ainsi les empêcher de s’unir et de faire front commun contre cette petite minorité avide qui continue à exploiter les travailleurs et les ressources du monde entier et, qui eux, s’arrogent le droit, pour la maximisation de leurs profits, de faire fi des frontières, des cultures et des origines ethniques.
QUAND LA RÉALITÉ DU QUOTIDIEN ET LA CONVIVANCE FONT S’ENVOLER LES CRAINTES.
Le Luc-en-Provence, commune du Var, dirigée par un maire Rassemblement National accueille, depuis janvier, une trentaine d’hommes, majoritairement afghans et soudanais. Lorsque la préfecture a annoncé à l’automne 2017 l’implantation du CAO (centre d’accueil et d’orientation), à un kilomètre du centre-ville, beaucoup d’habitants ont cru « qu’on allait (les) enfoncer encore plus loin dans la merde ». Le maire et les habitants ont tout fait pour interdire l’arrivée des trente jeunes hommes dans cette ville où un tiers seulement des habitants est éligible à l’impôt et où le taux de chômage avoisine les 17 %. Une pétition a circulé pour s’opposer à l’accueil de ces réfugiés. Elle avait recueilli 1 600 signatures sur les 10 000 habitants. Six mois après,« Ma foi, ça se passe bien », déclare Pascal Verrelle, le maire du Rassemblement National. Les commerçants sympathisants RN disent être toujours « contre la politique migratoire du pays » mais ne s’opposent plus au CAO. « J’avais peur qu’ils fassent le désordre, qu’ils taguent mon magasin. Mais en fait, ce sont de jeunes hommes polis et respectueux. Je pense qu’on aurait dû attendre avant de signer. Là, on a jugé sans savoir. » déclare une des commerçantes, signataire de la pétition. D’autres aussi regrettent : « Finalement, ce sont des êtres humains comme les autres » et oui !. Le maire, lui, assure « tout faire désormais pour que les choses se passent bien ». Alors que la ville se préparait pour la Fête des cerises, fin mai, l’édile a demandé aux agents de déposer des flyers devant le centre, pour inviter les migrants à se joindre aux festivités ( Le Monde du 19 /06 /18 ).
A Croisilles, Pas de Calais, où a ouvert le premier CAO, les 36 soudanais et un nigérien, arrivés après le démantèlement de la jungle de Calais ont quitté le lieu en septembre mais il restent très attachés à la ville. Ils étaient tous présents pour la commémoration du 11 novembre. « Croisilles a transformé ma vie, certains des habitants sont devenus ma famille » confie Mohamed 37 ans. Bakri 24 ans, hébergé par un couple de bénévoles est aujourd’hui étudiant à l’université d’Artois. ( Le Journal du Dimanche 24/06/2018).
On pourrait multiplier les exemples de ces rencontres improbables qui, si elles sont accompagnées, conduisent à des intégrations réussies dans le pays d’accueil.
Ainsi sous le brouhaha des discours de tréteaux d’école, malgré le venin distillé par certains, beaucoup font spontanément leur part, pour permettre à tous ces nouveaux venus de trouver leur place, pour qu’ils puissent à leur tour s’épanouir dans leur nouvel environnement et apporter leur contribution à la richesse commune. Si les résultats des sondages révèlent les craintes d’une majorité de la population, qu’attisent trop d’irresponsables politiques, il suffit d’une minorité disposée à tendre la main pour, jour après jour, contribuer à une bonne intégration de tous ces réfugiés et convaincre les réticents du bien fondé d’un accueil bienveillant.
L’IMMIGRATION : UNE RICHESSE PARTAGÉE.
Si l’on cessait de voir les immigrés, réfugiés ou non, comme des êtres miséreux, incapables de subvenir à leurs besoins élémentaires. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas à disposition les ressources nécessaires ou qu’ils sont empêchés par la guerre ou les persécutions qu’ils ne sont pas capables, dans un environnement favorable, d’être aussi créateurs de richesse. Au contraire les épreuves qu’ils ont dues surmonter pour venir jusqu’à nous démontrent leur force et leur détermination dans la réalisation d’un projet de vie. Ce sont les inégalités géographiques dans la distribution des richesses qui sont la cause des migrations et, fermer les frontières, dresser des murs, ne font que les exacerber.
