On a abattu un homme

Était-il enragé ? Oui, il avait la rage.
Cette histoire m’a bouleversée, peut-être très fort parce que j’en ai vécu des petits bouts dans ma vie d’éleveuse ; j’ai bien dû vous les raconter.
Et ces petits bouts ont nourri et développé une colère qui sourdait depuis les années quatre-vingt, comme j’assistais au jour le jour à l’étouffement pur et simple de la belle profession de paysan, les paysans éleveurs – c’était ceux que je fréquentais le plus- et c’était ceux qui étaient le plus visés et atteints par les nouvelles normes européennes.
Je suppose que toutes ces années où la colère se mêlait au désarroi de constater l’obéissance, ont forgé mieux que les mots mon rejet de cette UE qui déjà nous assommait. Je ne comprenais pas bien pourquoi tous ceux-là ont voté pour Maastricht et dans leurs discussions avec moi ils me prenaient de haut avec la condescendance bienveillante que l’on peut avoir devant une inférieure qu’on aime bien quand même. Je n’étais pas éleveuse alors, puis devenue apicultrice, je me trouvais dans une branche hors contrôle. J’ai expliqué aussi tout ça.
Pour en revenir au destin tragique de cet homme précis, qui a disjoncté, je pense qu’il se trouvait bien seul, si seul qu’il n’a pu, avec quelques-uns, développer le côté politique de l’histoire dont il avait pourtant conscience, et se sentir assuré, non seulement par une mobilisation publique comme nous pouvons aujourd’hui le faire, mais par des compagnons de combat.
Je ne sais pas tout de l’histoire, j’ai lu ce que j’ai trouvé à partir de la lecture de l’article de matthius sur AvoxTV, mais je suppose qu’il était en burn out c’est-à-dire dans cette culpabilité de ne savoir plus assumer. Et plus avec cette énergie nécessaire au combat quand l’impuissance dû au harcèlement a gagné.
Cela fait beaucoup pour un homme seul, vous ne trouvez pas, de devoir être occupé à plein temps par ses bêtes auquel il faudrait ajouter au moins un mi-temps de paperasses et un non moins mi-temps de lutte.
De mon temps, dans ces années quatre-vingt, les plus hardis et les moins conscients politiquement, réservait à un membre du couple la tâche, qui n’était pas vécue comme une astreinte, de dénicher les subventions possibles dans leur situation. Cela a commencé comme ça : une belle énergie pour un temps passé à chercher les niches. Pas étonnant que peu à peu cette manne soit devenue une nasse. Elle eut ses adeptes. Je ne leur jette pas la pierre, c’est assez primitif – et nous le sommes tous dans une situation nouvelle- de croire qu’on s’intéresse à nous et qu’on nous donne, moyennant quelques efforts quand même. Il y a ceux qui plaçaient leur DJA, parce que cela rapportait plus de faire un emprunt à taux quasi zéro et gagner quelques décimales en intérêt. C’est dire si l’on est benêt dès qu’on s’intéresse à nous et s’il n’y a pas besoin d’être un imbécile pour croire au père noël.
Car ils ne pouvaient pas faire de leurs aides ce qu’ils voulaient ; il fallait acheter du matériel neuf et tout ce qu’il fallait pour être « aux normes ». Et ce mot, « norme », ne leur donnait pas de boutons.
Pour faire court, il a fallu une trentaine d’années pour modeler le cerveau paysan, le piéger complètement et lui laisser l’abandon de sa ferme, le chômage et l’errance, ou bien la mort comme seules issues.
J’ai vu l’étau arriver, ses mâchoires se refermer, et j’en ressens dans mes chairs toute la douleur, non seulement celle des humains qu’il broie, mais celle de la violence destructrice faite à la terre, à notre campagne modelée au cours des siècles par nos ancêtres, qui ont déboisé, par nos anciens qui à force de la connaître et l’aimer savaient ce qu’il lui fallait pour que l’on puisse vivre, les uns avec l’autre dans l’harmonie la plus juste possible.
C’est en marchant dans des chemins de traverse bordés de murs dont les énormes pierres n’avaient pas été posées là par un quelconque engin mais bien par l’ingéniosité d’ hommes qui n’avaient pas l’idée que tout ceci n’était pas rentable. Un siècle après, ou deux peut-être, j’étais là, recevant de plein fouet la beauté, la lenteur du labeur, et je pensais, qu’y passant chaque jour, rentrant le midi pour le repas, ou le soir, ils n’en percevaient peut-être plus l’exceptionnelle adéquation de l’homme à son paysage ; cela me mettait dans des états d’excitation philosophique aussi, et je cultivais cette attention comme pour faire vivre encore cette beauté ordinaire, en mémoire des silhouettes que j’avais vues debout, à côté de leur feu de broussaille, à la nuit tombée.
Aujourd’hui on abat un paysan en souffrance, pas comme on achève un animal blessé, comme on tire sur un terroriste. Pensez, un homme qui n’honore pas en temps et en heures toutes les chicanes des aberrations de petits bureaucrates qui n’ont aucune idée de l’humanité à laquelle s’adressent leurs monceaux de lois, de décrets, d’obligations, de devoirs. Et qui ont le pouvoir.
Ces petits bureaucrates qui, au passage, astreignaient les éleveurs de vaches Camargue, aux mêmes contraintes, bien sûr, mais aux mêmes exigences temporelles qu’ils le font avec les éleveurs de bêtes domestiques.
Ces petits fonctionnaires payés par ceux-là mêmes qu’ils contraignent de leur petit pouvoir sadique. Car il faut le savoir, le petit inspecteur, a tout pouvoir de vous nuire.
Ah oui ! Il touche une subvention, l’exploitant agricole, faudrait voir à ce qu’il s’en souvienne !
Et tout le monde de trouver ça normal ! Mais s’il touche une subvention, c’est qu’on lui impose le prix de vente, de son bétail, de ses cultures, la subvention ne se met pas dans un bas de laine pour les vieux jours.
Qui est coupable de ce monde fou ? Un peu nous tous, non ?
Je vous conseille vivement d’écouter la deuxième vidéo de l’article que j’ai cité plus haut, si vous ne l’avez déjà fait ; j’approuve en tous points ce qui y est dit, et même si la religion y prend une place que je n’ai pas comprise, elle n’ôte rien de l’exactitude de chaque mot.
Comment se fait-il qu’une multitude nourrie d’animaux torturés, de végétaux transformés soit à ce point indifférente à ce qui se joue au-delà du cadre de ses écrans ? Car si les paysans ont été appâtés, modelés puis piégés, que dire d’elle ? Elle qui mourra sans soins bien vite, bien trop tôt, de s’être si mal alimentée.
Réveillez-vous, réveillez-les, je vous en conjure.
Et ce combat peut prendre mille formes.
Boycotter l’industrie tortionnaire, la grande distribution qui exploite l’éleveur et arnaque le client, leurs plats tout préparés ou leurs emballages pour les prédécoupés, les chaînes de restauration qui débitent du bœuf à la chaîne ; ne plus manger de la viande tous les jours ni même chaque semaine… Et puis, et puis constituer des réseaux de soutiens, d’entraide, de paysans, de résidents, de clients, des gens de bon sens, pas seulement en associations, comme le fait Stéphanie Bignon, mais juste être attentif à l’autre, l’écouter, car pour pouvoir dire il faut savoir que l’on sera écouté. Comme toujours, comme pour tout, couper l'herbe sous les pieds du pouvoir.
Il nous faut être nombreux derrière pour que les paysans osent sortir de l’effroyable labyrinthe de leur carrière ; les bio qui vendent local et sont connus, devraient sortir du label qui leur coûte et ne voudra bientôt plus rien dire, quand la France aura adopté les normes européennes, puis mondiales ; qu’ils refusent leurs subventions pour rester libres et dans cette révolution-là il faudra être déterminés, nombreux et tenaces. Il n’y a pas d’autres solutions puisque les Français ont voté pour le durcissement de ces normes et contraintes, et que, dans cinq ans, il sera trop tard. Il y a des choses qui ne se rattrapent guère à l’aune d’une génération et je veux bien que dans trois millions d’années, si le soleil n’est pas mort, tout cela sera oublié.
En attendant nous vivons aujourd’hui, et cette violence partout nous pourrit l’existence, bienheureux ceux qui ne la ressentent pas. Il y a des tas de domaines où l’on ne peut rien, sauf s’ouvrir à l’intérieur, mais la paysannerie, c’est notre environnement, et ce qu’elle produit, c’est notre nourriture, nous avons là un champ ouvert, à notre vigilance, à notre solidarité et, pour les plus égoïstes, à notre santé.
Un homme est mort, comme une bête sauvage qui charge, parce qu’il n’en pouvait plus ; d’autres se suicident silencieusement.
Je vous laisse écouter la première vidéo de l’article, où il est question de « défaut de soins sur ses bêtes ». Si cela était avéré, je vous raconterai une histoire qui s’est passé près de chez moi, et qui a duré...vingt ans ! En attendant il est fort possible qu’un défaut de soins pour « ces gens-là » soit la non obéissance à toutes les prophylaxies exigées, tous les vaccins qui, en dix ans se sont multipliés par x, au profit de qui vous savez. Je penche pour cette version.
Et puis ça me fait penser tiens, que nous aussi, avec nos onze vaccins obligatoires, nous sommes pris pour des vaches, et pas besoin de paysans soumis pour nous piquer, on fait ça tout seuls.
La santé et la liberté, c’est quand vous voulez.
La Confédération paysanne s’émeut, demande quelque moratoire sur les contrôles. Mais qui donc contrôle les contrôleurs ?
Il est temps d’agir… si vous saviez le nombre de soumis… qui rendent l’homme de bon sens délinquant.
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