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Accueil du site > Tribune Libre > Paris m’appelle, ma conscience m’interpelle

Paris m’appelle, ma conscience m’interpelle

Il y a deux ans... non trois, j’étais de passage à Paris. Ma chambre d’hôtel, entre Pigalle et le Sacré Cœur, donnait sur la Tour Eiffel. Et chaque matin, à mon réveil, je tirais le store de la baie vitrée et je restais pendant un bon moment, là, assis au bord du lit, à admirer cette merveille. On était au mois de juin et pendant tout mon séjour, le ciel était brumeux, bas, avec parfois une petite pluie matinale qui incite à la paresse. Pourtant il fallait que je sorte, que j’aille à mes rendez-vous avec des amis, que je cavale à droite et à gauche à la recherche de quelques fringues « bon marché » pour les enfants. Ou d’un parfum de marque pour madame.

Dans la chambre, il faisait un peu frisquet. Mais après un bain chaud, après rasage et lotion "after shave" sur mon visage, je retrouvais ma forme, mes facultés physiques et j’accourais ensuite au resto de l’hôtel situé au sous-sol. Pas tout nu, évidemment. Les touristes japonais venaient à peine de terminer leur petit déjeuner quand je faisais irruption dans la salle à la décoration pittoresque : murs en pierre ocre et dalle de sol assortie mais paraissant un peu vieillotte ! La tenancière, une jeune fille oranaise qui ne parle que quelques mots de français, m’indiquait la table où je devais me mettre et me servait de petits croissants encore chauds et du café au lait. Et pendant que je dégustais lentement mon petit déjeuner, faisant mine de ne pas être du tout pressé, elle se mettait en face de moi, à une distance respectable, sur un tabouret de comptoir et commençait par me poser des questions sur le pays : s’il pleuvait ou s’il faisait beau, si le terrorisme avait cessé ou pas encore, etc. Ça sautait aux yeux, cette fille-là avait la nostalgie du pays. Ça se voyait aussi, à son air triste, que cette fille-là était coincée entre son désir de rentrer au pays et son devoir de tenir encore bon, de se faire une situation sociale plus ou moins enviable en France. De cette fille-là, maintenant, je n’ai plus de nouvelles. Par conséquent, je ne peux vous dire si elle a régularisé sa situation de "Harraga" en France ou pas encore. Peut-être la trouverai-je encore, au cours de ma prochaine escapade à Paris, dans le même hôtel, au sous-sol, en train de servir les touristes japonais. Mais sera-t-elle ravie de me revoir, moi qui suis parti sans lui dire au revoir ?

En évoquant ce sujet, je veux en fait répondre indirectement aux nombreux lecteurs d’Agoravox qui se sont levés comme un seul homme pour me lancer la pierre, pour me lapider pour avoir osé soulever le problème de l’immigration clandestine au cours de mon précédent article Immigration et intégration. En effet, ce cas qui n’est pas isolé, convenons-en, montre à l’évidence combien les "Harraga" se sentent mal dans leur peau une fois qu’ils sont au pays d’Alice, de Pedro ou de Nino. Ils se sentent mal dans leur peau d’autant plus qu’ils sont limités dans leurs mouvements. Ils sont privés de liberté dans le pays de la liberté, dans le pays où, sur le fronton de chaque institution, s’étale en gros caractères le triptyque "Liberté, égalité, fraternité". Ils sont condamnés à évoluer dans des espaces clos, à ne sortir qu’en cas de stricte nécessité pour ne pas avoir à rendre des comptes aux vigiles et aux policiers qui rôdent partout, en particulier là où il y a une concentration de Maghrébins et de noirs. Ils ne voient pour ainsi dire le jour et la lumière qu’à travers des lucarnes comme celle du restaurant de cet hôtel qui donne sur une rue commerçante et par où je voyais les passants pendant que je prenais mon petit déjeuner. Cette situation de reclus dure parfois des années ! Et elle n’est pas sans incidence négative sur le moral de celui ou de celle qui la subit. Là, incontestablement, c’est le médecin que je suis qui s’exprime. J’en parle en connaissance de cause parce que j’avais longuement écouté la serveuse oranaise de l’hôtel qui s’est, en quelque sorte, confiée à un de ses compatriotes. Sans être psychiatre, je n’avais eu aucun mal à étiqueter le mal dont souffrait cette jeune fille et mon diagnostic était sans appel : indéniablement, cette jeune fille-là donc souffrait d’un délire de persécution. Deux facteurs essentiels avaient permis à ce délire de se constituer et de s’organiser : sa condition de femme dans un pays étranger dont elle n’arrivait pas encore à s’imprégner de la culture et, pire encore, sa condition de "Harraga" avec toutes les conséquences qui en découleraient si elle venait à être découverte. Encore une fois, j’ai évoqué ce cas parce qu’il est, nul doute là-dessus, représentatif de l’état d’esprit des "Harraga" qui se trouvent comme pris dans une sorte de spirale infinie : tournant toujours autour du même axe, leur orbite est très limitée. Du moins jusqu’à ce qu’ils soient régularisés. Entre temps, beaucoup d’entre eux finissent par développer des maladies mentales dues à leur confinement volontaire et à l’absence de toute perspective d’amélioration de leur vécu quotidien. Le sort de ceux qui versent dans la délinquance et le banditisme n’est pas non plus enviable. Mais, il est vrai, ceci est une autre paire de manches ! Je ne prends pas la défense de ceux qui relèvent du droit commun : leur cause est indéfendable. J’en ai pleinement conscience !

