Pauvre Soral
J’entends parler de temps en temps d’Alain Soral. Je n’attache pas une importance excessive à sa personne. Mais je suis un lecteur régulier du Canard Enchaîné. C’est ainsi que j’ai découvert la dernière polémique dont il est l’objet consentant. J’en ai trouvé ensuite un écho sur AGORAVOX. Puis j’ai vu la mise en scène qu’il avait mise en ligne lui-même :
J’ai donc résolu de faire un (petit) tour du personnage et de le faire partager aux lecteurs d’AGORAVOX, si ses partisans me le permettent et ne se livrent pas à un tir de barrage afin d’éviter de contrarier leur champion.
J’ai commencé par visionner deux vidéos plus anciennes :
Puis j’ai résolu de tenter de lire la prose qu’il commet ici et là. Je suis allé droit au but et je me suis rendu sur son site.
Je crois que tout Soral est dans la mise en regard de ces trois vidéos : Alain Soral, jeune et marrant, qui continue de vouloir faire marrer en chantant Haziza tout seul trente ans plus tard. Entre temps, il aura revendiqué, sous le regard de sa sœur, son statut d’enfant battu en mal de réparation.
Et c’est à cet éclairage qu’il faut lire les manifestes qu’il publie sur son site. Il y énonce des constats, des banalités de base qu’il serait impossible de réfuter, mais qu’il est bon de répéter parfois :
- lors du dernier référendum, les Français ont voté majoritairement NON ;
- ce NON était majoritairement issu des marges de la droite et de la gauche ;
- la sortie (ou la fin) de l’euro n’est pas qu’une hypothèse d’école ;
- le capitalisme triomphant provoque de nombreux dommages colatéraux.
Mais ces banalités, quand Alain Soral les profère, ne sont que des prétextes. Ses textes abondent en références et révérences historiques, mais c’est le sous-texte qui déborde toujours. Ainsi dans les six allocutions qu’il a tenu à publier sur son site sous le titre Qui sommes-nous ? La première est sous titrée en toute simplicité Itinéraire d’un intellectuel français. Il n’hésite pas à déclarer d’emblée :
« Il faut toujours commencer par le commencement…
Je suis un déclassé, fils de notaire, né en province et monté à Paris en famille au début des années 60.
Mon père ayant fait de mauvaises affaires, j’ai passé mon enfance dans une cité dortoir pour ouvriers de chez Renault, comme il en fleurissait tant à l’époque.
C’était le gaullisme, les 30 glorieuses…Ambiance populaire, républicaine et saine : la banlieue idéale...
Puis il poursuit dans le romantisme d’abord :
« Je suis donc un atypique, fils de bourgeois déclassé (…)
À l’adolescence, mon père ruiné quitte Paris, je me retrouve à Grenoble au début des années 70, ville pilote d’extrême gauche, où je fais l’apprentissage de la culture psychédélique, dominante chez les jeunes en rupture de ban de l’époque : musique pop, communautés, drogues…
(…) Nous sommes en 76, c’est le mouvement punk, mouvement de révolte à la fois anti-bourgeois et anti-baba cool dans lequel je me retrouve complètement. »
Puis on apprend qu’il n’est pas un baba cool, nom de dieu !
« Ayant l’habitude, en bon léniniste, de toujours allier théorie et pratique, et ayant souvent la chance, dans ma vie, de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, je suis mis en relation directe avec Le Pen lors d’un dîner informel, alors que je guerroie, au côté du comique antisioniste Dieudonné, contre un certain communautarisme très actif et persécuteur…Du coup, certains prétendront même que ce serait moi qui aurait fait se rencontrer les deux hommes !
Pour revenir à ma rencontre avec Le Pen, je suis immédiatement séduit par le bonhomme, son humanité, sa drôlerie… traits de caractères qu’il me semble, nous avons en commun et, après quelques échanges, je décide de rallier son comité de campagne où je côtoie sa fille Marine. »[i]
Donc, le léniniste a été séduit par le « comique antisioniste ». A-t-il envisagé d’embrasser la même carrière ? Contrairement à Pierre Desproges, il n’a pas considéré qu’il y a « plus d'humanité dans l'œil d'un chien quand il remue la queue que dans la queue de Le Pen quand il remue son œil » ? L’auteur de Sociologie du dragueur et de Misères du désir a-t-il pensé qu’il pourrait pécho l’héritière ?
Un autre texte mérite de voir citer quelques lignes car il a été prononcé par Jean Marie Le Pen, Alain Soral se flattant d’en avoir été « la principale plume » : Le discours de Valmy.[ii]
« Valmy, dernière victoire de la Monarchie, première victoire de la République », entonne donc le fils de notaire dans la bouche de l’ancien lieutenant parachutiste.
