Nouvelles régions : ce que le découpage révèle
Les nouveaux découpages des régions proposés par le gouvernement se suivent et se ressemblent. Les élus locaux protestent mais parfois simplement pour protéger leur prébendes. Au-delà de l'effarement des cartes proposées, des luttes de fiefs entre caciques locaux, et des querelles de compétences entre échelons administratifs, une logique profonde se révèle à la lecture des arguments avancés par le gouvernement. Qui révèle des motivations idéologiques plus profondes.
Un bref historique
L'histoire du territoire français et de ses découpages administratifs est longue. On ne remontera pas à l'Antiquité, mais Fernand Braudel soulignait comme les archéologues notent dès le néolithique (5000 ans av. JC) que la France du nord et la France du sud sont marquées par un antagonisme. Cet antagonisme tient autant au climat et au relief qu'aux sources migratoires.
En effet, dès cette époque reculée la France est soumise à deux sources migratoires diverses. L'une entre par le sud méditerranéen (future Marseille) et remonte la vallée du Rhône, ou vers les massifs d'Auvergne, ou encore vers le Languedoc et le Midi toulousain. L'autre provient d'Europe orientale et parfois d'Asie centrale, et entre par le Rhin, se répendant dans toute la France du nord et sur la façade atlantique jusqu'aux pyrénées. L'œil exercé pourra même remarquer la persistance historique de ce clivage : la France de Charles VII à la veille de son couronnement, ou la France de la zone-libre en 1940-42. Un grand quart sud-est s'opposant au reste du territoire. La comparaison s'arrête-là, car elle serait de trop peu de rigueur historique, mais elle est bien curieuse. Surtout si l'on remarque que les deux pires moments de l'histoire de France sont les débuts de Charles VII et l'Occupation allemande : c'est alors que la France est tout simplement menacée de disparaitre en tant que telle.
Les critiques conservateurs ne manquent jamais de souligner "l'absurdité" du découpage départemental des révolutionnaires, lui opposant l'historicité supposée des provinces royales. C'est pour des conservateurs bien mal connaitre les constantes de l'âme humaine ! Les caciques de l'époque n'étaient guère différents de ceux d'aujourd'hui. Il fallait un fief à chacun, et l'on parachutait du marquis de façon tout aussi arbitraire pour service rendu à la couronne. Les familles et les états, par mariages, achats ou guerres s'échangeaient ou s'arrachaient des provinces ou des lambaux de régions au gré des hasards et des intérêts. On élevait en baronnie tel ou tel petit chef-lieu pour faire face ici aux anglais en se servant d'un petit nobliau. Là on arrachait à un "hérétique" son fief rattaché à celui d'un chevalier du nord. Ici on installait en seigneur un bon bourgeois des villes dont le fils avait servi la haute administration royale ou cléricale. Et les évêchés avaient parfois simplement repris le siège des anciens centres administratifs romains, dont l'emplacement conjugait les anciennes places fortes gauloises autant que les nouvelles voies commerciales et militaires du grand empire.
Il est donc assez abusif de chercher toujours et partout des régions absoluement légitimes ou naturelles. Il existe de la légitimité et de la nature, mais il faut savoir la pondérer à l'histoire des hommes.
Les révolutionnaires qui n'étaient pas des gauchistes de Saint-Germain-des-Prés, mais d'abord l'expression de la bourgeoisie montante dans tout le pays, ont remplacé ces apanages royaux et identitaires, par les départements dont la logique était de combiner une certaine rationalité territoriale avec l'expression de la nouvelle idéologie : le citoyen souverain. Le département exprime donc un flux inverse à celui de la province royale. Si la province opère une logique du haut vers le bas, de pouvoir vers les simples gens, le tout arrangé dans un mélange de rationalité territoriale et d'identitée pseudo-mystique, le département oppose un logique du bas vers le haut : il est l'expression des classes éduquées locales qui exercent par cette voie un pouvoir vers la capitale et le sommet de l'état. Nos départements sont donc bien une expression politique des classes moyennes.
Mais les départements conservent avant tout une logique d'administration centralisée du territoire. La république est Une et Indivisible. La démocratie s'exerce au niveau de la commune et au niveau de la nation. Le département est un échelon d'administration qui garantit ces institutions. En replongeant en profondeurs dans ces logiques anciennes, on est impressionné par la sagesse profonde qui présida à ces découpages. On peut penser des modernisations nécessaires, on reste admiratif de la subitilité politique et idéologique de cette constitution administrative du territoire.
