L’actualité politique ne semble se ponctuer que de ces mini-affaires qui occupent beaucoup d’espace médiatique mais qui ne font pas beaucoup avancer les choses, ni dans un sens ni dans un autre.
La dernière en date concerne le procès actuellement en cours de l’église de scientologie qui n’a d’église que de nom puisque ce groupement correspond plutôt à la définition de la secte (selon un rapport parlementaire de 1995).
Avant de poursuivre, une petite mise au point personnelle sur le sujet.
Religions et sectes
Je suis favorable à la liberté de culte. Toutes les religions doivent pouvoir être librement pratiquées en France (y compris l’absence de religion), ce que notre Constitution protège, mais je suis foncièrement contre toutes les sectes, qui exploitent la crédulité et la faiblesse de personnes fragiles (et moins fragiles) et n’ont qu’un seul but lucratif.
Le problème, évidemment, c’est de pouvoir distinguer les sectes des religions, ce qui n’est pas chose facile en droit et les États-Unis ont résolu le problème en considérant que tout groupe pouvait être considéré comme religion.
Pourtant, il y a un moyen très facile et très concret pour distinguer les sectes des religions. Il est très difficile d’entrer dans une religion et très facile d’en sortir. C’est exactement l’inverse pour les sectes : très facile d’y entrer, très dur d’en quitter. Et généralement, les sectes tendent à isoler l’adepte de son environnement humain immédiat (famille, amis, collègues etc.) alors que les religions encouragent au contraire le fidèle à renforcer ses liens avec son entourage proche d’origine.
Mais ce n’est qu’un critère pratique et loin d’être théorique et il est donc juridiquement très difficile de le définir.
Une simplification un peu complexe
Arrive donc depuis le 14 septembre 2009 cette information malheureuse : il ne sera plus possible à la justice de dissoudre l’église française de scientologie pour escroquerie en bande organisée en raison de la promulgation de la loi du 12 mai 2009 (loi n°2009-526) de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.
Grosso modo, les parlementaires ont adopté en deux jours un texte relativement complexe et baroque en vue de faire un toilettage de nombreux textes du Code pénal et du Code du travail. Cela rend sa lecture quasiment illisible (aussi illisible que le Traité de Maastricht ou du Traité constitutionnel européen).
Le point litigieux concerne l’article 124, premier article de la section concernant la clarification des règles relatives à la responsabilité pénale des personnes morales, et plus particulièrement à son alinéa I-33° qui annule désormais la possibilité par le juge de dissoudre une personne morale en cas d’escroquerie reconnue.
Cette disposition existait depuis mars 2004. En fait, depuis le Code pénal de 1994, les personnes morales ont une responsabilité aussi pénale. Jusqu’en 2004, la loi devait dire si un délit pouvait être imputé à une personne morale ou pas. Puis, en 2004, le législateur a fait confiance au juge en lui laissant seul l’appréciation.
Personne n’a vraiment débattu de ce point très particulier dans une loi un peu auberge espagnole qui a regroupé plein d’éléments très différents du droit. Personne ne s’est ému par la suite de la promulgation : personne de la majorité mais non plus personne de l’opposition. Et évidemment, aucun journaliste. Jusqu’à lundi dernier.
Conséquence concrète
Le procès qui se déroule actuellement contre l’église de scientologie pour escroquerie ne pourra pas déboucher sur une dissolution de son antenne française dans tous les cas, et malgré le réquisitoire particulièrement sévère du procureur Maud Morel-Coujard qui réclama cette dissolution à Paris le 15 juin 2009, c’est-à-dire un mois après la date d’application de cette fameuse loi qui a supprimé cette possibilité (le procès avait commencé douze jours après la promulgation de cette loi, le 25 mai 2009 et s’est terminé le 17 juin 2009 ; son jugement sera connu le 27 octobre 2009).
