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Accueil du site > Tribune Libre > Noir aux écorces d’orange

Noir aux écorces d’orange

Rue de Citeaux, à Paris, près de l’Hôpital Saint Antoine. Un matelas défraîchi, un duvet, quelques boîtes de conserve, une paire de tennis usées jusqu’à la corde, une casserole, une bouteille d’alcool, une boîte d’allumettes, un bout de pain et une tablette de chocolat noir aux écorces d’orange. En évidence, sur un carton.

Depuis quelques jours, j’ai remarqué l’attirail, et croisé parfois l’habitué de ce coin de trottoir, un noir aux dreadlocks à qui je ne sais pas donner d’âge. Depuis quelques jours, j’y pense, surtout quand il pleut, me demandant comment on fait pour dormir dans la rue, entre le froid, la pluie, les odeurs, le bruit, les passants. Comment on fait pour dormir paisiblement et faire des rêves.

Noir aux écorces d’orange. 70% de cacao. En temps ordinaire, je me serais dit, "tiens, un amateur de vrai chocolat". Qui aime à le savourer lentement, et en sentir toute la rudesse derrière le premier goût fondant. Quelques carrés qui vont bien avec un feu de cheminée, un single malt, un canapé moelleux, un bon livre, une conversation amicale et tendre avec un ou une amie. Mais là, dehors, dans ce froid…

D’où vient cette tablette ? Comment a t-elle atterri sur ce bout de carton humide ? Un colis des Restos du cœur ou de l’Armée du Salut, le cadeau d’un passant, un achat au Monoprix du coin, dont les prix sont pourtant fort chers… et j’imagine, complètement prohibitifs pour certains.

Certains. Qui sont-ils. Ceux qu’on appelle SDF ou clochards, et qui nous sont servis en statistiques chaque année à l’approche de l’hiver. Estimation en France, 130.000 d’après le Samu Social, 200.000 "exclus du logement" d’après l’Insee et les caisses d’allocations familiales.

Lui semble avoir trouvé un bout de trottoir où il se forge déjà des habitudes. J’ai bien remarqué aussi qu’il essaye de varier son alimentation, assez équilibrée, si tant est que l’équilibre soit possible quand on vit dehors. Nourriture. Enquête menée par une association auprès des personnes à la rue. 59% des hommes et 78% des femmes mangent tous les jours à midi (souvent un sandwich). 16% des hommes et 10% des femmes n'ont jamais pris de repas à midi au cours de la semaine précédant l'enquête. Jamais vu en tout cas de bouteille de vin, et repéré plusieurs fois des fruits et légumes probablement ramassés sur le marché d’Aligre, pas loin. Je me dis, "il mange équilibré, il veut s’en sortir". Curieusement, ces petits détails, assez anodins, témoins de son quotidien, me ramènent souvent à lui en pensée. "Il veut s’en sortir, il va s’en sortir". Une alimentation équilibrée, c’est un corps qu’on respecte. Mais dehors, le corps, comment résiste t-il. Il s’use vite, en quelques jours de rue, le sommeil est déjà perturbé.

Noir aux écorces d’orange. C’est maternel le chocolat, c’est douillet, ça ramène à l’enfance. L’enfance… si loin parfois pour ceux qu’on laisse sur le bord de la route. Avec résignation pour les uns, indifférence pour les autres. Chocolat noir, 70% de cacao, l’amertume en prime.


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12 réactions à cet article    


  • Intelle Intelle 4 juin 2012 12:15

    Le chocolat noir est bon pour le cœur...peut-être que cette tablette était le don d’un passant qui venait de faire ses courses.
    Cela me rappelle un jour où j’allais au supermarché, quelques personnes non loin de l’entrée qui « faisaient la manche », l’un d’eux (jeune, à peine la trentaine) s’approche de moi et me demande si j’ai quelques pièces. N’ayant pas de monnaie sur moi je lui propose de lui acheter à manger.
    Alors en même temps que mes propres courses, je lui ai acheté du pain, du jambon, du fromage et des pommes. Quand il a ouvert le sac que je lui offrais, j’ai vu des larmes dans ses yeux, il m’aurait embrassée. Cela faisait très longtemps qu’il avait mangé des fruits !
    Il m’a raconté brièvement comment il en était arrivé là, rupture familiale, perte de son travail, ce n’était pas sa vocation de rester dans la rue. Il était inscrit à Pôle Emploi, avec une adresse poste restante...
    J’ai été très touchée par cette rencontre, je suis repassée depuis au même endroit, il n’y était plus. J’espère qu’il a trouvé un hébergement et du travail.
     


