Nos quatre vérités
"Je vais lui dire ses quatre vérités". C'est une expression courante mais cette expression ne recouvre-t-elle pas une réalité ? J'y ai regardé de plus près et j'ai réfléchi à ceci : il semblerait que notre vérité soit effectivement composée de quatre sphères de vérités distinctes : notre vérité positive, notre vérité négative, notre vérité neutre et, enfin, notre vérité d'adaptation immédiate.
Nos quatre vérités
Notre vérité positive est tirée de la confiance et l'affection dont nous avons bénéficié. Je sais que chaque jour le soleil se lève, que mon ami m'est fidèle, que le sol est dur, que la gravité existe et que je ne risque pas de m'envoler subitement. Voilà pour la "bonne vérité positive" mais elle peut m'être inculquée à coups de récompenses et elle peut, en ce cas, s'avérer néfaste pour moi. Si j'obéis sans trop réfléchir, si je suis des maîtres à penser pour obtenir d'eux des avantages, de la reconnaissance, des libertés accordées, je suis dans une vérité de confiance qui me met en état de servitude. En Chine avec le contrôle social, nous pouvons constater ce phénomène de domestication des esprits. Mais dans nos pays d'Occident, nous ne sommes pas à l'abri non plus de céder au confort de la vérité positive aliénante. Suivre la doxa, répéter sans réflexion et sans nuance les messages ou slogans d'un parti, d'un média, d'un réseau social dit complotiste, tout ceci n'est pas propre à permettre à ma liberté positive de s'épanouir. Rien de trop, donc, comme disait les Grecs. La liberté positive peut aussi mener à la foi et dans ce domaine je ne m'avancerai pas.
Notre vérité négative est issue des émotions négatives et des expériences douloureuses ou décevantes. Nous construisons une vérité négative tirée de savoirs et de vécus qui nous montrent que la peur ou la colère sont aussi riches en enseignements que la joie ou la confiance. Les chats échaudés ont leur vérité négative. La peur de l'Autre peut être justifiée par mon éducation, mon milieu social, mes expériences scolaires difficiles, par exemple. Cette peur de l'Autre n'est pas sans fondement. Il s'agit bien d'une vérité pour moi. Je peux avoir peur de me tromper, de ne pas être accepté en société, d'être mal jugé, etc. La société montre tous les jours que cette peur a ses sources dans le réel. Le cynisme, la moquerie, le mépris ne sont pas des mythes. Ils opèrent quotidiennement. Je tire donc ma vérité négative de tout ce magma mais pour autant je dois veiller à ne pas choisir la voie de la facilité qui est de muer ma vérité négative en haine, en envie, en fanatisme. La vérité négative nous est quelquefois transmise par la voie de la punition. Le président de la République lui-même a utilisé en France ce moyen en punissant ceux qui ne voulaient pas se faire vacciner (alors même que la vaccination n'est pas obligatoire). Notre vérité négative issue de trop de punition agit comme le trop de récompense : elle nous aliène. Rien de trop, donc, comme disait les Grecs.
Notre vérité neutre vient de la raison, de la logique saine, de l'observation objective de la réalité, de la discussion avec des personnes qui ne partagent pas notre point de vue. Elle vient aussi de ceux nous avons appris du monde grâce aux scientifiques notamment. La Terre est ronde ; elle n'est pas plate. Notre vérité neutre a été admirablement illustré par René Descartes avec son cogito et sa méthode.
Le cogito dit "je pense donc je suis" (ou sans le mot "donc"). L'accès à la vérité de l'intuition claire et évident est ainsi un travail personne, un effort sur soi-même. Le principe "nous pensons donc nous sommes" n'aurait pas de sens. Et pourtant, il existe beaucoup de gens qui préfèrent recevoir la vérité de la part du grand nombre, de l'opinion publique, d'un groupe actif de complotistes, des médias dominants, du gouvernement, d'une secte, etc. Notre vérité neutre ne peut pas s'accommoder de telles servitudes.
Mais, me direz-vous, tout n'est pas faux, loin de là, dans ce qui nous est donné comme vérité par l'école, la télé, les livres, l'opinion. Evidemment, mais, il faut agir comme Descartes et dissocier la pensée provisoire ("morale par provision") de la vérité profonde et assurée que j'ai tiré de l'examen de mes opinions au moyen de la méthode du doute radical. La morale par provision n'est autre que la vérité du quotidien qui nous sert pour les actions immédiates, ces actions qui n'attendent pas que nous faisions des recherches très poussées en nous-même avant de tenir pour vrai, au moins momentanément et en attente de preuve du contraire, la vérité du sens commun. Il s'agit de la quatrième forme de vérité : la vérité immédiate.
Notre vérité immédiate. Cette vérité est le fruit de la nécessité d'agir et nous adapter très vite pour survivre et pour nous insérer dans la société. Notre vérité immédiate applique des principes simples et de bon sens : la vérité qui nous protège et protège nos proches est la meilleure du moment. En maquillant la réalité pour la rendre plus acceptable à nos enfants, nous mentons certes mais nous utilisons surtout la vérité immédiate, celle qui protège leur sensibilité. La vérité du Père noël est une fiction mais elle a aussi un sens. C'est un rite qui fait passer une certaine vérité : la générosité, le besoin d'espoir, le besoin de rêver. Il faut toutefois faire attention de ne pas tomber dans l'excès. Plus une vérité est belle et plus elle nous séduira, plus nous risquons d'y céder. Quelqu'un a dit : les vérités consolantes doivent être vérifiées deux fois. Je lui donne raison.
La vérité négative dit : "Défendez-vous !" ou "Indignez-vous !"
La vérité positive dit : "Affirmez-vous !"
La vérité neutre dit "Doutez et vérifiez !"
La vérité immédiate dit : "Adaptez-vous !"
Le doute et la vérité
Ces deux options nous accompagnent chaque jour. Laquelle choisir ?
Le doute n'est pas le gage de l'erreur ou du mensonge. A l'inverse, l'absence de doute ne garantit pas la vérité. En tous les cas, s'il faut douter comme Descartes ou comme un journaliste honnête ou comme un scientifique rigoureux, distiller sciemment le doute dans l'esprit des autres est moralement contestable. Le doute ne doit pas être une arme pour tromper ou pour plier la conscience adverse à notre façon de penser et de voir les choses.
En ce moment, la désinformation est partout. Toute information doit être soumise au doute le plus radical. Dès qu’un personnage affirme ses opinions, il faut se demander pourquoi il le fait.
La méthode en quatre points
Comme il existe un système de pensée à quatre vérité, il existe aussi une technique en quatre point qui nous permet de tester la vérité avec le maximum d'honnêteté et qui a recours à la prudence.
Et pour soi-même, quatre règles à suivre :
1 — Suis-je sincèrement convaincu de ce que j’affirme ?
2 — Si oui, par quel moyen me suis-je convaincu ? (comment est-ce que je sais ?)
3 — Ce que je tiens pour vrai doit-il être exprimé (question de l’utilité) ?
4 — Si oui, selon quelles formes ? Il y a parfois des précautions à respecter (dire en plusieurs fois, choix du média et de la manière)
La pulsion ne peut justifier à elle seule l’expression car trop d’émotion défigure la vérité.
Rappelons-nous enfin que la vérité en temps de guerre n'est pas la vérité en temps de paix et qu'il nous faut redoubler de vigilance dans le traitement des messages qui nous viennent de tous côtés.
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