Même si une disposition était revotée d’ici le jugement pour rétablir cette possibilité, elle ne serait pas applicable à ce procès en raison de la non-rétroactivité de la loi (la rétroactivité de la loi n’est possible que si la loi est moins sévère).
"On nous manipulerait" ?
Aujourd’hui, la paranoïa revient au galop. Le gouvernement ou même Nicolas Sarkozy lui-même auraient mis en catimini cette disposition pour protéger la secte scientologique dont ils seraient un cheval de Troie dans les institutions françaises. Pour preuve d’ailleurs, cette vieille photographie du 30 août 2004 qui représente à Bercy Nicolas Sarkozy (alors Ministre des Finances) avec l’acteur scientologue Tom Cruise. La raison de cette rencontre aurait été plutôt de satisfaire l’ego des deux personnes ; ce serait moins exaltant mais plus probable.
Hélas, les imaginations galopent plus vite que les flux d’informations. Les opposants, faute de s’opposer sur le fond, continuent, comme depuis mai 2007, à attaquer le Président de la République sur des éléments sans fondement ou de surface, pas sur sa politique gouvernementale pourtant assez fournie (vu l’activité législative très dense).
On critique même le député Jean-Luc Warsmann (43 ans), jeune président de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale, auteur de la loi en question, qui, en ayant déposé son texte dès le 22 juillet 2008 avec l’alinéa incriminé dès l’origine (le texte a été mis en distribution le 5 août 2008), ne pouvait connaître le calendrier du futur procès de l’église de scientologie. On le critique soit d’être un suppôt de la secte, soit d’être un docile serviteur du gouvernement, alors qu’il fait partie de ces parlementaires qui font justement bien leur boulot (député par hasard dès l’âge de 30 ans).
Négligence de cas particuliers
Je crois plutôt non pas à une erreur mais à une non prise en compte des conséquences sur le problème des sectes. La loi est un texte qui est généraliste et la multiplicité des lois (qui est très critiquable) est aussi le moyen d’expliciter le nombre très grand de cas particuliers, d’exceptions, de situations équivoques découvertes souvent après l’adoption des lois antérieures. C’est un travail d’affinage législatif qui devrait être plutôt rassurant : les lois s’adaptent, écoutent, vivent avec la société au service des citoyens.
Selon Rue89, seulement huit cas de dissolution pour escroquerie ont été décidés par le juge entre 1998 et 2009, et aucun de ces cas n’ont concerné une secte.
Justification juridique
Ce n’est pas une erreur car au contraire, la suppression de la dissolution de personne morale a un intérêt immédiat concernant les personnes morales.
En effet, en cas de décision de dissolution, la personne morale n’aurait plus la possibilité d’interjeter appel puisqu’un appel n’est pas suspensif. La dissolution de fait de l’entité l’empêcherait donc de se défendre selon le code de procédure pénale.
En d’autres termes, si une entreprise ou association était (selon elle) injustement condamnée en première instance, elle ne pourrait plus faire appel puisqu’elle n’existerait plus.
La suppression de cette possibilité de dissoudre fait donc bien partie de la mission de clarification et de simplification du droit.
Par ailleurs, on imagine aisément l’erreur qu’aurait pu faire le juge au moment du procès de Jacques Crozemarie s’il avait décidé de la dissolution de l’ARC et ses conséquences sur le financement de la recherche contre le cancer (déjà en difficulté avec la mauvaise réputation de gestion de cette organisation).
Il est surprenant que maître Éolas dans son billet sur le sujet ne l’ait pas évoqué et ait préféré en rester aux thèses complotistes classiques défendues par les antisarkozystes primaires.