Donc, quitte à me brouiller une bonne fois pour toutes avec les lecteurs d’Agoravox, je persiste et signe : les "Harraga" méritent mieux que ça. Je ne dis pas qu’ils devraient être traités avec tous les égards comme s’il s’agissait d’invités de marque dans les pays où ils ont échoués, mais que l’on pense d’abord aux souffrances qu’ils ont endurées avant d’arriver là. En vertu du principe génétique qui dit "que seuls les individus forts sont aptes à la survie", les "Harraga" qui arrivent à bon port dans des embarcations de fortune sont donc forts psychologiquement et physiquement et ils méritent, de ce fait, de vivre dignement. L’Europe ne pourra, de toute façon, qu’en tirer profit. Sur tous les plans.

Ne voyons pas en les "Harraga" des pestiférés et des indésirables. En brûlant les frontières de l’Europe, leur seule motivation est une vie digne et décente. Ils ne constituent pas du tout une menace pour la sécurité de l’Europe et des Européens.


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12 réactions à cet article    


  • Manuel Atreide Manuel Atreide 17 décembre 2007 11:02

    @ l’auteur ...

    Votre papier est très joli, plein d’émotions, de questions, d’espoir et de révolte douce. Oui, vous avez raison en partie, le sort des clandestins en France est dur. Très dur.

    Oui, vous avez raison, cette situation n’est pas vraiment à l’honneur de mon pays. Mais je suis en désaccord avec vous sur un point : Si je suis votre raisonnement, nous devrions accueillir les bras ouvert chaque personne qui a eu le courage insensé souvent, chanceux toujours, de venir ici.

    Nous sommes à la croisée des chemins en ce moment. Après des décennies de parlottes, la France cherche à se doter d’une politique d’immigration. Que celle qui est actuellement proposée soit bonne ou mauvaise est une chose, mais la nouvelle présidence a au moins le mérite de vouloir en créer une. Et je fais cette remarque alors même que je ne suis pas un supporter - loin s’en faut - de l’équipe au pouvoir.

    Le sujet dont vous parlez est eminement complexe. Il ne sera pas correctement géré par des solutions implistes. Un subtil cocktail de mesures diverses pourra seul permettre d’améliorer les choses : Que la France se décide enfin à tenir un discours clair aux candidats à l’immigration. Afin que ceux-ci, quand ils seront arrivés, ne soient plus des immigrés (ce terme leur colle à la peau toute leur vie, ainsi à leurs enfants, petits enfants, etc ad nauséam), mais des migrants en voie d’intégration.

    Alors votre jolie petite serveuse vivra dans un pays où emme pourra sortir, apprécier le temps qu’il fait, les rires des enfants dans les cours d’écoles. Lire sur les frontons de la République notre devise. Et vivre en France comme une française de coeur, avec tous les droits et devoirs qui sont afférents.

    Nous serons loin alors des propos nauséabonds qu’on peut lire un peu partout, glorieusement représentés dans ce fil de commentaire par le billet de lerma, malheureusement très mal luné ce matin. j’en ai honte pour lui !

    Manuel Atréide


    • chabou (---.---.236.43) 4 janvier 2008 15:19

      votre papier reflete en un sens le problème de tous les immigres je dis bien immigres car ils sont emmigres de chez eux, nous n’avons plus le temps de nous poser des questions, les chinois ont faim ,ils sont plus d’un milliard, deux politiques soit on favorise l’immigration soit on aide les pays en voie de developpement, pour la chine s’est tres simple, payer la production au cout de la maind’oeuvre + profit permettant le developpement, pour les immigres, c’est tres simple aussi, Jung ou Freud ont longtemps debattu du debat philosophique, il n’est l’heure aujourd’hui que d’une chose , organiser des debats et conferences a l’attention de des jeunes en difficulte avec participation active de tous les participants, essayer de faire en sorte que les hommes et les femmes de la societe francaise puissent acceder à un travail, qui leur permettra (peut etre)de developper leur propre creativite, mais et la c’est certain, les aidera a s’assumer financièrement


    • chabou (---.---.236.43) 4 janvier 2008 15:54

      pas de subvention cache misere, l’urgence c’est d’aider les populations sur leurs terres delimitees par des cairns a defaut de geometre, l’urgence c’est de leur ocrtoyer des emprunts a taux zero renegociables , l’urgence ce n’est pas de contraindre mais de restraindre


    • tvargentine.com lerma 17 décembre 2007 11:12

      Le fond du problème reste une meilleure répartition des richesses et un développement économique avec les richesses de l’Algérie.