La régionalisation.
Au moment de la création des régions en 1982, le Président Mittérand rapelle à Pierre Maurois qui lui présente une France en 16 régions, qu'il y a plus de 16 socialistes qui souhaite devenir président de Conseil régional. On aura donc 22 régions.
A l'heure de l'automobile et du TGV, on peut comprendre que certains estiment le département trop petit. Mais il faut noter que ce sont les libéraux (de droite et de gauche) qui défendent cette vision économique de l'administration du territoire. Ils sont le témoin de l'évolution idéologique de la bourgeoisie française. Et peut-être de son égarrement par rapport à ses propres intérets. La régionalisation incarne le basculement total de la bourgeoisie dans le néo-libéralisme. C'est à dire que le libéralisme ne s'arrête plus à la libre-pensée, ou à la libre-entreprise, mais par une sorte d'accomplissement ultime englobe toute la société dans le pouvoir de l'argent. La bourgeoisie française exerçait son pouvoir par deux magistères : la puissance économique et la puissance intellectuelle et morale, c'est à dire politique. C'était le département. La bourgeoisie néo-libérale estime que sa puissance économique lui permet par l'argent de vider les institutions politiques de leur contenu moral et intellectuel. Donc, le pouvoir économique devient aussi le pouvoir politique. C'est la région. Qui doit "dynamiser les territoires" et soutenir les "entrepreneurs" en leur "simplifiant" les démarches administratives.
Mais on sait aussi comme ce découpage fut arbitraire. Il s'agissait dans la pratique de réunir des départements déjà constitués. Et donc nullement de répenser en profondeur les institutions françaises et l'essence de la république. On a plaqué un échelon nouveau sur un ancien. Il eut été en effet difficile d'expliquer aux français que la Pensée n'était plus rien, et que l'Argent était tout ! On créa discrètement les régions à grand renfort de catéchisme lénifiant sur le dynamisme entreprenarial.
Les néolibéraux ne simplifiait nullement la bureaucratie. D'ailleurs leurs entreprises multi-nationales sont des prototypes de bureaucraties lentes, opaques et impotentes. Les néolibéraux enfonçaient un drain dans le tissu administratif pour le vider peu à peu de sa substance, et la remplacer par leurs idées, leurs logiques, leurs mots et leurs symboles.
Trente ans plus tard, ils peuvent donc réclamer la "simplification" administrative qu'ils ont créé de touts pièces. C'est la deuxième étape. Supprimer purement et simplement les anciens départements. Et obtenir une France entièrement dessinée en fonction de leurs symboles. Nous n'aurons alors sous les yeux plus aucun souvenir de ce que nous avons été, des républicains épris de Pensée. C'est précisément ce qui distingue le libéralisme du néolibéralisme : une forme de totalitarisme de la pensée de l'homme et de la collectivité.
Les néolibéraux ont donc réussi une nouvelle étape dans la disloquation entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. En plaçant tous les leviers et centre de décision économiques dans les régions (on communique opportunément sur la "proximité"), ils déshabillent l'Etat d'autant. Celui-ci finira donc par apparaitre un jour comme un échelon "couteux et inutile", entre l'Europe et la Région (programme de tous les partis consciement ou inconsciement néoliéraux). L'Etat a ce défaut d'être entre les mains des électeurs-citoyens et consitué selon une logique politique et intellectuelle (et non de pouvoir et d'argent).
Le projet néolibéral est donc de supprimer tout à fait la dimension intellectuelle de l'homme au profit des intérêts du capital. Les êtres vivants étant tenus par la célébration continuelle de leurs pulsions et de leurs mauvais penchants : sexe caricatural, consumérisme, cupidité, toxicomanie, etc. La publicité faisant office de culture. Et la région et l'europe actuelles de miroir institutionnel.
Le nouveau découpage.
Les cartes font rire. Elles font rire bien qu'elles fassent pleurer. C'est tellement ridicule que même en pleurant on rit encore ! La carte de France ressemble à une smarties de disneyland ! Il ne manque plus que Mickey et le parc Astérix pour capitales régionales ! On rit au milieux de nos larmes. On pleure au milieux de nos rires.