Puis vient ce passage où Soral, voulant se mettre dans la peau de Le Pen, commence par saluer les « vieux compagnons » du Front National, parfois pas très républicains, souvent catholiques traditionalistes voire fondamentalistes, avant d’oser citer un historien de renom, certes, mais d’origine israélite et mis à la porte de la fonction publique par le gouvernement du maréchal Pétain : Marc Bloch.[iii]
Jean Marie Le Pen a-t-il craché dans son mouchoir avant de citer le nom de l’auteur de L’étrange défaite ? La collaboration entre les deux nationalistes s’arrêtera bientôt.
Jean Marie Le Pen volera dans les plumes de l’auteur de Jusqu'où va-t-on descendre ? et de Socrate à Saint Tropez. Il lui reprochera un « comportement de petit enfant qui pique une grosse colère » et conclura, plutôt lapidaire : « Alain Soral est plus fait pour l'écriture ou le show-business que pour la politique ».[iv]
En revanche, le sociologue et ventriloque déclassé gardera une vraie nostalgie de cette brève entente cordiale. Dans une note additive, il reviendra sur ce discours de Valmy, disant qu’il y voit « une déclaration de réconciliation nationale, qui est en quelque sorte un prémisse à Égalité et Réconciliation. » Il ira même jusqu’à écrire : « Malgré notre rupture avec le Front National (où cette ligne est minoritaire), nous restons très attachés à ce discours, qui a été la source de beaucoup d’espoir pour nombre d’entre nous. »
Alain Soral s’est voulu le centre d’une contestation radicale du monde bourgeois. Sa démarche romantique l’a mené du « mouvement punk » en 76 au « PC »[v] dans les années nonante de l’autre siècle, puis au « FN » pour commencer le nouveau millénaire. Il n’est parvenu nulle part à devenir le centre d’un mouvement de masse, les uns et les autres le trouvant trop éclectique, trop confus, trop centriste, en un mot. D’un autre côté, pour parfaire sa radicalité, il s’est trouvé des idoles intellectuelles à réfuter, à abattre ou à détruire : Bourdieu, Cohn-Bendit, Todd…Il n’est parvenu qu’à un radicalisme verbal, une provocation médiatique où il est moins doué que Dieudonné.
Des mouvements de modes expliqués aux parents, Soral est passé aux mouvements de menton pour impressionner les enfants. Mais lui-même reste cet enfant délaissé qui en fait des tonnes pour impressionner les parents qu’il se donne. Quelle mouche l’a piqué de se vouloir faire inviter par ce Frédéric Haziza ?[vi]
Ce dernier serait-il un correspondant local du Mossad, Alain Soral lui a offert un certificat de respectabilité et un statut de victime, choses que lui-même ne cesse de rechercher. Déjà, en janvier, pour une autre plainte, le journaliste avait « eu la surprise de recevoir un coup de téléphone "solidaire" du dirigeant du Front national, Louis Aliot : "Alain Soral n’est plus du tout proche de nous. Je suis d’ailleurs en procès avec lui. Il est à la tête d’une secte." »
Contrairement à Marx, Alain Soral aime à se déclarer marxiste. Comme Johnny Hallyday, il semble aussi aimer aussi les coups. Il se serait mis depuis longtemps à la boxe anglaise et en serait même devenu « instructeur fédéral » en 2004. « En bon léniniste », soucieux d’« allier théorie et pratique », croit-il suivre le chemin indiqué par Marx ?
Certes, celui-ci il écrivait en 1843 : « la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu'elle pénètre les masses. La théorie est capable de pénétrer les masses dès qu'elle procède par des démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad hominem dès qu'elle devient radicale.
Mais il introduisait son propos en écrivant : « Il est évident que l'arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ». [vii]
Dans son « itinéraire », Soral a cette phrase : « Je passe sur l’épisode de mon mariage, de mon repli sur la ville de Bayonne… » . Il préserve sa vie privée, c’est bien. Mais on peut imaginer qu’il entend peut-être sa petite femme lui dire parfois : « Tu parles vraiment comme un bon petit fasciste ». Et lui, quand il en a marre de jouer au marxiste, il lui répond alors : « Écoute, je ne suis pas un intellectuel. Le fascisme n’en a pas besoin. Ce qu’il lui faut, ce sont des actes. Or la théorie écarte de l’action »[viii].