    • Constant danslayreur 4 juin 2012 13:07

      "Quand il a ouvert le sac que je lui offrais, j’ai vu des larmes dans ses yeux, il m’aurait embrassée. Cela faisait très longtemps qu’il avait mangé des fruits  !"

      Je crois quant à moi que ses larmes n’avaient pas grand chose à voir avec les fruits, plutôt votre geste et votre sourire je dirais... surtout s’il a essuyé auparavant des tonnes de mépris et de méfiance assaisonnés à l’égoïsme, à la rapiatitude et à la boursouflure qui caractérisent le gros des troupes depuis des années.

      A lire des gens comme vous et l’auteure, non tout n’est pas perdu, merci smiley 


    • rosemar rosemar 4 juin 2012 12:55

      Joli article plein d’émotion qui nous rappelle que certains sont exclus et essaient de survivre dans un monde injuste ....

      Ne les oublions pas :donnons pour les collectes alimentaires ,par exemple mais est ce suffisant ? .Il faudrait leur redonner une dignité ,leur permettre de travailler surtout...
      Bonne journée Valérianne

      • Gabriel Gabriel 4 juin 2012 13:12

        Il en va ainsi d’un monde en déséquilibre Valérianne ! Tandis que des fortunes immenses s’amassent, que 350 milliards sont dépensé chaque année dans le monde pour la publicité, que 1500 milliards (chiffre 2009) le sont pour l’armement, les dépenses d’amour et de fraternité s’assèchent à mesure que l’individualisme grandit. Pour les associations et bénévoles qui luttent chaque jour pour plus d’altruisme et de solidarité, il reste dans leurs bouches le goût de l’amertume pendant que nos frères humains, comme des chiens sur les trottoirs n’ont plus que des écorces d’oranges en décomposition et, une fois par an avant l’hivers, la considération hypocrite de leurs contemporains.


        • Valerianne Valerianne 4 juin 2012 13:52

          Bonjour et merci pour vos comm’.

           

          Au Carrefour de l’Odéon, récemment, j’ai aussi croisé une personne à la rue. Un homme avec qui j’ai parlé, pour lui donner des tuyaux (je connais assez bien le circuit de l’urgence), lui conseiller, par le 115 (où il faut appeler dès 7h du matin...), d’aller à « La Boulangerie », pour être orienté après vers l’hébergement de stabilisation situé à la même adresse (qui permet, sans limitation de durée, d’être hébergé et accompagné, tant sur le plan social, logement, travail, santé...). Il était psychothérapeute, avait eu un cabinet, et était en ASS (allocation de solidarité spécifique - montant 450 €). Il dormait, quand il arrivait à avoir un peu d’argent des passants, dans une chambre d’hôtel chez un marchant de sommeil (là encore, sur ce sujet, il y aurait beaucoup à en dire... certains claquant plus de 400 €/mois pour dormir dans des chambres minables !). Un exemple parmi d’autres de personnes exclues du système, bien loin du cliché du clochard alcoolique (ceci étant, bien que ne buvant pas d’alcool, je me suis toujours dit que probablement, j’aurais plongé dans cette addiction si j’avais été à la rue... pour oublier la réalité !).

          On vit dans un drôle de monde...

           

           


          • iris 4 juin 2012 16:16

            On vit dans un drôle de monde...
            surtout en région parisienne car en province on voit moins ces situations-
            l’amènagement du territoire est à revoir avec l’organisation des logements etc...
            paris n’est pas la france ....il y a en province des logements vides et de foyers d’accueil mème en france profonde....


            • PUCK 4 juin 2012 23:26

              Vous avez raison,Iris,Paris n’est pas la France et la situation semble un peu meilleure en province.Les SDF chez nous ressemblent plutot à des routards, très usés , qui sillonnent le pays avec leurs chiens.Ce qui m’horripile d’ailleurs,c’est de voir tjrs de nouveaux chiots avec eux.Il m’est arrivé 1 fois de proposer timidement à l’un d’entr’eux de m’occuper de son chien qui semblait très maltraité,j’avoue que je ne le ferai plus,j’ai eu peur ...

