Nous ne sommes pas fidèles aux combats de Gandhi !
La liberté d’expression ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Tant mieux, car nous avons bigrement besoin de dialoguer... pour mieux nous accorder !

S’il était apôtre de la non-violence, Gandhi n’était pas apôtre du non-agir. C’était un homme d’action qui souhaitait que le peuple indien se réveille pour, justement, s’engager dans l’action (non violente), être libre, ce qui veut dire aussi responsable de son destin. Ce réveil, il l’a suscité par ce qu’il faut bien appeler des provocations à l’égard du pouvoir oppresseur — tout en ouvrant la voie de la résistance non violente.
Dans le titre du compte-rendu enthousiaste qu’il a fait du colloque « Le Mahatma Gandhi et les religions » organisé dernièrement à Saint-Denis (Réunion), le philosophe Roger Orlu demandait si nous étions fidèles aux combats de Gandhi. Une manière de répondre à cette excellente question pourrait être de pointer l’absence apparente de toute provocation de la part de ceux qui saluent — ou se revendiquent de — sa pensée.
Aussi bienvenu et louable qu’il soit dans son intention de commémorer le 150e anniversaire de la naissance du grand homme, je me demande — sur la base du compte rendu qu’en donne Roger Orlu — si ce colloque était autre chose qu’une grand-messe de la pensée morale du temps avec, en trame de fond, la quête d’une forme d’unité entre les religions ? Cette visée peut, en soi, sembler belle et bonne mais il faut savoir que, depuis longtemps, les « puissances de ce monde » appellent de leurs vœux une telle unité afin de préparer les mentalités à une gouvernance mondiale perçue comme condition sine qua non de la paix sur Terre. C’est dire à quel point ce discours est facile : à l’instar de la lutte contre le réchauffement climatique, il a la bénédiction des puissants et n’est donc pas gandhien pour deux sous.
Oh, bien sûr, nous voulons tous la paix, mais nous tendons à oublier qu’elle a un prix. Pensons-nous sérieusement l’obtenir en nous conformant à cet esprit du temps qu’on appelle la bien-pensance et qui se retrouve partout, dans les médias, les réseaux sociaux et, dorénavant, dans les automatismes mentaux de bon nombre de nos concitoyens ? Qui peut croire que la paix régnera avant que l’on ne se soit mis d’accord et, donc, avant que l’on ait discuté, disputé et débattu des grandes questions, celles qui justement nous divisent et nous fâchent ? Héraclite, comme la démocratie grecque, ne nous ont-ils pas appris que le combat (notamment des idées) est père et roi de tout et, donc, aussi, de la paix ?
Or, qui ne voit que les conditions d’un authentique débat ne sont plus satisfaites dès lors que la liberté d’expression n’est plus garantie ? Outre le fait que le pouvoir s’arroge le droit d’amalgamer antisionisme et antisémitisme en contravention avec les plus élémentaires règles de la logique, on notera, par exemple, qu’avec les récents accords de Marrakech, la France s’est engagée à ce que les médias ne parlent que favorablement de l’immigration de masse, notamment celle qui a cours actuellement et dévaste (quel autre mot ?) l’île de Mayotte. Ceux qui s’interrogent sur la manière dont s’opèrent les processus migratoires vers l’Europe savent que, dorénavant, ils passeront, à coup sûr, pour des xénophobes ou, pire, des racistes s’ils souhaitent seulement partager les pros et les cons de leur réflexion. La plupart se tairont, au risque de bouillir intérieurement et, pour certains, d’exploser ensuite à cause d’un insupportable sentiment d’injustice.
Le malheur est que nous sommes tous menacés par ce rayon paralysant de la bien-pensance dogmatique et, osons le mot, haineuse, à l’égard de tous les mécréants insoumis qui s’autorisent à sortir des couloirs de pensée balisés par l’Empire du Bien auto-proclamé. Alors que le gentil troupeau s’approche du bord de la falaise, alors que la fabrique du consentement au choc des civilisations tourne à plein régime, il reste condamné au consensus mou et feutré de la bien-pensance obligatoire.
Il n’est que de voir le sort réservé aux Gilets Jaunes. Les éditocrates au service de leurs milliardaires de patrons ne se font pas prier pour leur jeter la pierre à tout propos.
Mais heureusement les Gilets Jaunes ont du courage, ils résistent à l’ordre des choses en payant de leur personne. Non violents dans leur immense majorité, ils sont, eux, assurément fidèles aux combats de Gandhi, Martin Luther King et autres Mandela. En se soulevant contre un ordre immoral et épouvantablement injuste, ils agissent de manière responsable à l’égard des générations futures. Ils n’attendent pas que les intellectuels aient le courage de les suivre et ils ont raison : cela fait déjà quarante ans que Soljenitsyne a souligné le déclin du courage dans la « couche intellectuelle dominante » de l’Occident.
Pour se réveiller, suivre Gandhi et mener le nécessaire combat contre les « puissances de ce monde », il conviendrait donc d’ouvrir les yeux et de porter attention aux auteurs qui ne font pas partie de la « couche intellectuelle dominante », celle qui a pignon sur rue et que l’on entend enfumer et mentir à longueur de temps sur les médias du pouvoir.
Sous ce rapport, au risque d’être injuste envers les nombreux auteurs de l’ombre qui « font le boulot » d’explication du monde tel qu’il va (mal), je me permets de recommander Crépuscule, [1] le remarquable livre de Juan Branco. Il donne une saisissante description de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et me semble indispensable pour commencer à comprendre les causes d’un désastre annoncé qui donne tout son sens et son urgence au combat proprement gandhien des Gilets Jaunes.
[1] Le lien mène au pdf gratuit du livre. Mais Juan Branco est au RSA. On peut le soutenir en achetant ses livres dans toutes les bonnes librairies — le précédent a pour titre Contre Macron.
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