Après leur discours de Valmy, Jean Marie Le Pen et Alain Soral ont connu de graves déceptions : le premier, un échec électoral cuisant ; et le second, un échec de plus dans sa quête ontologique de reconnaissance[ix]. Pour l’accompagner dans son aventure solitaire, il a réuni autour de lui quelques autres enfants perdus dans sa nébuleuse Egalité et Réconciliation. Mais l’enfant battu qu’il a été est resté depuis trente ans un spécimen fort emblématique de l’homme du ressentiment. L’égalité qu’il réclame à cor et à cri, c’est l’égalité avec les intellectuels qui le dédaignent. Et la seule réconciliation qu’il puisse espérer, c’est une réconciliation avec lui-même.
[i] Du communisme au nationalisme sous titré Itinéraire d’un intellectuel français (allocution prononcée à Vénissieux le vendredi 2 mars 2007)
[ii] Allocution prononcée à Valmy le mercredi 20 septembre 2006, par Jean Marie Le Pen.
[iii] « Je sais aussi que certains de nos vieux compagnons s’étonnent de ce choix… À ceux-là je veux rappeler amicalement que si j’ai choisi Valmy, c’est qu’à travers ces diverses épopées, je crois à la continuité de la grandeur de notre peuple. (…) je suis de ceux qui pensent qu’un certain centralisme jacobin puise sa source dans le règne de Louis XIV… , de ceux qui croient que notre attachement farouche à l’Égalité, motif de tant de luttes sociales, trouve son origine dans notre vieux fond chrétien… Comme le disait le grand patriote et grand historien Marc Bloch, dont la célèbre citation exprime parfaitement ma pensée : « qui n’a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n’est pas vraiment français ! »
[iv] En 2009, ce n’était pas avec Frédéric Haziza, mais avec Marine Le Pen que Soral avait des mots :
LE FIGARO. - Que vous inspirent les propos au vitriol d'Alain Soral sur Marine Le Pen ?
Jean-Marie Le Pen – « C'est inélégant de se choisir pour cible une jeune femme talentueuse et méritante. Marine Le Pen est une militante exemplaire, qui a beaucoup plus apporté au FN que ses détracteurs. La violence et la grossièreté de la réaction d'Alain Soral disqualifient un homme dont j'appréciais le talent de plume. Ses adversaires lui paraissent toujours méprisables. Je suis agacé par ce comportement de petit enfant qui pique une grosse colère et claque la porte brutalement parce qu'il n'obtient pas ce qu'il convoitait, c'est-à-dire l'investiture du FN pour être tête de liste aux européennes en Ile-de-France. Alain Soral est plus fait pour l'écriture ou le show-business que pour la politique. »
[v] Depuis longtemps déjà, Jean Ferrat chantait « Ils quittent un à un le parti. »
[vi] Ce journaliste qui sévit sur Radio J et sur LCP fait de lui-même ce portrait sans nuance et sans complaisance : « Dans ma carrière de journaliste, j’ai toujours défendu Israël, je me suis toujours attaqué aux islamistes (…) On ne peut pas me reprocher d’être anti-israélien, d’être antisioniste ou je ne sais quoi. Je me suis toujours attaqué aux organisations extrémistes palestiniennes ou organisations d’extrême droite françaises ».
[vii] Introduction à la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel
[viii] Ces lignes sont extraites du roman de Philip K. Dick, Le maître du Haut-Château.(1962)
« Tu parles vraiment comme un bon petit fasciste, se dit Juliana.
Joe devina apparemment ce qu’elle pensait à son expression ; il se tourna vers elle en ralentissant, un œil sur sa passagère, l’autre sur la route et les voitures.
« Écoute, je ne suis pas un intellectuel. Le fascisme n’en a pas besoin. Ce qu’il lui faut, ce sont des actes. Or la théorie écarte de l’action. Ce que notre État corporatiste exige de nous, c’est la compréhension des forces sociales… de l’histoire. Tu vois ? Je te le dis ; et je sais de quoi je parle. » Il s’exprimait avec passion, quasi implorant. « Ces vieux empires pourris dirigés par l’argent, la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis, même si les États-Unis sont en fait une sorte de rejet bâtard, pas un véritable empire, mais tournés vers le fric malgré tout… ils n’ont pas d’âme, donc pas d’avenir, évidemment. Ils ne peuvent pas grandir. Les nazis sont un ramassis de voyous, je suis bien d’accord. Toi aussi, hein ? »
[ix] Depuis sa carrière éphémère au FN, il a été remplacé facilement par Florian Philippot qui, sans s’en vanter dans les médias, est, lui, un léniniste conséquent.
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