Orientation, faux problème
« Envoyé spécial » a mené l’enquête sur les conseillers d’orientation de l’Éducation nationale. Le reportage montre que le système fonctionne très mal, que les erreurs sont nombreuses et flagrantes, que l’aide fournie est aléatoire et superficielle, que les conseillers ne connaissent pas le monde de l’entreprise et peu celui des filières d’études envisageables.
L’orientation est une étrange invention. Un conseiller n’est pas un marabout. Il est forcément impuissant face à un gamin qui ne sait pas ce qu’il veut, qui ne sait pas ce qu’il aime, qui n’a jamais trouvé dans le système scolaire une matière passionnante, qui ne connaît pas ses atouts, qui se sent dévalorisé en tous points, qui se sent trop jeune pour choisir, et qui, c’est la tendance heureuse et justifiée, ne veut pas devenir ouvrier jetable à vie. Chacun aujourd’hui a le droit de rêver un peu. L’entreprise c’est aussi celle que nous voulons créer, celle de notre vie. Le monde de l’entreprise c’est nous. Par ailleurs, dans une société qui incite inexorablement sa population à changer quatre ou cinq fois de métier dans une vie, exiger qu’un gamin se prononce sur le sien, définitivement, relève de la pression psychologique gratuite ou du décalage social entre la condition figée de ceux qui "éduquent" et celle, bien plus incertaine et mouvante, qui attend nos "éduqués". Prenons le cas de ce jeune qui, depuis toujours, veut être pompier. Il a la passion et la certitude. Il sait de quoi il parle. Pourtant à 16 ans, il est "orienté" vers le bâtiment. Les études qui répondent à sa vocation ne lui sont pas présentées. Deux ans plus tard, il est trop tard. Le système n’a pas de marche arrière. Les clés du problème sont là. D’une part, on n’a jamais considéré le désir de ce gamin. D’autre part, quand l’erreur est commise, on ne répare surtout pas. L’erreur c’est les autres. Et on s’entête à punir un avenir parce la règle et le règlement passent avant l’épanouissement d’un petit gars. Il y a le cas moins rude mais bien plus difficile de cette bonne moitié qui ne sait pas du tout ce qu’elle veut. S’intéresser soudain en seconde à leur avenir personnel ressemble parfois à un coup de grâce. Il fallait poser la question bien avant. Et surtout, d’une toute autre manière. Pas dans les mots, pas dans les conseils, pas dans les exigences et les devoirs, pas dans la contrainte, mais dans les programmes ouverts et vivants, dans les faits, dans l’expérience, au cœur de la personne même, dans la quête des goûts, du plaisir, de l’aptitude de chacun. Et dans les actes, et dans l’action. En cours, en classe, en atelier, en cuisine, en théâtre, en foot, en mécanique, en langue, en culture, en BD, en création littéraire, en création historique, en dessin animé, en PAO, en chanson, en voyage, en... Avec l’objectif de faire de chaque enfant un individu porté positivement par la confiance dans ses qualités propres. S’orienter c’est savoir ce que l’on aime faire et qui nous convient. C’est une graine qu’il faut faire pousser, un long processus. Le résultat devrait être, non pas une filière de métier précise, mais un noyau général de qualités mobilisables consciemment par le jeune. Ce fil se construit année après année lorsque l’école échange avec le jeune, lorsqu’elle bâtit l’enseignement en considérant l’élève, sa personnalité et ses particularités comme les clés de la réussite de l’individu mais aussi de l’institution. L’orientation administrative, non vocationnelle, non éducative, donc irréelle et inopérante, plombe des études universitaires anormalement longues et inefficaces et engendre l’interminable mauvaise plaisanterie des troncs communs dont le diamètre ne cesse de croître. L’orientation produit ainsi tout le contraire de ce qu’elle prétend. L’inefficacité en amont s’éternise en aval. Un système scolaire qui formate les enfants, qui ne s’ouvre pas à la diversité des goûts et des activités, qui, de fait, crée cette inégalité flagrante entre ceux qui, orientés ailleurs, s’adaptent à un savoir imposé et les autres, génère cette moitié d’enfants qui ne savent plus, et une inégalité non dite inacceptable. Dans ce cadre statique, l’orientation est un leurre parce qu’elle n’est pas intériorisable, Elle ne s’inscrira pas plus dans le cheminement intime du jeune que le cours de flûte, que les perspectives industrielles en guise d’arts plastiques ou que les nouvelles modes grammaticales. On peut objecter que tout le monde doit apprendre les mêmes choses. Et répondre que tout le monde doit apprendre ce qui lui convient le mieux par rapport à son vécu et à son avenir personnel. On peut objecter que la société n’est pas un rêve. Et répondre que le monde change, que l’époque où l’on était fraiseur ou fonctionnaire à vie est révolue, que tout un chacun possède aujourd’hui des moyens de produire, de créer, de devenir un acteur de la société à sa façon, qu’il doit manier une multitude de savoirs avec souplesse et créativité, avec initiative et polyvalence, entreprendre. Qu’on admire un footballeur, un chef cuisinier, une créatrice de mode, un acteur, un mécanicien rusé. Et que dans une société des individus, il faut une école des individus et non l’école plombée des inspections, supervisée, étouffée et défensive.
22 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON