Pas si blanche la colombe...
C'est grâce à la pugnacité d'une pneumologue de Brest, le Dr Irène Frachon, que la France a découvert le Mediator et ses milliers de victimes. Son acharnement face à une administration sourde et vermoulue de conflits d'intérêts lui a permis d'avoir finalement gain de cause. Déferlement médiatique, enquêtes, réformes, procès, la France s'est réveillée avec une terrible gueule de bois. Après les démissions de principe de quelques fusibles, il fallait mettre sur pied une réforme digne de ce nom pour qu'il y ait un "avant" mais surtout un "après-Mediator".
Mais la France n'en est pas à sa première réforme accouchée dans l'urgence d'une élection présidentielle. Encore faut-il qu'elle puisse être suivie d'effet. Et c'est là que le Dr Frachon, sous l'élan acquis lors de son combat contre Servier, se sentira investie d'une mission de service public de dénonciation de toute interaction entre fonctionnaires et firmes pharmaceutiques.
Première dénonciation
La première personne à en subir les foudres sera une personne de l'AFSSAPS, Catherine Rey-Quinio qui confiera à la pneumologue, au détour d'une conversation informelle, qu'elle a travaillé il y a 10 ans chez Servier. Irène Frachon dénoncera aussitôt Mme Rey-Quinio au Figaro qui lui consacrera d'ailleurs un article complet :
"Catherine Rey-Quinio a travaillé chez Servier avant de rejoindre l'Afssaps."
"Mais tous ne savent pas qu'avant de rejoindre l'Afssaps à la fin des années 90, elle a travaillé chez les laboratoires Servier où elle a occupé le poste de médecin produit en charge de l'Isomeride."
Mme Rey-Quinio devait bénéficier d'une promotion au sein de l'agence avant que son passé ne la rattrappe. Sous la pression de cette dénonciation, Xavier Bertrand bloquera la candidature de cette femme. "C'est à la justice de remonter les responsabilités, on n'est pas là pour faire une chasse aux sorcières", s'est défendue Mme Frachon à l'AFP. Le Figaro en profitera pour dénoncer la nomination au sein d'autres administrations de deux fusibles de l'AFSSAPS : Anne Castot (ancienne chef du service de la gestion des risques et de l'information sur les médicaments), et Carmen Kreft-Jaïs (ancienne chef du département de pharmacovigilance). Xavier Bertrand a promis de demander à Claude Evin, le patron de l'ARS Ile-de-France « quelles sont les conditions précises du travail d'Anne Castot à l'ARS ».
Une nouvelle dénonciation
Vendredi dernier, nous apprenions dans les APM que le Dr Frachon avait dénoncé la participation de hauts fonctionnaires à un colloque sponsorisé par les firmes Sanofi et Lundbeck, menant à son annulation. Cette-fois, elle s'est directement adressée au ministre.
"Quand j'ai vu qu'on allait discuter des règles de transparence et d'indépendance de l'expertise dans un colloque subventionné par deux industriels, je m'en suis émue auprès de Xavier Bertrand", le 25 novembre, a-t-elle indiqué à l'APM. "Je lui ai demandé s'il savait qu'il avait donné son parrainage, il m'a répondu non et m'a tout de suite dit qu'il n'était pas question qu'il y aille. J'ai ensuite contacté par mail Jean-Yves Grall, Dominique Maraninchi et Jean-Luc Harousseau pour leur demander s'ils savaient que le colloque était subventionné, ils m'ont tous répondu qu'ils ne le savaient pas et que ça posait effectivement problème. Mais je ne leur ai pas demandé d'annuler leur participation".
Une nouvelle fois, Irène Frachon récuse les termes de "chasse aux sorcières". Le message qu'elle adressa au députés est sans ambiguïtés.
"Je pense que c'est une maladresse de la part des parlementaires. L'Assemblée nationale dispose de suffisamment de salles pour ne pas être obligée d'en louer une, ce sera peut-être moins chic mais les choses ont changé, il faut revoir les habitudes".
En s'adressant à eux sur un tel ton, la pneumologue ne risque-t-elle pas de s'attirer les foudres des parlementaires ? Même si elle prétend le contraire, ces purges relèvent bien de la chasse aux sorcières. Ce n'est pas grave si la cause est juste.
Mais l'est-elle vraiment ?
On ne dénonce pas les amis
En pratiquant des dénonciations sélectives, ne pourrait-on pas soupçonner le Dr Frachon de de souffrir elle-même de ses propres conflits d'intérêts ?
Pourquoi a-t-elle choisi de garder le silence lorsqu'on apprit que l'un de ses proches, le député socialiste Gérard Bapt, a monté un club de parlementaires financé par la firme pharmaceutique GlaxoSmithKline : le Club Hippocrate, club dont il assurera la présidence jusqu'à ce qu'il se fasse épingler en pleine affaire Mediator ? De même, toujours le silence lorsque la présence de M. Bapt est remarquée aux rencontres de Lourmarin, un colloque annuel organisé par le plus grand lobbyiste de la pharmacie, Daniel Vial, réunissant politiques et industriels à l'abri des caméras. Ces rencontres vaudront à Daniel Vial d'échapper aux enquêtes parlementaires sur le Mediator, dirigées par Gérard Bapt lui-même. Plus récemment, c'est encore Gérard Bapt qui a vu son nom associé à un autre club de lobbying également financé par Glaxo : le club Avenir de la Santé.
Et toujours aucune réaction de la pneumologue.
Irène Frachon a déclaré des liens d'intérêts avec quelques firmes pharmaceutiques, dont GSK. Ces liens ne l'inciteraient-elle pas à considérer les actions de lobbying de cette firme et les dérives de monsieur Bapt avec davantage de complaisance ? Rares sont les firmes à s'intéresser à l'HTAP, une maladie rare, au centre de ses travaux de recherche. Le retrait d'un sponsor clé serait très préjudiciable. Par ailleurs Gérard Bapt lui a offert un exceptionnel appui dans sa croisade contre le Mediator. Le dénoncer à présent ne serait pas très correct à son égard.
En médecine, comme en politique, certains conflits d'intérêts ont la peau dure et sont parfois "plus égaux que les autres.
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