On sent que les cyniques qui ont proposé ce découpages sont autant sadiques qu'ignorants. Car, un pervers cultivé n'eut pas su aller aussi loin dans le rafinement de la cruauté cartographique. Nous saignons de nos yeux en lisant ces cartes absurdes.
Comment ne pas être surpris par les logiques qui ont présidé à ces redécoupages ? Et tout d'abord qu'il ne s'agit que de fusion ou non-fusion de régions déjà existantes. Alors qu'on sait que ces régions étaient déjà dessinées assez arbitrairement sur des départements pré-éxistants et conçus dans une logique différente. Les nouvelles régions accumulents donc comme de mauvaises graisses toutes les petites imprefections des précédentes. La logique territoriale est de plus en plus abstraite. On apprend que les caciques locaux défilent à Paris pour modifier ou refuser les fusions. Certaines régions restent donc indépendantes pour satisfaire à tel président de conseil régional ! On nous dit que le "pragmatisme" c'est aussi de courtiser les "influences locales" qui feront autant à la réussite des régions que les découpages géographiques. Sauf qu'au prochain mandat, cette éminence locale sera remplacée par une autre. Mais la région restera découpée de travers pour dix générations en souvenir de cet illustre inconnu qui passa un jour défendre son pré-carré dans quelque officine ministérielle chez un ancien conjoint ! on pleure des larmes de sang sur notre pays en lisant ceci.
On reste également surpris que les départements ne servent pas de base au redécoupage, plutôt que les anciennes régions. Quel rapport entre la Haute-Marne et la Somme ? Quel lien entre l'Eure-et-loir et la Charente-maritime ? On apprend ainsi que l'Aisne et la Somme n'ont aucun lien avec le Nord-Pas-de-Calais car Mme Aubry ne veut pas d'eux dans "sa" région. Et voici donc Amiens rataché à Bar-sur-Aube ! Mais ce ne sont là que les âneries les plus voyantes. La région parisienne par-exemple n'est pas du tout repensée. Pourtant une partie de l'Oise et de l'Aisne sont presque devenues des banlieues. A contrario, certains territoires beaucerons du sud de l'ile-de-france ont peu à voir avec la capitale.
Les exemples dans tout le pays sont de toutes façons innombrables. Et on aurait au moins pu alors repenser vraiment le territoire. Encore une fois, il eut fallut débattre du fond, et les citoyens français eussent réclamé une logique administrative différente de celle des cercles néo-libéraux. On préfère le bancal à la subversion républicaine.
Vers la disloquation programmée de la France.
En descendant plus profondément dans les arguments donnés à la presse, on est encore plus édifié. Les nouvelles régions sont réputées plus équilibrés en termes de superficie, population et surtout économie.
Mais quel intérêt de comparer les PIB des régions ? Quel intéret de comparer le PIB de la Lozère et celui des Haut-de-Seine où se situent les tours de la Défense ? Un seul : préparer sous cet ânonage sucré la disloquation de la nation et de la France. Je m'explique.
La Nation et la France forment un pays uni. Donc solidaire. Ainsi qu'une famille : les enfants coutent et les parents rapportent. Peut-être un des parents s'occupe-t-il au foyer des enfants pendant que l'autre travaille à l'extérieur pour rapporter de l'argent. Les grands-parents ont parfois besoin d'aide. Le temps aussi se réparti. Il y a les heures où on dort, et celles où l'on travaille, les jours où l'on fait les comptes et ceux où l'on part en vacance. Prenez maintenant chaque personne isolément : le petit dernier deux 2 ans coute et ne rapporte rien. Le travail de Madame qui s'occupe des petits est certes émouvant, mais totalement improductif au niveau comptable. Quand au temps de sommeil, il creuse un déficit de revenu abyssal face au temps passé au bureau. Il en revient que nous allons supprimer toute la famille sauf ceux qui exercent un activité rémunérée. Et quele sommeil et les vacances seront désormais proscrits. Car vous ne pensez quand même pas qu'on va passer son temps à nourrir des mioches ingrats et à "rien-fiche" en vacances ! Avec ces raisonnements puissants les néolibéraux modifient chaque jour nos institutions et nos consciences.
Avec les régions, est-on dans une logique d'administration du territoire ou dans une logique de disloquation du territoire ?
