Par-delà la confusion, la guerre
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La grande confusion, c’est la remise en question de nos plans de lecture et l’incapacité à percevoir notre situation réelle, à maîtriser notre espace-temps, à comprendre notre destin individuel et collectif, à nous situer dans notre propre histoire, à envisager notre futur, à élucider les paradoxes de nos sociétés. Et si la guerre au Moyen-Orient n’était au fond, que le miroir paroxystique de notre état de grande confusion ?
Car, à lire les commentaires, à regarder les images des télévisions du monde, à observer la pathétique pusillanimité de la « communauté internationale », à tenter de décrypter les signes émis de part et d’autre du champ de bataille, à écouter les échos des opinions publiques disparates, à frémir devant les atrocités réciproques, il apparaît un immense brouillage des idées, précurseur ou instigateur d’un brouillage des consciences. Tenter d’éclairer le drame complexe qui se joue au Proche-Orient est une gageure. Mais tenter de tirer des perspectives et de regarder au-delà des faits immédiats devient, aujourd’hui, malgré la plaie ouverte de l’actualité, une obligation.
Dans cette démarche, il ne s’agit pas d’être sioniste ou anti-sioniste, d’être pro-arabe ou non, de se situer du bon côté de l’Histoire ou du mauvais côté de la frontière. Il ne s’agit pas de céder aux pervers relents antisémites ou anti-arabes qui sourdrent toujours au fond des opinions, même et surtout les mieux pensantes. Non, il s’agit de repérer, par delà les écrans et les brumes de la grande confusion, quelques grands fondamentaux qui, par nature ne peuvent être objectifs, mais qui sont éminemment indéniables.
D’abord s’impose le paradigme de l’existence d’Israël. Ensuite, le facteur Dieu ; enfin, l’hégémonie iranienne.
L’existence d’Israël n’a de sens que pour les
consciences occidentales, nourries d’histoire judéo-chrétienne. Pour un arabe,
l’existence d’Israël n’a pas de sens. Il peut reconnaître l’État d’Israël par
contrainte ou nécessité ; mais il ne peut l’accepter. Un arabe voit Israël
comme une inclusion, une scorie, une aberration de l’histoire. Un arabe se sent
parfaitement étranger de l’Holocauste et de la dette de l’Occident. Cette
guerre n’était pas la sienne, ses conséquences ne sauraient lui être imputées
dans les comptes de l’histoire. C’est pourquoi depuis 1948 les États arabes
n’ont eu de cesse de mettre en œuvre, par tous les moyens, la destruction
d’Israël. Le Hezbollah, aujourd’hui, est le bras armé par les mollahs d’Iran de
cette volonté infinie. Quand le Président Mahmoud Ahmadinejad le dit (1) , il est difficile de ne pas le
prendre au sérieux.
Israël, minuscule écharde plantée dans le monde arabe, nourrit et cristallise
depuis soixante ans toutes les haines ; celles des jeunes enfants dans les
écoles (2) comme celles des vieillards
chenus à narguilé. La haine du monde arabe est, à l’égard de cet État minuscule
mais juif, sans proportion, exactement « disproportionnée ». La
manifestation de la haine d’Israël est souvent la seule manifestation autorisée
dans certains pays arabes. C’est en ce sens qu’Hassan II, l’ancien monarque
marocain, disait que la haine du sionisme est « l’aphrodisiaque » (3) du monde arabe. L’antisionisme
est parfois l’unique lien social de nations aux ethnies fragmentées : la
mort d’Israël, trait d’union et d’unification des peuples arabes.
Pour les Arabes, la destruction d’Israël est une valeur hautement symbolique.
C’est pourquoi, voir dans ces affrontements des intérêts uniquement économiques
et financiers, des raisons de géostratégie pétrolière ou de prédominance
américaine est, à cet égard, source de confusion. Pourtant, ces arguments
nourrissent en nombre les pages de commentateurs dont la sensibilité politique
compromet fortement la lucidité.
Le facteur Dieu. Il n’existe pas d’autre région dans le monde où Dieu soit plus présent qu’au Moyen-Orient. Il submerge tout, raison et intelligence, cœur et passion. Juif, musulmans, chrétiens sont brassés dans un gigantesque maelström qui porte à haute confusion religion, nationalisme, extrémisme, politique, justice. Et guerre. Quand le petit humain se dit être dans l’oreille de Dieu, il s’autorise toutes les horreurs. Mais quand Dieu se met à devenir sourd d’oreille, alors les barbaries se libèrent de plus belle. C’est ainsi que l’on massacre à coups de missiles ou de bombes humaines chiites, sunnites, chrétiens, kurdes, juifs...civils, enfants, femmes, vieillards, parce qu’ils ne sont pas du bon côté de Dieu. Ou parce que Dieu ne les a pas entendus. Hezbollah signifie « parti de Dieu ». Dieu est à la fois dans la guerre et défié par la guerre. Cette logique condamne dangereusement toute approche et toute argumentation rationnelle. Dans cette optique, l’agitation gestuelle de la communauté internationale semble bien impuissante. Que peut une force d’interposition internationale face à des fondamentaux aussi lourds ? Ceux qui prennent Dieu en otage, de quelque bord qu’ils soient, sont capables de mener une guerre ultime, jusqu’à l’apocalypse. C’est pourquoi il faut prendre très au sérieux l’excédent de puissance dont est doté Israël aujourd’hui et l’Iran peut-être demain.
L’hégémonie iranienne. L’Iran veut la bombe atomique, et elle l’aura. La guerre du Liban est un écran de confusion pour occulter cette réalité. Que cette guerre ait été déclenchée par une provocation téléguidée par l’Iran ou qu’elle l’ait été selon un plan longuement mûri par les Israéliens, l’enjeu est le même : le programme nucléaire iranien. Dans un cas pour gagner du temps et distraire l’opinion mondiale, dans l’autre cas, pour isoler l’Iran et ses intentions impériales. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Mais ce n’est pas cela que l’on montre. Curieusement, la grande confusion présente une caractéristique constante : le renversement des causes et des effets et la transformation des agresseurs en agressés. Grâce à ce phénomène bizarre, l’Iran poursuit son programme d’accession à l’arme nucléaire en se dotant du bouclier de la légitime défense et de plus de force pour djiadiser, partout. Car, une fois Israël rayé de la carte, qui imagine une seule seconde que la révolution verte et le fanatisme intégriste poseront les armes et chanteront victoire ? Illusion bien volatile que de croire à la fin de la passion anti-occidentale, une fois l’ « entité sioniste » disparue.
Pendant ce temps, les yeux hyper-informationnels des occidentaux sont naturellement tournés, en larmes, vers les enfants qui meurent sous les bombes au Liban. Pourquoi une telle émotion sélective ? Les morts du Liban comptent-ils plus que ceux du Darfour ou de Tchétchénie ? Parce que chaque image de mort au Liban nourrit le fantasme de la fin de monde dont l’inconscient collectif sait confusément qu’elle se jouera là-bas. Israël condamné parce que coupable de fin du monde, quelle étrange confusion des fantasmes et quel magnifique moteur de haine.
En réalité, à qui profite la guerre ? L’Iran veut devenir une puissance incontournable dans la région et en Asie centrale, au Turkménistan et au Tadjikistan. L’épisode libanais lui donne le temps et la liberté de poursuivre les moyens de ses ambitions. De plus, et cet argument n’est pas anecdotique, la guerre améliore les caisses de l’État iranien. Quand on est quatrième producteur mondial de pétrole, si le prix du baril s’envole avec la guerre à près de 80 $, les revenus s’en ressentent nécessairement et donnent encore plus de liberté pour financer et activer les recherches dans le domaine nucléaire et armer le Hezbollah. La puissance des mollahs iraniens, menés par Mahmoud Ahmadinejad, se nourrit de la guerre ; ils ont tout intérêt à ce qu’elle perdure. Dans cette perspective, les palabres occidentales avec l’Iran (4) ont un arrière-goût bizarre de déjà-vu à Munich.
Si on lève les voiles de la confusion, on verra que l’enjeu de cette guerre, au plus profond, est un enjeu de survie. Dans un cas, pour Israël, il peut pousser au déclenchement de l’arme ultime. Dans l’autre cas, l’enjeu est la libération d’une force incontrôlable contre l’Occident, dont il n’est pas sûr qu’il puisse moralement faire le poids.
La grande confusion, c’est la remise en question de nos plans de lecture et l’incapacité à percevoir notre situation réelle, à maîtriser notre espace-temps, à comprendre notre destin individuel et collectif, à nous situer dans notre propre histoire, à envisager notre futur, à élucider les paradoxes de nos sociétés. Et si la guerre au Moyen-Orient n’était au fond, que le miroir paroxystique de notre état de grande confusion ?
Car, à lire les commentaires, à regarder les images des télévisions du monde, à observer la pathétique pusillanimité de la « communauté internationale », à tenter de décrypter les signes émis de part et d’autre du champ de bataille, à écouter les échos des opinions publiques disparates, à frémir devant les atrocités réciproques, il apparaît un immense brouillage des idées, précurseur ou instigateur d’un brouillage des consciences. Tenter d’éclairer le drame complexe qui se joue au Proche-Orient est une gageure. Mais tenter de tirer des perspectives et de regarder au-delà des faits immédiats devient, aujourd’hui, malgré la plaie ouverte de l’actualité, une obligation.
Dans cette démarche, il ne s’agit pas d’être sioniste ou anti-sioniste, d’être pro-arabe ou non, de se situer du bon côté de l’Histoire ou du mauvais côté de la frontière. Il ne s’agit pas de céder aux pervers relents antisémites ou anti-arabes qui sourdrent toujours au fond des opinions, même et surtout les mieux pensantes. Non, il s’agit de repérer, par delà les écrans et les brumes de la grande confusion, quelques grands fondamentaux qui, par nature ne peuvent être objectifs, mais qui sont éminemment indéniables.
D’abord s’impose le paradigme de l’existence d’Israël. Ensuite, le facteur Dieu ; enfin, l’hégémonie iranienne.
L’existence d’Israël n’a de sens que pour les
consciences occidentales, nourries d’histoire judéo-chrétienne. Pour un arabe,
l’existence d’Israël n’a pas de sens. Il peut reconnaître l’État d’Israël par
contrainte ou nécessité ; mais il ne peut l’accepter. Un arabe voit Israël
comme une inclusion, une scorie, une aberration de l’histoire. Un arabe se sent
parfaitement étranger de l’Holocauste et de la dette de l’Occident. Cette
guerre n’était pas la sienne, ses conséquences ne sauraient lui être imputées
dans les comptes de l’histoire. C’est pourquoi depuis 1948 les États arabes
n’ont eu de cesse de mettre en œuvre, par tous les moyens, la destruction
d’Israël. Le Hezbollah, aujourd’hui, est le bras armé par les mollahs d’Iran de
cette volonté infinie. Quand le Président Mahmoud Ahmadinejad le dit (1) , il est difficile de ne pas le
prendre au sérieux.
Israël, minuscule écharde plantée dans le monde arabe, nourrit et cristallise
depuis soixante ans toutes les haines ; celles des jeunes enfants dans les
écoles (2) comme celles des vieillards
chenus à narguilé. La haine du monde arabe est, à l’égard de cet État minuscule
mais juif, sans proportion, exactement « disproportionnée ». La
manifestation de la haine d’Israël est souvent la seule manifestation autorisée
dans certains pays arabes. C’est en ce sens qu’Hassan II, l’ancien monarque
marocain, disait que la haine du sionisme est « l’aphrodisiaque » (3) du monde arabe. L’antisionisme
est parfois l’unique lien social de nations aux ethnies fragmentées : la
mort d’Israël, trait d’union et d’unification des peuples arabes.
Pour les Arabes, la destruction d’Israël est une valeur hautement symbolique.
C’est pourquoi, voir dans ces affrontements des intérêts uniquement économiques
et financiers, des raisons de géostratégie pétrolière ou de prédominance
américaine est, à cet égard, source de confusion. Pourtant, ces arguments
nourrissent en nombre les pages de commentateurs dont la sensibilité politique
compromet fortement la lucidité.
Le facteur Dieu. Il n’existe pas d’autre région dans le monde où Dieu soit plus présent qu’au Moyen-Orient. Il submerge tout, raison et intelligence, cœur et passion. Juif, musulmans, chrétiens sont brassés dans un gigantesque maelström qui porte à haute confusion religion, nationalisme, extrémisme, politique, justice. Et guerre. Quand le petit humain se dit être dans l’oreille de Dieu, il s’autorise toutes les horreurs. Mais quand Dieu se met à devenir sourd d’oreille, alors les barbaries se libèrent de plus belle. C’est ainsi que l’on massacre à coups de missiles ou de bombes humaines chiites, sunnites, chrétiens, kurdes, juifs...civils, enfants, femmes, vieillards, parce qu’ils ne sont pas du bon côté de Dieu. Ou parce que Dieu ne les a pas entendus. Hezbollah signifie « parti de Dieu ». Dieu est à la fois dans la guerre et défié par la guerre. Cette logique condamne dangereusement toute approche et toute argumentation rationnelle. Dans cette optique, l’agitation gestuelle de la communauté internationale semble bien impuissante. Que peut une force d’interposition internationale face à des fondamentaux aussi lourds ? Ceux qui prennent Dieu en otage, de quelque bord qu’ils soient, sont capables de mener une guerre ultime, jusqu’à l’apocalypse. C’est pourquoi il faut prendre très au sérieux l’excédent de puissance dont est doté Israël aujourd’hui et l’Iran peut-être demain.
L’hégémonie iranienne. L’Iran veut la bombe atomique, et elle l’aura. La guerre du Liban est un écran de confusion pour occulter cette réalité. Que cette guerre ait été déclenchée par une provocation téléguidée par l’Iran ou qu’elle l’ait été selon un plan longuement mûri par les Israéliens, l’enjeu est le même : le programme nucléaire iranien. Dans un cas pour gagner du temps et distraire l’opinion mondiale, dans l’autre cas, pour isoler l’Iran et ses intentions impériales. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Mais ce n’est pas cela que l’on montre. Curieusement, la grande confusion présente une caractéristique constante : le renversement des causes et des effets et la transformation des agresseurs en agressés. Grâce à ce phénomène bizarre, l’Iran poursuit son programme d’accession à l’arme nucléaire en se dotant du bouclier de la légitime défense et de plus de force pour djiadiser, partout. Car, une fois Israël rayé de la carte, qui imagine une seule seconde que la révolution verte et le fanatisme intégriste poseront les armes et chanteront victoire ? Illusion bien volatile que de croire à la fin de la passion anti-occidentale, une fois l’ « entité sioniste » disparue.
Pendant ce temps, les yeux hyper-informationnels des occidentaux sont naturellement tournés, en larmes, vers les enfants qui meurent sous les bombes au Liban. Pourquoi une telle émotion sélective ? Les morts du Liban comptent-ils plus que ceux du Darfour ou de Tchétchénie ? Parce que chaque image de mort au Liban nourrit le fantasme de la fin de monde dont l’inconscient collectif sait confusément qu’elle se jouera là-bas. Israël condamné parce que coupable de fin du monde, quelle étrange confusion des fantasmes et quel magnifique moteur de haine.
En réalité, à qui profite la guerre ? L’Iran veut devenir une puissance incontournable dans la région et en Asie centrale, au Turkménistan et au Tadjikistan. L’épisode libanais lui donne le temps et la liberté de poursuivre les moyens de ses ambitions. De plus, et cet argument n’est pas anecdotique, la guerre améliore les caisses de l’État iranien. Quand on est quatrième producteur mondial de pétrole, si le prix du baril s’envole avec la guerre à près de 80 $, les revenus s’en ressentent nécessairement et donnent encore plus de liberté pour financer et activer les recherches dans le domaine nucléaire et armer le Hezbollah. La puissance des mollahs iraniens, menés par Mahmoud Ahmadinejad, se nourrit de la guerre ; ils ont tout intérêt à ce qu’elle perdure. Dans cette perspective, les palabres occidentales avec l’Iran (4) ont un arrière-goût bizarre de déjà-vu à Munich.
Si on lève les voiles de la confusion, on verra que l’enjeu de cette guerre, au plus profond, est un enjeu de survie. Dans un cas, pour Israël, il peut pousser au déclenchement de l’arme ultime. Dans l’autre cas, l’enjeu est la libération d’une force incontrôlable contre l’Occident, dont il n’est pas sûr qu’il puisse moralement faire le poids.
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