No Tibet
Des gens ont trouvé judicieux de tenter d’interrompre le parcours de la flamme olympique à Paris. Cela pour manifester leur désaccord avec la politique chinoise, qui ne respecte notoirement pas les droits de l’homme. Ils ont réussi. La flamme a dû être éteinte puis rallumée, la préfecture de police de Paris invoquant pudiquement des « raisons techniques ». La cérémonie prévue à l’hôtel de ville a été annulée et de nombreux heurts ont eu lieu entre manifestants pro et anti-chinois, malgré le déploiement d’un impressionnant dispositif policier. Ces événements ont été relayés, fait sans précédent, par la télévision chinoise. Ils interviennent quelques jours à peine après que la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade, a évoqué des conditions à la présence du président de la République à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques, avant de démentir. Dans ce climat tendu, je voudrais soulever certains points pour illustrer mon point de vue sur ces événements.
Pourquoi choisir de s’investir pour le Tibet ? Il y a quelques mois, c’était au tour du Darfour d’être hypermédiatisé. C’était alors la mode. Sont-ce les mêmes qui ont manifesté pour le Tibet aujourd’hui ? Dans ce cas, leur engagement ne serait qu’un effet de mode et nos rebelles suivraient bien gentiment les révoltes que leur indiquent les médias.
C’était un service à ne pas leur rendre que de manifester sur le passage de la flamme olympique en brandissant un drapeau tibétain. Ca ne peut qu’irriter les Chinois contre les Tibétains qui leur valent la désapprobation des Français. Plutôt que de se remettre en cause, il est beaucoup plus facile d’en rendre responsable les Tibétains.
Il ne faut pas oublier que la Chine est un pays totalement aux antipodes de la France et que leur culture nous est totalement étrangère. Nos critères ne s’appliquent pas à leurs actions. Leurs mécanismes nous échappent. Il est absurde de prétendre approuver ou désapprouver des actions que nous ne comprenons pas, que nous ne pouvons pas comprendre, à moins d’être sinologue ou psychologue de formation.
Pourquoi s’engager en faveur du Tibet ? Bien sûr, les droits de l’homme n’y sont pas respectés. Est-ce le seul endroit ? Certainement pas. On peut légitimement s’interroger sur les raisons de cet engouement massif pour le Tibet, où la situation n’est pas pire que dans bien d’autres pays.
Encore plus à mettre en doute, l’utilité de cette action. Les Tibétains ont certainement d’autres sujets de préoccupation. Attirer l’attention des médias sur le problème du Tibet ? Mais ce sont eux qui nous tiennent informés de la situation là-bas ! Ils en savent certainement plus que nous, il n’y a pas de doute là-dessus. Ce sont eux qui ont créé la mode Tibet. Manifester sur le passage de la flamme olympique n’était pas un événement de nature à créer un intérêt supplémentaire des médias pour la situation au Tibet.
Pire, cela pourrait même retourner les amateurs de sport contre les manifestants pro-Tibétains. A leurs yeux, c’est gâcher les jeux Olympiques que d’y mettre un enjeu politique.
Et, très franchement, la France n’est pas un interlocuteur de poids suffisant pour faire plier la Chine. Au contraire, la Chine représente un marché potentiel énorme. Irriter la Chine en parlant du Tibet, c’est risquer de faire capoter ces marchés. Ceux qui manifestent en faveur du Tibet feraient bien de réfléchir à deux fois à leur pouvoir d’achat.
Pourquoi se soucier des violations des droits de l’homme commises au bout du monde ? Il y en a bien d’autres commises bien plus près de chez nous. Je parle bien sûr des sans-papiers, qui se jettent par les fenêtres ou depuis les ponts, tant ils ont peur des contrôles de police, qui n’osent plus aller à la préfecture déposer leur dossier de régularisation parce qu’ils risquent d’y être arrêtés, qui vivent dans l’anxiété d’être renvoyés dans des pays où ils ne veulent pas rentrer, parce que leur vie est ici et qu’ils ne veulent pas être déracinés. C’est une rébellion bien plus grande que de manifester contre un pouvoir qui est à des milliers de kilomètres d’ici et qui se moque bien de l’opinion publique française.
Si on approuve suffisamment la politique du président de la République pour fermer les yeux sur ce drame humain, qui concerne pourtant des voisins, des connaissances et des amis, il reste toujours la possibilité de s’engager pour lutter contre la solitude des vieux, l’illettrisme en participant à une entraide scolaire, le racisme dans le sport et j’en passe. Les suggestions ne manquent pas.
Pourquoi s’engager dans une action inutile et inopportune, quand tant d’autres utiles sont à portée de main ? Ce qu’on ne peut pas changer, il est inutile de s’y attaquer, complètement inutile. Il est bien plus utile et bien plus efficace de s’attaquer à ce qu’on peut changer.
Pourquoi alors s’engager dans une action inutile ? Sans doute pour obtenir une satisfaction personnelle qu’on a cessé de rechercher dans sa propre vie. Ces gens qui manifestent pour le Tibet feraient mieux de faire bénéficier la France, qui en a bien besoin, de leur volonté d’amélioration et de leur énergie. Evidemment, c’est moins valorisant. Il est judicieux alors de s’interroger sur le vrai sens de cet engagement pro-Tibet.
Je terminerai en citant ces mots de Desproges : « Gardez Sakharov ! Gardez Sakharov ! (...) Mais savez-vous au moins qui il est, ce Sakharov, vous qui manifestez pour lui (...) parce que c’est dans l’air ? (...) C’est le papa de la bombe atomique soviétique, Sakharov ! C’est un considérable gredin ! » L’engagement n’a de sens que s’il est utile. Sinon, il n’est que poudre aux yeux.
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