Du point de vue de l'administration du territoire, il n'y a absolument aucun sens à essayer d'équilibrer les régions entre-elles du point de vue économique. Il faut au contraire trouver le juste maillage local quant à l'exercice de l'administration (ordre, fiscalité, droit, routes, aide sociale, etc.), les régions jouant entre-elles de la péréquation pour permettre aux régions pauvres de bénéficier des régions plus prospères. C'est ce qui s'appelle faire société.
L'autonomisation des régions sur la base de leur PIB local, prépare donc une "responsabilisation" locale. Et donc une disparition progressive de la péréquation entre régions françaises. Chacun se sentant libéré du poid d'autrui. Disons pour faire bref, des "paresseux" et des "assistés" d'en-face. Si les bretons ne se sentent plus responsables des languedociens, ou les corses des parisiens, alors, il n'est plus de France. L'Etat devenant superflu avec ses "contraintes d'un autre-temps", la France pourra disparaitre, les régions "dynamiques" étant administrées directement par Bruxelles.
De ce fait, le dessin apparant des nouvelles régions découvre le dessein profond des "réformateurs". Faire disparaitre tous les lieux de démocratie en France au profit des "structures simplifiées", avec des "technocrates" choisis selon leurs "compétences", et non plus des strcutures nécessairs avec des élus choisis par le peuple en fonction de sa seule souveraineté. Le but n'est pas de parvenir au meilleur gouvernement économique, mais de parvenir à la société à laquelle le peuple souverain aspire. Qu'importe si elle pourrait être plus riche (ou plutôt si certains pourrait s'en mettre plein les poches). Le but est que nos institutions et nos élus soient à l'image de ce que nous désirons et assumons, dans le cadre de nos valeurs républicaines (Liberté, Egalité, Fraternité, et pas seulement efficacité, simplicité et austérité).
Le dessin des régions parait stupide tant aux conservateurs qu'aux progressistes, car le projet des libéraux n'est pas d'administrer la France, mais de fluidifier le "territoire" et les "impondérables humains" pour permettre un meilleu business à l'échelle mondiale. De ce point de vue la République, la Pensée et l'Europe progressiste sont vraiment des obstacle au "progrès" tel que vu par ces gens.
Vers les sous-régions.
L'été est là. Et pour un certain nombre d'entre-nous (de moins en moins), les vacances approchent. Les vacances, cette utopie socialo-communiste, qui consista un jour à "payer les gens à rien-faire" ! Aujourd'hui les congés-payés sont un pilier de notre économie, preuve que le bien est efficace.
Certains iront s'entasser dans des stations balnéaires, d'autres iront se perdre dans quelque improbable campagne. En milieu rural le territoire est vaste. Et son administration peu évidente. L'homme urbain se sent libre au milieu de la masse, mais aussi rappeler à l'ordre par l'omniprésence des murs de la ville. L'homme rural est surveillé par ses voisins, mais vit éloigné des symboles de l'ordre administratif. La diminution des services publics et la désertification rurale ayant largement accru ce phénomène psychique.
Prenons la Normandie, qui va retrouver ses frontières historiques. Qu'est-ce-que la Normandie historique, sinon un territoire et sa population accordé à des pillards Vikings venus de Scandinavie ? Est-ce là une province "naturelle" messieurs les royalistes ? Qu'importe. Voici que depuis Rouen il vous faudra administrer la voirie secondaire du département de la Manche, ou procéder à une enquête publique. De deux choses l'une : soit vous mulipliez d'autant les moyens et les personnels de fonctionnaires de Rouen. Soit vous créez des "sous-régions", des circonsctiptions administratives intermédiaires chargées d'administrer le territoire de plus près. Il sera par exemple proposé Saint-Lô comme chef-lieu local et Avraches, Coutances et Cherbourg comme chefs-lieux secondaires. Nous pourrions appeler cette circonscription intermédiaire "département" et Saint-Lô sa "préfecture". Y seront adjoint les personnels, bureaux et finances nécessaires. Cela ressemblera furieusement à si rien n'avait changé.
Seul l'aspect démocratique et républicain du département aura disparut. Le pouvoir se sera éloigné de Saint-Lô à Rouen. Ce qui est bien loin pour une requête. Et encore plus loin dans les esprits. Car ce sont bien les esprits qu'il s'agit de mater.
Franck Passault
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