Ouvrir nos portes et nos fenêtres, c’est enrichir à la fois le pays d’accueil et le pays d’origine. Ce qui permet à tout être humain de s’épanouir c’est son environnement. Dans un pays où les ressources par habitant sont 100 fois moins élevé que dans un pays économiquement développé, une personne ne pourra en moyenne que créer cent fois moins de richesses, par manque d’infrastructures, de technologies, de moyens financiers, par manque de formation, etc… Si cette même personne évolue dans un pays riche , elle ne mangera le pain de personne mais au contraire, à la fin d’une période d’intégration, elle créera à son tour cent fois plus de richesses que si elle était restée dans son pays d’origine. De nombreux exemples prouvent cette vérité que l’on ne veut pas entendre.
- En 2015 et 2016 alors que l’Allemagne accueille 1,1 million de réfugiés, la hausse des dépenses de l’État et l’augmentation globale de la consommation liée à l’arrivée des réfugiés ont eu sur l’économie un fort effet d’entraînement et ont permis au PIB de l’Allemagne de croître de 1,9 % en 2016, au lieu de 1,4 % les années précédentes.« L’effet positif des demandeurs d’asile sur les performances économiques du pays va se renforcer dans les prochaines années », estime Marcel Fratzscher, président de l’Institut économique de Berlin. Les 20 milliards d’euros dépensés par l’État pour accueillir les demandeurs d’asile correspondent presque exactement à l’excédent dégagé par l’Etat en 2016, qui s’élève à 19,2 milliards d’euros. ( Le Monde du 13/01/2017 )
- Une étude réalisée par des économistes français et publiée dans le magazine Sciences advences, mercredi 20 juin, démontre que les migrants ne sont pas un fardeau pour les économies européennes. L’étude démontre qu’une augmentation du flux de migrants permanents à une date donnée produit des effets positifs jusqu’à quatre ans après : le PIB par habitant augmente, le taux de chômage diminue et les dépenses publiques supplémentaires sont plus que compensées par l’augmentation des recettes fiscales. ( lien ).
- D’après le F.M.I., l’abandon des dernières restrictions de circulation du capital libérerait tout au plus 65 milliards de dollars ; D’après l’économiste de Harward Lant Pritchett , ouvrir les frontières aux hommes boosterait mille fois plus la richesse créée. (1)
La libre circulation des êtres humains remplaceraient sans commune mesure l’aide au développement :
- par l’argent envoyé directement aux familles – En 2016, au niveau mondial, l’aide publique au développement, inégalement réparti, trop souvent détourné, représentait 142,6 milliards de dollars, alors que les montants envoyés par les migrants vers leurs pays d’origine s’élevaient à 429 milliards de dollars. ( lien )
- par le retour au pays de nombreux immigrés qui ne craindraient plus de quitter leur pays d’accueil, sachant qu’ils pourront à tout moment y revenir. Le cas du Mexique est éloquent : dans les années 60 , 70 millions de Mexicains ont traversé la frontière vers les États-Unis, 85 % d’entre eux finissaient par rentrer chez eux. Depuis le 11 septembre 2001 la frontière est fortement militarisée, surveillée par des caméras, des drones et 20 000 agents de la patrouille frontalière, 7% seulement des immigrants mexicains retournent chez eux. » Nous dépensons chaque années des milliards de dollars pour surveiller la frontière, ce n’est pas seulement inutile mais contreproductif observe un professeur de sociologie de l’Université de Princeton. En 2007 on comptait 7 millions de Mexicains en situation illégale aux Etats-unis, sept fois plus qu'en 1980. (2)
Enfin, en libérant les frontières, en détruisant les murs et les miradors, on en finirait avec toutes les souffrances imposées à tous ceux qui pour des raisons qui leur appartiennent décident de se mettre en route, on en finirait avec tous ces morts sur le chemin de l’exil, on en finirait avec toutes ces mafias qui exploitent sans vergogne tous ces candidats à l’immigration et les dépouillent de leur argent.
Il est déjà scandaleux de voir nos irresponsables politiques exploiter les peurs, les angoisses, les faiblesses, pour tenter de justifier l’injustifiable qui est de continuer à discriminer une partie de la population mondiale et de perpétrer la domination d’une élite sur l’ensemble du globe.
Mais il est plus ignoble encore : tout faire pour tenter d’empêcher ceux qui par solidarité viennent en aide à ces réfugiés qui n’ont d’autres choix que de risquer leur vie en Méditerranée, dans les Alpes ou sur toutes autres frontières. C’est ce que font aujourd’hui, sans exception, tous les gouvernements européens, le gouvernement français compris. (lien )
Après des renoncements successifs, les élites politiques tombent le masque et foulent au pied les principes moraux et philosophiques qui fondent toute communauté, au nom de la sauvegarde des intérêts d’une minorité. Même le défenseur des droits, Jacques Toubon, s’insurge et ne cesse de dénoncer la violation des droits fondamentaux.
Face au venin qui jour après jour trouble notre conscience il faut répéter qu’à Paris comme à Bamako, à New-York comme à Mexico le mal est le même, l’illimitation dans l’accumulation des richesses du capitalisme globalisé qui depuis la colonisation pille les ressources naturelles où quelles se trouvent, exploitent les travailleurs où qu’ils soient, en ne cessant de mettre en concurrence les uns contre les autres.
« L’obscurantisme néolibéral, cette folle idéologie sacralise le marché, qu’elle substitue à l’homme comme sujet de l’histoire, l’homme n’étant plus qu’un rouage, une variable, un vassal du marché. Les despotes de ce marché possèdent un pouvoir qu’aucun roi, aucun empereur dans toute l’histoire n’a jamais détenu. L’une des plus grandes conquêtes de cette absolue omnipotence est la prétendue impuissance à riposter qu’elle instille dans les consciences des peuples. Et c’est à libérer ces âmes, à les aider à s’affranchir de cette suzeraineté, à leur restituer la « conscience de l’identité » d’où découlera une politique de solidarité, de réciprocité, de complémentarité, que nous devons nous employer. Et à l’accomplissement de ce projet, la société civile contribue de manière capitale. » Jean Ziegler, sociologue suisse- Appel à l’insurrection des consciences. ( lien )
Les enjeux des années à venir sont de s’extirper de la gangue de l’indifférence à l’autre qui nous paralyse, de ne plus être complice de ces imposteurs qui prétendent guider nos actes, de ne rien lâcher de nos valeurs, de retisser du lien, de respecter les principes moraux et philosophiques qui doivent faire consensus dans la conduite des affaires communes comme dans le partage des richesses, des ressources et de la culture. Posons les jalons d’une société où la « décence commune des gens ordinaires » chère à G. Orwell soit respectée et où la mesure, la loyauté, le respect, la solidarité et l’entraide guident tous les jours nos actions pour que s’exprime pleinement la seule richesse qui vaille celle de vivre dignement dans le plus grand respect de notre environnement et de nos semblables d’où qu’ils viennent.
« Chacun de nous peut changer le monde. Même s’il n’a aucun pouvoir, même s’il n’a pas la moindre importance, chacun de nous peut changer le monde » écrivait Václav Havel quelques semaines après la chute du Mur de Berlin.
Ne l’oublions pas et au quotidien » osons la fraternité » (3)
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(1) « Utopies Réalistes « – Rutger Bregman – Editions du Seuil – Page 204 .
(2) « Utopies Réalistes » – Page 216
(3) « Osons la fraternité ! Les écrivains aux côtés des migrants« , Collectif sous la dir. de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris, éd. Philippe Rey, 2018.
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