              Dans les années 90,j’ai eu réellement l’occasion de m’occuper de vrais déracinés,je me souviens d’une femme sans age,assise, muette,devant mon officine:je l’ai nourrie,habillée pendant des mois et j’ai eu un des saisissement de ma vie de la voir,un matin,assise dans le froid,habillée en MOI.Tout peut arriver,à nous également .

              Valériane,j’ai aimé votre article,il donne à réfléchir,et,ce qui ne gache rien,est très bien écrit .Merci .

               


              • Valerianne Valerianne 5 juin 2012 06:58

                Merci, PUCK.

                 


              • jak2pad 6 juin 2012 03:51

                Moi, votre commentaire me donne des frissons.

                Heureusement qu’il sonne faux, et qu’il est visiblement inventé.
                Autrement il y aurait de quoi se tordre.

              • panpan 5 juin 2012 11:29

                Au fait, combien a coûté le cocktail de prise de fonctions de François Hollande ?
                « Ca n’a rien à voir » me direz-vous...
                Eh ben si, moi je trouve que ça a à voir...
                Se bagarrer pour 5 euros par jour alors que d’autres en claquent des millions et vous donnent des leçons de civisme... ça a à voir...


                • jak2pad 6 juin 2012 03:44

                  Un article assez joliment écrit, un peu scolaire pourtant.


                  Il a eu l’effet escompté :
                   vous avez décrit vos impressions et vos sentiments. Comme tout le monde ( ou presque) les partage, les réactions ne pouvaient qu’être favorables.
                  Belle moisson de félicitations !
                  Vous avez réussi à parler avant tout de vous, et les commentaires approbateurs ont fait exactement pareil : chacun est sensible, et rajoute un grain de sel.
                  Pour le pauvre type, cela ne change rien de rien.

                  Je suis surpris que personne n’ait noté le côté un peu voyeur, les allusions au single malt et au Monoprix.
                  Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il y a des gens qui ne se limitent pas à une empathie de surface, et essayent d’en faire un peu plus . Il y a le Secours Populaire, ATD- QuartMonde, le Secours Catholique, les Restaus du Coeur, et plein d’autres.
                  Si vous avez un peu de temps, aucune difficulté pour se rendre utile, même quelques heures par semaine.
                  C’est quand même autre chose que de contempler du coin de l’oeil un emballage de tablette de chocolat, et se consoler de son impuissance en imaginant d’où elle peut bien provenir.
                  Avec le mot de la fin, sur ce petit goût d’amertume.
                  Cela ne serait-il pas un peu déplacé, chère « herbe-à-chat » ?



                  • Valerianne Valerianne 6 juin 2012 07:46

                    Bonjour jak2pad,

                     

                    Le temps pour essayer, même si c’est une goutte d’eau dans l’océan, de lutter contre les inégalités, je le prends depuis plus de 15 ans. Concrètement. En ayant travaillé sur un hébergement de stabilisation (celui d’ailleurs dont je parle dans le texte) et dans des associations comme celles que vous citez. Ca n’enlève pas le petit goût d’amertume que je cite à la fin. Parce qu’on ne s’habitue jamais à cette violence.

                    Quant aux allusions au single malt et au Monoprix, c’est pour rappeler (sans jugement) qu’on ne se rend pas toujours compte que certains de nos plaisirs sont inaccessibles pour d’autres, tout simplement, parce que ces derniers sont dans la survie. Mais ça, visiblement, vous ne l’avez pas capté !  smiley

                    Vous devriez essayer de ne pas pré-juger de la vie des lecteurs (que ça soit moi ou les autres), et d’avoir moins d’a priori sur les gens. Peut-être m’avez-vous aussi confondu avec quelqu’un ? (je ne comprends pas du tout l’allusion « herbe-à-chat » que vous citez à la fin...). Mais ça n’enlève rien au fait que j’ai toujours du mal à comprendre ceux qui jugent les autres (qu’ils ne connaissent pourtant pas), ces autres étant forcément dans une empathie fausse et une sensibilité de surface...

                     

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