Pascal Bruckner, La sagesse de l’argent
Pascal Bruckner, La sagesse de l'argent, Editions Grasset et Fasquelle, 2016
Pascal Bruckner est l'auteur, entre autres de La tentation de l'innocence (prix Médicis de l'essai, 1995), Les voleurs de beauté (prix Renaudot, 1997), Misère de la prospérité (prix du meilleur livre d'économie, prix Aujourd'hui, 2002), Le fanatisme de l'apocalypse (Prix Risques, 2011) et Un bon fils. Son oeuvre est traduite dans une trentaine de pays.
Table :
Introduction : Les voeux de Lénine -
Première partie : Les adorateurs et les contempteurs
Chapitre 1. Le fumier du diable - Chapitre 2. De l'éminente dignité des pauvres ? - Chapitre 3. La France ou le tabou de l'argent - chapitre 4. L'Amérique ou la monnaie spirituelle
Deuxième partie : Trois mythes sur le veau d'or
Chapitre 5. L'argent, maître du monde ? - Chapitre 6 : L'opulence rend-elle malheureux ? - Chapitre 7 : Le calcul sordide a-t-il tué l'amour sublime ?
Troisième partie : Richesse oblige
Chapitre 8 : Réhabiliter les valeurs bourgeoises ? - Chapitre 9 : S'enrichir n'est pas un crime ni s'appauvrir vertu - Chapitre 10 : La main qui prend, la main qui rend
Conclusion : Une schizophrénie assumée
Quatrième de couverture :
« L’argent est une promesse qui cherche une sagesse. L’expression doit s’entendre au double sens : il est sage d’avoir de l’argent, il est sage de s’interroger sur lui. Il rend tout homme philosophe malgré lui : bien penser, c’est aussi apprendre à bien dépenser, pour soi et pour autrui. Avec l’argent, nul n’est à l’aise : ceux qui croient le détester l’idolâtrent en secret. Ceux qui l’idolâtrent le surestiment. Ceux qui feignent de le mépriser se mentent à eux-mêmes. Engouement problématique, réprobation impossible. Telle est la difficulté. Mais si la sagesse ne consiste pas à s’attaquer à cela même qui paraît à tous le symbole de la folie, à quoi bon la philosophie ? »
"L'argent naît dans l'effroi de son invention : tout lui sert de véhicule, les métaux, les coquillages, le sel (d'où vient le mot salaire), le bétail (pécuniaire vient du latin pecus, le boeuf), de même que le terme indien rupee remonte à une racine sanscrite qui signifie aussi bétail." (p.19)
L'auteur évoque la question de l'argent depuis l'antiquité grecque, de la réprobation platonicienne à l'attitude plus mesurée et plus scientifique d'Aristote, le père des sciences économiques, du judaïsme - l'épisode du veau d'or dans la Torah - au christianisme évangélique qui condamne l'argent comme fin mais non comme moyen, ainsi que les divergences culturelles fondamentales, si l'on en croit Max Weber (L'ethique protestante et l'esprit du capitalisme), entre la conception catholique, contradictoire et éminemment paradoxale, pour ne pas dire "névrotique", qui domine en France et dans les pays latins et la conception protestante, plus cohérente et plus pragmatique de l'Allemagne et des pays du Nord, divergences historiques qui pourraient éclairer les rapports très différents que les Allemands et les Français entretiennent aujourd'hui avec l'économie de marché et par voie de conséquence l'épineux problème des "critères de convergence".
"L'esprit d'entreprise, l'appât du gain n'ont en soi rien de honteux, affirme Pascal Bruckner. S'il y a de l'argent sale, il y a surtout de l'argent juste quand il est gagné par le labeur, l'intelligence, l'audace. Aucun des problèmes posés par le numéraire ne vaut en importance et en gravité les problèmes posés par le manque d'argent." (p.134)
La sagesse de l'argent ne se réduit pas pour autant à un éloge de "l'argent propre" ; il offre des aperçus passionnants sur la culture américaine, si difficile à comprendre pour un Européen avec son mélange d'amour de l'argent, de patriotisme et de moralisme, à partir d'une comparaison entre la symbolique du dollar et celle de l'euro, sur le thème de l'argent dans la littérature (Balzac, Zola, Fitzgerald...), il remet en cause le "cliché" de la "toute puissance de l'argent" ("Il n'existe aucune contrée au monde qui soit régie par les seules lois du profit." ; "L'argent n'achète que ce qui peut l'être") et met en garde contre une "double erreur symétrique" : minimiser le rôle de l'argent ou le surestimer : "L'argent est le remède et le poison, il dispose d'un pouvoir émancipateur qui peut s'inverser en maladie mortelle." (p.177).
Après s'être demandé si la richesse rend malheureux. Pascal Bruckner analyse à la fin de la deuxième partie (chapitre 7) : "Le calcul sordide a-t-il tué l'amour sublime ?" les relations entre l'argent, l'amour et la sexualité et entre l'argent et le jeu, notamment le Loto, "version sécularisée de la grâce". (p.200)
"L'argent est une machine athée, capable de tout monnayer, mais incapable de tenir les hommes entre eux. Le vrai lien se forge sur le long terme, dans une communauté de citoyens qui partagent un même destin et participent à une création collective qui les dépasse." (p.114)
Il s'agit, vis-à-vis de l'argent comme de toute autre chose (le pouvoir, la mort, le désir...) de mieux penser (le début de la morale, selon Pascal), pour mieux agir. Car ce n'est pas l'argent en soi qui est un mal, mais tout ce que nous y projetons : l'avarice, l'envie, la vanité, voire l'antisémitisme
L'auteur met l'accent sur l'envie, encouragée selon lui par la révolution démocratique et de l'enfer duquel on ne sort, toujours selon lui, que par l'admiration : "Dès lors que les Révolutions américaines et françaises ont ouvert la boîte de Pandore de l'égalité et du droit au bonheur, elles ont relâché le monstre de la comparaison, donc de la concurrence." (p.158)
Il s'intéresse dans la troisième et dernière partie du livre au comportement - admirable, utile ou révoltant et de surcroît destructeur du lien social - des gens fortunés et aux avatars d'une figure archétypale, celle du "bourgeois", du XIXème siècle à nos jours.
L'auteur explique pour finir que la sagesse consiste à "assumer la schizophrénie" à l'égard de l'argent : "fluide indispensable, il peut à tour moment devenir un petit démon qui ne nous laisse pas en paix. Il est vraiment le pharmakon, le remède et le toxique, en même temps." (p.287)
"La fortune n'est que la métaphore de la vie, si belle, si fragile. Accepter que tout ce qui nous fut accordé puisse nous être repris ; en retirer malgré tout un immense sentiment de gratitude. Telle est l'ultime sagesse." (p.290)
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON