Nouveau gouvernement : remaniement des ombres
Le gouvernement français ressemble de plus en plus à un théâtre d’ombres. Pris en étau entre d’une part une technostructure tentaculaire, totalement affranchie du politique, et d’autre part une conjoncture internationale écrasante sur les plans économique, sanitaire et géopolitique, les marges de manœuvre deviennent tellement étroites que gouverner notre pays se réduit à pratiquer un art de l’illusion. La parole tient lieu d’action. La déclamation médiatique s’affiche d’autant plus haut qu’elle ne sert en réalité qu’à dissimuler une impuissance extrême.
Dans ce contexte, il n’y a fondamentalement rien de nouveau à attendre du remaniement ministériel qui vient d’intervenir. Le niveau de contrainte demeure tel qu’il commande tout. En matière économique l’action à venir se limitera, quels que soit les apparences ou les discours, à inonder encore notre pays de fausse monnaie avec la complicité lourde de la BCE. Au niveau social, il s’agira de colmater désespérément les brèches devenues gouffres d’un système en pleine dérive, le seul objectif de l’exécutif étant que tout ne craque pas d’ici à la prochaine élection présidentielle. L’endettement public se trouve déjà entièrement hors de contrôle, la chute du PIB vertigineuse, la montée du chômage inexorable. Il en résultera un appauvrissement généralisé, des grognes et des éruptions de colères, des violences sur fond de faillite régalienne, le tout accompagné d’un rejet massif du personnel politique.
Cette vision amère de ce qui se dresse pour l’avenir de notre pays ne constitue pas une névrose pessimiste, mais un constat, le résultat mécanique d’un engrenage historique auquel, crise suivant crise, année suivant année, il devient particulièrement difficile de pouvoir échapper.
Il nous est promis un monde d’après. Au regard des orientations déjà fixées, il sera inexorablement le monde de la reculade, un curieux mélange de capitulations et d’élucubrations. Certes le gouvernement vient d’être nommé. Nous le jugerons pleinement sur ses actes et sur ses résultats. Mais plusieurs éléments fournissent d’ores et déjà des indications claires sur ce qui va advenir.
En premier lieu, le choix de Jean Castex comme chef du gouvernement relève de l’absolue fantaisie. Voici un homme qui, huit jours avant sa désignation, appartenait au principal parti d’opposition parlementaire, à savoir « Les Républicains ». Voici un homme qui, il y a seulement quelques semaines, se présentait au suffrage universel municipal sous la bannière de l’opposition au gouvernement d’Edouard Phillipe et au président en place. Voici un homme qui, maintenant, acclame Emmanuel Macron à longueur de journées et se répand en louanges incessantes sur le premier ministre sortant. Voici donc un homme qui soit n’a aucune conviction, soit partage les mêmes convictions que la majorité au pouvoir, mais a fait semblant de s’y opposer par pure soumission aux pratiques partisanes politiciennes. La réalité risque certainement de se situer entre les deux. Nous sommes en présence d’un premier ministre de peu de convictions politiques mais aux lourdes croyances technocratiques, un homme dont les idées principales sont absolument identiques à celles d’Emmanuel Macron et qui, comme bien d’autres, a occupé facticement depuis trois ans le terrain de l’opposition.
En deuxième lieu, la composition du gouvernement témoigne du vide politique sidéral qui entoure le président de la République. Il était annoncé un gouvernement de missions et de rassemblement. Certains se mettaient même à rêver d’une large union nationale transcendant les clivages pour ne servir que l’intérêt supérieur du pays. Il nous a aussi été vanté le retour du politique, Emmanuel Macron n’hésitant pas à dénoncer le gouvernement d’Edouard Philippe comme trop soumis à la technostructure. Le résultat ne tient aucune des promesses. Les ministres restent pour l’essentiel les mêmes, avec quelques permutations, sauf un grandiloquent prédicant pour garder les sceaux de la justice et une higoumène rieuse à la culture. Cependant, sur le plan politique, ces deux arrivants n’incarnent rien d’autre qu’eux-mêmes. Quant à la prétendue lutte contre la domination de la technostructure, le premier ministre nouveau n’augure rien d’autre que la duplication clonique de la caste énarchique. Ancien élève de l’ENA, tout comme Emmanuel Macron, ancien inspecteur des finances, tout comme Emmanuel Macron, ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée, tout comme Emmanuel Macron, Jean Castex symbolise pleinement le triomphe de la consanguinité bureaucratique jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat. Certes Jean Castex peut se revendiquer de sa qualité d’élu local. Mais s’il demeura maire de province plutôt qu’élu national, c’est surtout parce qu’il fut battu aux élections législatives auxquelles il a été candidat. Le choix du terroir s’imposa à lui « à l’insu de son plein gré », selon la formule de nos jours consacrée.
