OTAN en emporte la France
Destinée à se dresser contre toute velléité belliqueuse de l’URSS et ses satellites envers les démocraties occidentales, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) vit le jour le 4 avril 1949. Cette date n’étant pas anodine puisqu’elle se situe dans un contexte lourd de suspicion réciproque entre les deux blocs, période que le monde apprendra à connaître sous le vocable de « guerre froide ». Cinquante-huit ans plus tard, l’URSS et le Pacte de Varsovie ne sont plus mais l’OTAN perdure et fait naître bien des interrogations sur sa mission actuelle. La question est d’autant plus aiguë en France que se manifeste désormais par ses autorités le souhait d’y revenir dans les plus brefs délais.

Deux articles, l’un émanant du Monde sous la plume d’Yves Boyer et l’autre du Figaro de la part d’Arnaud de la Grange dévoilent petit à petit les dessous et implications d’une réintégration complète de la France au sein de l’OTAN.
Mais tout d’abord, pourquoi s’agit-il d’une réintégration ? Tout simplement parce que si la France fut un des dix premiers membres européens à souscrire à une telle organisation de défense en 1949, le général de Gaulle, dans un souci de donner à son pays une voix indépendante dans le monde en réaffirmant sa souveraineté dans le domaine militaire, décida d’en faire sortir le pays en mars 1966. Certes, de Gaulle ne désavoua aucunement l’objectif moteur de l’OTAN ni ne favorisa aucune complication supplémentaire, mais il donna à la France un rayonnement accru dans les pays non alignés sur les deux superpuissances d’alors et fit d’elle un interlocuteur estimé favorablement par le bloc de l’Est.
Cette politique consacrée par de Gaulle fut respectée peu ou prou par tous les présidents de la République jusqu’alors. Le peu étant à la charge de Jacques Chirac qui, en 1996, esquissa un retour éventuel de la France au sein de l’institution. Proposition qui échoua du fait des exigences de Paris en contrepartie, non sans avoir réussi toutefois à placer un représentant au comité militaire du SHAPE à Mons (Belgique).
L’arrivée au pouvoir d’un président ouvertement atlantiste, au point parfois de friser la caricature et le mauvais goût dans son amour pour l’Amérique, remet les pendules à l’heure... de 1966. Toutefois, le premier a avoir dégainé cette idée de réintégration totale au sein de l’OTAN n’est pas le locataire de l’Elysée lui-même mais Hervé Morin, le ministre de la Défense. Ce dernier ayant déclaré récemment « Nous sommes trop souvent ceux qui chipotent et qui barguignent, comme si nous voulions donner le sentiment de vouloir empêcher l’Otan de se transformer » [1]. Et afin de mieux préparer les esprits, il ajoute « Jamais à mon sens, nous ne ferons progresser l’Europe de la Défense si nous ne clarifions pas notre position dans l’Otan ». L’argument maître est lancé : faire progresser l’Europe de la Défense qui a toujours été le canard boiteux des tentatives d’union entre Etats européens. En effet depuis le refus de la CED en 1954 par la France, le sujet a été évité précautionneusement de peur de froisser les susceptibilités nationales, ne refaisant surface qu’avec le Traité de Maastricht avec la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) puis la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).
Pour autant, cet argument n’est-il pas fallacieux ?
Très étonnant en outre sont ces propos de Nicolas Sarkozy : « Je conditionnerai un mouvement dans les structures intégrées par une avancée sur l’Europe de la défense », « Je demande d’ailleurs à nos amis américains de le comprendre. Une Europe qui serait capable de se défendre de façon indépendante n’est pas un risque pour les Américains, c’est un atout ».
Ainsi donc pour faire avancer l’Europe de la défense il faudrait rallier l’OTAN... Voilà qui est source d’un réel sophisme, à moins d’expliquer de façon feutrée que toute avancée sur la question nécessiterait l’aval des autorités américaines au préalable, laissant à penser que nous serions dans une relation actuelle de vassalité et non de coopération entre Etats souverains ! Y a-t-il véritablement obligation pour des pays européens d’intégrer une structure de défense existante pour en créer une autre ? On pourrait objecter que ce soit pour favoriser l’intégration dans cette Europe de la défense de pays attachés à l’OTAN comme le Royaume-Uni ou les Pays baltes (pour des raisons historiques ou stratégiques) [2] mais ne serait-il pas possible comme solution alternative de favoriser une défense européenne réduite à quelques pays de bonne volonté et n’étant pas déchirés par un cas de conscience du fait de leur appartenance au Traité de l’Atlantique Nord ?
On peut se perdre en conjectures sur les conséquences financières en cas d’acceptation de la proposition française (n’oublions pas en effet que la France est solliciteuse), les estimations viendront avec le livre blanc sur la défense à venir. En revanche quelles conséquences pour notre diplomatie ? La France disposant en effet du deuxième réseau diplomatique au monde après les Etats-Unis et peut se permettre (avec des résultats plus ou moins probants il est vrai) d’influer sur les affaires mondiales en disposant d’une tribune pour faire entendre sa voix si particulière.
Or une réintégration dans cette institution ne risquerait-elle pas sérieusement de lui faire perdre le crédit phénoménal qu’elle retira de son refus de participer à l’aventure irakienne ? Dit plus clairement : la France n’a-t-elle pas plus à gagner au statu quo actuel en conservant un pied dans l’institution, sans s’y risquer davantage, de sorte à conserver un poids diplomatique appréciable tout en continuant à participer à des opérations militaire sous l’égide de l’OTAN (dont elle est au passage le troisième contributeur financier) ?
Reste enfin la question de la mission actuelle de l’OTAN. Si l’idée de la France serait de se servir de l’OTAN comme levier d’influence pour une Europe de la Défense, en revanche quelle est l’utilité contemporaine de cette organisation militaire ? Si ses actions peuvent se confondre avec les objectifs de l’ONU, elle n’en est pas pour autant et indéfectiblement son bras armé : ce binôme n’étant pas en effet une loi immuable (exemple avec les opérations en Irak en 2003 où les membres de l’OTAN fournirent une aide logistique sans pour autant disposer d’un quelconque mandat de l’ONU pour ce faire).
Sa première raison d’être ayant disparu avec la dissolution du Pacte de Varsovie puis l’éclatement de l’Union soviétique, l’OTAN se reconvertit dans une guerre contre le terrorisme. Louable intention mais amenant d’office l’interrogation suivante : les moyens mis à disposition et conçus pour une guerre de type conventionnelle sont-ils adaptés à une guerre asymétrique ? De plus, la guerre contre le terrorisme par le truchement de l’OTAN ne risquerait-elle pas d’être assimilée à une croisade d’Occidentaux par les pays tiers ? En enfin, pourquoi cette insistance à vouloir faire adhérer la plupart des anciens pays du Pacte de Varsovie et même y compris d’anciennes républiques de l’URSS ? Quelle est la finalité de cet élargissement très ciblé géographiquement ?
Gageons qu’une partie de ces questions commenceront à trouver un début de réponse en mars prochain lors de la remise du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale à son commanditaire : Nicolas Sarkozy.
[1] Notons cependant que ce pays qui chipote et barguigne n’a nullement empêché les dernières actions de l’OTAN de s’effectuer de par le monde. Mieux : elle a participé activement à des opérations au sein de la SFOR en Bosnie-Herzégovine ou encore en Afghanistan avec la FIAS. Mais peut-être, si l’on en croit notre ministre, que nos chars Leclerc qui sont pour un ¼ non opérationnels et inadaptés et nos Rafales qui sont trop sophistiqués par rapport aux vieux F16 américains risqueraient effectivement de gêner la transformation de l’OTAN...
[2] Le Traité instituant une Constitution pour l’Europe stipulait notamment en son article I-41 La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.
[3] Selon une dépêche de l’AFP publiée le 24 septembre, la place de la France dans les instances de direction serait une condition sine qua non à son retour au sein de l’OTAN.
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