Nouveau malaise dans la Civilisation et la Turquie
Le constat sur l’augmentation des « préjugés » n’est pas une surprise. Un de mes articles (sept. 2007), sous le titre : « généralisation de la stigmatisation », pointait d’ailleurs une dérive consistant à caractériser négativement toute une population en raison d’actes odieux commis par certains de ses membres - ce que n’ont jamais fait les Turcs malgré le terrorisme kurde qui frappe la Turquie depuis des décennies.
Ainsi, une fois les premières réticences dépassées, on affirmait que l’Islam était « structurellement » mauvais, barbare, et donc que tous les Musulmans étaient violents de nature. On amalgamait Islam et Islamisme, Musulman et fanatique, si bien qu’on parlait d’Islam « modéré », comme si l’Islam était d’essence extrémiste et fanatique. La puissance médiatique, militaire, financière des Etats-Unis, exclusivement tournés, depuis les attentats de septembre 2001, vers la guerre contre l’Islam(isme), donnait par ailleurs du poids et de la force à ceux qui désiraient charger les Musulmans de tous les maux et malheurs – la plus grande démocratie du monde pouvait-elle se tromper ?
De même pour les Turcs qui, dès lors qu’ils affirmaient leur turquicité, étaient tous des nationalistes hystériques, prêts à « génocider » tout ce qui leur tomberait sous la main. La question de l’adhésion de la Turquie à l’UE a ainsi été l’occasion d’une vague xénophobe pour le moins brutale.
Les Turcs étaient donc un peuple de « génocideurs », on leur supposait des intentions viles de profiteurs (eu égard auxsubventions européennes qu’ils ne manqueraient pas de demander ou de recevoir, on voit aujourd’hui, avec la Grèce, que ces subventions n’étaient pas si bien utilisées sans que ça n’éveille de réactions), d’Islamistes qui finiraient par imposer les minarets à toute l’Europe, un "poème" de mauvais goût du Premier ministre turc, Erdogan, faisait ainsi le tour des forums et des sites Internet, un peuple, encore, de barbare qui occupe Chypre (alors que c’est la partie grecque qui depuis le début du XXeme siècle tient à effacer la présence turque) où la violence faite aux femmes serait générale, où les prisons seraient l’anti-chambre du « Tartare » (nous avons vu l’état des prisons françaises, qui provoquent nombre de suicides) des personnalités d’extrême droite ou d’extrême gauche, qui ne brillent pas par la profondeur de leur pensée, devenaient des « experts » de la Turquie, les arguments de chaque élection tournaient autour du « non » à la Turquie dans l’UE, on conditionnait, par exemple, la réforme de la Constitution à ce « non » etc – les exemples des attaques contres la Turquie et les Turcs ne manquant pas.
Sorte de délire donc, de « turcofolie » néologisme bien à propos d’Olivier Duhamel et qui décrit bien l’ambiance qui a régné (qui règne encore ?) autour des Turcs durant ces dernières années en France. Délire relayé, amplifié par les médias, où tout ce qui était en rapport avec les Turcs et la Turquie se devait d’être négatif.
Ainsi, que le constat d’une augmentation des « préjugés » arrive si tard et que durant « le matraquage stigmatisant envers les populations arabes et musulmanes », comme l’affirme Arielle Schwab (présidente de l’UEJF), personne ne se soit élevé pour dénoncer cette stigmatisation montre, également, que la raison peut parfois être largement débordée par des fièvres malsaines – catalysées par des crises sociale, économique ou existentielle.
Le débat sur la « liberté d’expression » (certains affirmant : « on ne peut plus rien dire d’anti-consensuel », d’autres : « que la parole raciste s’est libérée ») est secondaire, c’est un débat sur les effets de situations politiques devenues, en raisons des crises que nous vivons, instables et angoissantes.
Il faudrait ainsi pouvoir nommer les angoisses qui nous traversent pour leur trouver des solutions, si tant est qu’il ne soit pas « trop tard ». C’est l’analyse que fait le philosophe Edgar Morin sur la situation actuelle :
« Elle (la France) souhaite le rejet des sans-papiers, la répression cruelle des jeunes des banlieues, elle exorcise l’angoisse des temps présents dans la haine de l’islam, du Maghrébin, de l’Africain, et, en catimini, du juif, en dépit de sa joie de voir Israël traiter le Palestinien comme le chrétien traitait le juif. »
Et plus loin :
« Il ne s’agit pas de concevoir un "modèle de société" (qui ne pourrait qu’être statique dans un monde dynamique), voire de chercher quelque oxygène dans l’idée d’utopie. Il nous faut élaborer une Voie, qui ne pourra se former que de la confluence de multiples voies réformatrices, et qui amènerait, s’il n’est pas trop tard, la décomposition de la course folle et suicidaire qui nous conduit aux abîmes. »
Il y a aujourd’hui un affaiblissement du sens commun qui mène nos existences. Le monde des religions monothéistes sur lequel reposent nos sociétés donnait un sens fort à la vie, qui « exorcisait » en effet nos angoisses. Aujourd’hui, la croyance aux préceptes religieux est affaiblie et nous sommes livrés à l’indéterminé qui, impassible, ne constitue plus des réponses aux questions fondamentales qui nous occupent.
La question qui se pose alors est de savoir si nous pouvons trouver un nouveau cadre, de nouveaux liens permettant de continuer à vivre ensemble. Edgar Morin évoque ici une nouvelle forme de démocratie qui serait « participative » ou un « néoconfucianisme » qui aurait vertu de mettre en valeur les qualités de « bienveillance », de « compassion » chez les hommes.
En attendant, les régressions des libertés dans les pays occidentaux sont un fait qui n’est dû ni aux Turcs, ni aux Musulmans, ni aux « sans-papiers » etc. Les signifiants turcs, musulmans, ou « sans-papiers » valent ici comme symptômes qui pointent un « malaise dans la Civilisation » qui se cherche des remèdes. En trouverons-nous, rien n’est moins sûr.
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