En troisième lieu, il nous est claironné l’annonce d’un programme de relance énergique, aux saveurs de « green deal ». Le ministre de l’économie et des finances a même imposé de voir désormais timbré sur son papier à lettre la mention « ministre de la relance », sacrifiant ainsi à la mode assez pathétique des ministères slogans, où le mot, tel un gargarisme, vient s’agiter sur le devant de la scène. Il faut donc croire qu’en ce mois de juillet 2020 Bruno Le Maire avait impérativement le besoin de s’armer d’un nouveau titre pour faire face à la crise. Ce « green deal », élaboré en toute hâte, se veut à la fois un nouveau keynésianisme et la réponse aux préoccupations écologiques. Il entend prendre appui sur la poussée verte mesurée aux dernières élections municipales, en feignant d’oublier que les résultats de ce scrutin reposent pour l’essentiel sur les sables incertains, dangereusement mouvants, d’un abstentionnisme électoral massif. Nous sommes face à une opinion publique fantomatique pouvant se retourner à toute instant. Ce « green deal » signera, parait-il, le retour en force du dirigisme économique, assorti de la planification étatique, pour réaliser par voie administrative une transition écologique prétendument salutaire. Il s’agirait d’établir ainsi une sorte de « gosplan vert » pour temps post-modernes. Le résultat en sera celui de tout gosplan, qu’il soit écologique ou autre, la ruine. Une mutation économique ne se décrète pas. Pour réussir, elle doit prendre force à partir de fondamentaux techniques, financiers et productifs, permettant la création de nouvelles richesses génératrices d’une valeur économique tangible. Or ces fondamentaux ne sont pas au rendez-vous des fantasmes écologiques en forme de culte de la décroissance. Ils ne sont pas non plus dans les galéjades sur la prétendue puissance disruptive que contiendrait l’économie verte.
Au niveau du principe, il peut tout à fait être admis que le développement de technologies améliorant la protection de l’environnement soit un puissant moteur de croissance. Notre monde a connu depuis le XIXème siècle plusieurs révolutions industrielles successives, créatrices d’importantes richesses. Il est parfaitement concevable que la prochaine prenne la forme d’une transition écologique. Mais ce qui caractérise les grandes révolutions économiques est toujours leur capacité à fournir de nouvelles énergies, de nouveaux biens ou de nouveaux services qui soient solvables. Aucune croissante véritable ne s’est jamais réalisée à l’encontre des mécanismes du marché libre, des lois de la rentabilité, de l’investissement, de l’offre et de la demande. Or le « green deal » qui vient n’a rien à voir avec cela. Il relève du domaine de l’économie contrainte, de l’achat forcé et du subventionnisme. Il s’agit d’obliger, par la loi, à remplacer des produits librement demandés par des produits non librement demandés. Il s’agit d’imposer des besoins légaux, venant se substituer aux besoins réels existants. Un gouvernement possède par nature le pouvoir d’ordonner aux citoyens des règles contraignantes, y compris en matière économique, pour servir un intérêt général. Il peut par exemple obliger chacun à dépenser pour mieux protéger la santé ou lutter contre la pollution. Mais il s’agit alors d’une charge, d’un surcout. Le mythe du « green deal » n’est pas de vouloir améliorer l’écologie par des mesures coercitives, mais de vouloir croire que ces mesures seront créatrices de richesse. Lorsque l’écologie est rentable, le marché privé s’en charge sans difficulté ni besoin d’incitation. Quand elle n’est pas rentable, la mise en œuvre de la transition écologique se transforme en un appauvrissement économique. Il sera peut-être alors créé des emplois nouveaux, mais ils seront fondamentalement improductifs. Il sera peut-être alors créé des entreprises nouvelles, mais elles ne vivront que par l’argent des aides publiques.
Nous disposons d’une illustration parfaite de ce qui nous attend en observant les résultats de la politique de logement conduite en France. Considérant que le secteur privé était inefficace, injuste et cruel, il a été décrété une réglementation extrêmement contraignante du marché locatif. Ce mouvement s’est accompagné d’investissements massifs dans l’habitat social. Imaginant que l’amélioration thermique et écologique des immeubles était à la fois une nécessité environnementale et une manière de développer l’activité économique, il a de plus été multiplié les normes et contraintes de toute nature en matière de construction et de réhabilitation. L’imposition de travaux de mise en conformité devait être source de croissance. Le bilan, nous le connaissons. Nous voici avec une crise profonde du logement, avec un marché tétanisé manquant lourdement d’offres, avec une population en souffrance.
Rien n’a fonctionné comme annoncé dans ce secteur. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, rien ne fonctionnera en appliquant cette recette économique à d’autres domaines.
En réalité, par le « green deal », il nous est ressorti une nouvelle fois le vieux mythe étatiste selon lequel les technocrates seraient mieux à même de piloter l’économie que les entrepreneurs. Il ne s’agit au fond que d’une opération de pouvoirs par laquelle notre haute bureaucratie entend mettre encore plus sous tutelle le secteur privé, afin d’assoir toujours d’avantage sa domination sur la société et sur les citoyens.
Qui peut pourtant croire que ceux qui depuis plus de quarante ans ont conduit notre Etat à la ruine financière par une gestion parfaitement hallucinée des dépenses publiques sauront accomplir autre chose que des faillites ? Qui peut raisonnablement penser que la clique des grands fonctionnaires qui s’est montrée incapable d’équiper la France de suffisamment de moyens hospitaliers, malgré un niveau de dépense gigantesque, réussira à régenter efficacement l’économie ? Qui peut sérieusement considérer que ceux qui ne sont même pas parvenus à commander à temps suffisamment de masques pour répondre à l’épidémie du covid-19, parviendront à se montrer efficaces pour reconstruire une industrie qu’ils ont eux-mêmes largement détruit ?
Avec de tels généraux, l’économie française n’a pas besoin d’ennemis pour connaitre la grande débâcle.
Olivier Barrat
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