Arsenal déjà important de lutte contre les sectes
Concrètement, la loi du 12 mai 2009, si elle abandonne la possibilité de dissolution d’une personne morale, confirme quand même huit autres sanctions possibles (complémentaires à l’amende) pour les personnes morales :
1. L’interdiction temporaire ou définitive d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales.
2. Le placement temporaire sous surveillance judiciaire.
3. La fermeture temporaire ou définitive d’un ou des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés.
4. L’exclusion des marchés publics temporaire ou définitive.
5. L’interdiction temporaire ou définitive de procéder à une offre au public de titres financiers (…).
6. L’interdiction temporaire d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement sauf dans certains cas.
7. La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.
8. L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.
On comprend vite que notamment les mesures 1, 3 et, dans une moindre part, 6 devraient être largement suffisantes à mettre hors d’état de nuire toute secte qui aurait des activités illégales sur le territoire national.
De plus, la dissolution n’aurait eu de sens que s’il était sûr que l’organisation dissoute et devenue illégale ne pût se reconstituer sous une autre forme.
Les déclarations de la Ministre de la Justice
Le 15 septembre 2009 sur Europe 1, Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Justice, a estimé cependant que cette impossibilité de dissoudre une secte était une « erreur matérielle ». Elle a annoncé qu’elle remettrait cette disposition « à l’occasion du prochain texte pénal ».
S’appliquera-t-elle à toutes les personnes morales ou seulement à celles considérées comme des sectes ? La phrase de la Garde des Sceaux est assez ambiguë : « une mesure qui permettra de dissoudre notamment des groupes ou des sectes qui auraient procédé à des escroqueries ». J’espère que le "notamment" ne regroupera pas toutes les personnes morales (comme des organisations caritatives par exemple).
Une déclaration bien imprudente et peu crédible concernant l’erreur matérielle, sans doute trop réactive par rapport à l’émotion suscitée par l’information, mais qui montre à l’évidence la bonne foi du gouvernement et sa volonté de ne pas transiger face à des organisations sectaires qui seraient coupables d’escroquerie en bande organisée.
Le Président de l’Assemblée Nationale Bernard Accoyer est même prêt à réinclure la disposition dans le projet de loi pénitentiaire dont l’examen vient de commencer (le 15 septembre après-midi), mais elle ne s’appliquera de toute façon pas au procès en cours.
En guise de conclusion…
Que retenir de tout cela ?
Avant tout, que la rédaction des textes législatifs de plus en plus sophistiqués (je l’avais évoqué aussi lors de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008) est peut-être rendue nécessaire par la complexité des situations mais devient complètement illisible même pour les parlementaires ou les procureurs (le parquet de Paris n’ayant même pas pris note des changements imposés par la loi).
Pourtant, beaucoup de lois sont ainsi, à la fois rédigée de façon incompréhensible (même pour les juristes) et fourre-tout, si bien qu’effectivement, quelques mesures impopulaires ou à enjeu politique élevé peuvent être astucieusement mises discrètement dans un lot d’autres dispositions purement techniques sans que celles-ci n’aient été débattues de façon convenable, c’est-à-dire, de façon à ce que les enjeux soient clairement expliqués et les arguments publiquement exposés.
Cette loi du 12 mai 2009 émanait d’une proposition de loi d’un député, et donc, n’est pas passée à la "moulinette"du Conseil d’État. Heureusement, le Conseil d’État, qui n’étudiait que les projets de loi, émanant du gouvernement, examinera grâce à la réforme des institutions du 23 juillet 2008 (voir le point 7.7 dans l’article sur le sujet), désormais aussi les propositions de loi, émanant des parlementaires.
Ce passage par le Conseil d’État sera notamment réalisé pour la proposition de la troisième loi de Jean-Luc Warsmann sur la simplification du droit déposée le 7 août 2009 dont le texte initial reconnaissait déjà une erreur dans sa précédente loi, celle du 12 mai 2009 : « L’article 149 réintroduit le dispositif de fongibilité de l’enveloppe des soins de ville, qui avait été supprimé, par erreur dans l’article 91 de la loi du 12 mai 2009 précitée, supprime, dans le code de la sécurité sociale, la dénomination d’anciennes prestations et corrige une erreur de renvoi. » !
Sans doute il y aura encore bien des efforts à fournir pour simplifier les simplifications des lois…
Pour aller plus loin :