      La France n’a pas à subventionné la misère de pays riches dont les richesses ne sont pas redistribués.

      C’est pour cela qu’il fallait une vrai loi sur l’immigration afin d’éviter d’avoir des clandestins sans papiers livrés à des négriers.

      La France n’a pas à régulariser la situation de sans papiers car elle dispose de suffisament de sans loger,de pauvres et des travailleurs aux chomages.


      • del Toro Kabyle d’Espagne 17 décembre 2007 11:52

        [Je trouve vos références « psychiatriques » pré-psychanalytiques. Essayer Foucault, vous verrez par la suite à quel point vous parler comme un médecin du 19e siècle ...

        L’horizon psychologique des « somatistes » (médecins en tout genre) reste encore celui de la pharmaco-psychiatrie et de la nosographie moralisante à l’emporte-pièce. Je ne parle même pas du darwinisme social sommaire auquel vous faites référence et qui est déjà utilisé aux USA mais pour un tout autre camp politique.]

        Parenthèse fermée.

        Je vous trouve tout de même un franc mérite : vous ne tenez pas le double discours d’un bon nombre de vos collègues sur le sort de celles et ceux qui vivent l’enfer, une fois avoir quitté « le pays ».

        Vous savez, j’ai aussi bossé dans des hôtels pour financer mon doctorat ; et j’ai bonne mémoire quant aux bons enfants moustachus du FLN qui venaient claquer des dizaines de milliers de francs la semaine, femme et enfants compris, dans les plus beaux coins de la capitale (Paris), le tout sur le dos de l’Algérie.

        L’Europe a clairement besoin de main d’œuvre étrangère mais elle a aussi besoin de monter les uns contre les autres pour que la voix des urnes soit purulente. C’est le bon paradoxe de la droite : elle mange avec le loup (capitalisme mondialisé) et pleure avec la bergère (nationalisme xénophobe).

        Il n’y a rien, malheureusement, dans votre article, qui soulève avec empathie de douloureux cas humains, sur l’inhumanité chronique de nos dirigeants algériens, soutenus par toutes les chancelleries occidentales.


        • moebius 17 décembre 2007 13:20

          les richesses non redistribués et planqué aux fond des coffres irriguent l’économie européenne


          • del Toro Kabyle d’Espagne 17 décembre 2007 21:13

            Bien Arthur mais ... c’est pas que tu étais d’un touuut autre bord politique, toi ? smiley


            • logic 17 décembre 2007 22:13

              Il faut que « montiez » à Paris pour voir les aberrations de notre politique sociale !! Je puis vous certifier que l’Etat Français est en train des jeter à la rue des Français qui se sont investi une grande partie de leur vie et qui ne le peuve plus pour des raisons de santé entr’autre Une partie des SDF (notamment de 50ans et plus)n’est souvent que le résultat de l’ingratitude de l’Etat et d’interprétations fantaisistes des lois sociales applicables selon la tête du « client » Ca ressemble fort à une République bananière et hélas ces disparités n’iront qu’en s’aggravant


              • maxim maxim 18 décembre 2007 09:19

                @Arthur Mage ....

                le terre ne peut pas être un seul pays ,les disparités ethniques sont bien trop grandes,les cultures trop différentes,les haines pour les uns envers les autres existeront toujours pour ces raisons ..... une région de la terre étant plus favorisée que l’autre ne serait ce que par son climat ,on assisterait à des guerres tribales pour conquérir le territoire le plus accueillant ....

                c’est ce qui s’est passé depuis le début de l’humanité ,la nature humaine est ainsi faite,on convoite toujours le bien de l’autre ....

                il en est de même dans le règne animal,sur ce plan là d’ailleurs nous ne sommes pas foncièrement plus évolués que ces animaux......mais c’est ,je le répète la nature huamaine ....

                c’est pour celà qu’au cours des siècles se sont formés les pays et les frontières ,à coups de guerres,au son du canon et au prix du sang ........

                alors l’idée d’un gouvernement du monde n’est qu’une utopie ,si il avait eu lieu,nous ne serions plus là depuis belle lurette ,nous nous serions mutuellement détruits ......


                • claude claude 18 décembre 2007 10:09

                  @ l’auteur,

                  votre article est émouvant, je rejoins Manuel Atreide dans son post.

                  j’espère que cette jeune fille aura pu s’envoler de sa salle de petit déjeuner et qu’elle peut vivre au soleil aujourd’hui.

                  bonne journée


                  • GHEDIA Aziz Sidi KhaledI 21 décembre 2007 18:54

                    A tous les commentateurs, je dis merci et bonnes fêtes de fin d’année !


                    • Proton 20 février 2008 14:10

                      Pas d’accord avec ce texte, tout joliement écrit soit-il.

                      Quand on arrive ou qu’on reste dans un pays de façon clandestine, il faut s’attendre à une vie... clandestine.

                      Et encore notre bon coeur est déjà en train de nous perdre, scolarisation d’enfants de clandestins, aide médicale etc.

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