Patrice Lumumba : la CIA, la Belgique et un crime d’État
Il y a 64 ans, l'espoir de tout un continent s'éteignait dans la violence et la trahison. Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, était assassiné le 17 janvier 1961. Retour sur le destin fulgurant de cet homme charismatique, symbole de la lutte anticoloniale, broyé par les jeux de pouvoir et les intérêts internationaux.
De la poste aux portes du pouvoir
Patrice Emery Lumumba naît en 1925 au Kasaï, dans ce qui est alors le Congo belge. Après des études à l'école missionnaire, il travaille comme employé de poste et devient un fervent défenseur des droits des Congolais. Son engagement politique s'intensifie à la fin des années 1950, alors que le vent de l'indépendance souffle sur l'Afrique. Il fonde le Mouvement National Congolais (MNC) en 1958, un parti qui prône l'unité nationale et l'émancipation du peuple congolais.
Patrice Lumumba s'impose rapidement comme un leader charismatique et un orateur hors pair. Son discours enflammé lors de la proclamation de l'indépendance du Congo, le 30 juin 1960, résonne encore aujourd'hui comme un symbole de la lutte anticoloniale. Il dénonce avec force les injustices et les humiliations subies par son peuple sous le joug colonial, et appelle à la construction d'un Congo uni et prospère.
Ce discours, qui prend de court le roi Baudouin Ier venu célébrer la "bonne entente" entre la Belgique et son ancienne colonie, marque un tournant. Il propulse Lumumba sur le devant de la scène internationale et fait de lui une figure emblématique de la décolonisation. Mais il lui attire aussi l'hostilité de la Belgique, qui voit d'un mauvais œil ses ambitions panafricaines et sa volonté de prendre le contrôle des immenses richesses du Congo.
Un pouvoir fragile dans la tourmente
Nommé Premier ministre à l'indépendance, Lumumba doit faire face à une situation explosive. Le pays est en proie à des troubles sociaux et à des tensions ethniques. La mutinerie de la Force Publique, l'armée congolaise héritée de la colonisation, plonge le pays dans le chaos. La sécession du Katanga, riche province minière soutenue par la Belgique, menace l'unité du jeune État.
Dans ce contexte difficile, Lumumba tente de maintenir l'ordre et de consolider l'indépendance du Congo. Il fait appel à l'ONU pour obtenir de l'aide face à la sécession katangaise et aux ingérences belges. Mais cette décision lui aliène les Occidentaux, qui craignent de voir le Congo basculer dans le camp soviétique en pleine Guerre froide.
Isolé sur la scène internationale, Lumumba est confronté à une opposition grandissante à l'intérieur du pays. Le président Joseph Kasa-Vubu, soutenu par les États-Unis et la Belgique, le destitue de ses fonctions. Le colonel Joseph-Désiré Mobutu, chef d'état-major de l'armée, prend le pouvoir et place Lumumba en résidence surveillée.
La longue nuit de la trahison
Assigné à résidence, Lumumba tente de rejoindre ses partisans à Stanleyville (Kisangani). Mais il est arrêté en décembre 1960 et transféré au Katanga, fief de son ennemi juré, Moïse Tshombé, chef de l'État sécessionniste du Katanga. Livré aux mains de ses bourreaux, il subit d'atroces tortures et humiliations.
Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba est exécuté avec deux de ses fidèles compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito. Les conditions de leur assassinat sont particulièrement cruelles. Battus, affaiblis, ils sont conduits dans un lieu isolé en pleine brousse. Lumumba, contraint de boire sa propre urine, est abattu froidement d'une balle dans la tête. Ses deux compagnons d'infortune subissent le même sort funeste.
Leurs corps sont ensuite dissous dans l'acide afin de faire disparaître toute trace du crime. Cette exécution sommaire, orchestrée par les autorités katangaises avec la complicité de la Belgique et des États-Unis, soulève une vague d'indignation à travers le monde.
Un héritage controversé
La mort de Lumumba marque un tournant dans l'histoire du Congo. Elle ouvre la voie à une longue période de dictature et d'instabilité politique. Le colonel Joseph-Désiré Mobutu s'empare du pouvoir et instaure un régime autoritaire qui durera plus de 30 ans. Le pays s'enfonce dans la corruption et la violence, et les richesses du Congo sont pillées par les multinationales et les élites locales.
Malgré sa fin tragique, Patrice Lumumba reste une figure emblématique de la lutte anticoloniale. Son combat pour l'indépendance et l'unité du Congo continue d'inspirer les générations futures. Son nom est associé à la résistance face à l'oppression et à la défense des intérêts des peuples africains.
Cependant, son héritage reste controversé. Certains le considèrent comme un héros national, un martyr de la liberté. D'autres lui reprochent son manque d'expérience politique et ses choix radicaux qui ont contribué à déstabiliser le pays. Quoi qu'il en soit, Patrice Lumumba, dont la Belgique a officiellement reconnu sa responsabilité dans son assassinat en 2002, demeure une figure incontournable de l'histoire du Congo et de l'Afrique. Son destin tragique témoigne des défis et des contradictions de la décolonisation, et de la violence des rapports de force qui ont marqué le XXe siècle.
"Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres."
Patrice Lumumba
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