Peak oil, pétrole de schiste et survivalisme (1/2)
Je ne m'étais pas intéressé au gaz de schiste, me disant que ce n'était que du gaz, intéressant, mais pas autant que les hydrocarbures liquides en déclin, car ayant une densité énergétique moindre et des coûts de transport plus élevé. De plus les réserves de gaz ne montrent pas de signe de faiblesse actuellement. Puis le pétrole de schiste est apparu sur le devant de la scène, décrié par certain, adulé par d'autre. J'ai essayé de me débarrasser des parti-pris pour me forger une opinion.
Cette partie (1/2)est consacré à répondre à la question : Pourquoi s'intéresser au pétrole et pas au gaz ?
Si le gaz est idéal pour les installations fixes (usine de nitrate, cimenterie, centrale électrique) où on le préfère au pétrole pour son prix plus bas, il est inadapté (par rapport aux liquides) aux utilisations mobiles (transport) où isolées (celles dont les consommations ne permettent pas d'amortir la livraison par tuyau). Aujourd'hui la totalité de nos processus économiques sont dépendants des transports et l'on hésite pas à faire parcourir (par camion) à nos objets et notre nourriture des milliers de kilomètres pour gratter quelques pourcent de marge , souvent gagnés sur du dumping social (en fait, quelque % de marge en moins vous fait facilement passer d'un buiseness florissant à la faillite). Notre structure économique est particulièrement dépendante des transports. De plus, le pétrole (conventionnel) semble commencer à manquer, alors que l'on disposerait de plus de marge pour le gaz.
Imaginons les transports sans pétrole, mais avec du gaz (méthane)
Expédions tout d'abord le cas des avions&bateaux : les avions restent cloués aux sol, les gros bateaux passent au charbon
Dans une série d'articles précédents, j'avais calculé que, à 200 bar le méthane ne permet de récupérer que 1,6 MJ/l (MegaJoule/litre) d'énergie mécanique (rendement 25%) contre 9,5MJ/l pour le gasoil soit 6 fois moins.
(http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/autos-electriques-une-solution-du-115864)
Ainsi, une voiture disposant de 500l de réservoir de gaz naturel comprimé (ce qui est énorme : sphère d'1m de diamètre) et roulant à 30ch (20kW) ce qui est une puissance très moyenne, l'autonomie n'est que de 11 h.
Les véhicules particuliers roulant au GNV sont presque tous équipés de réservoirs d'essence additionnels pour prolonger l'autonomie en cas de besoin et les bouteilles prennent beaucoup de place.
Changeons d'échelle et passons à 300Ch (200kW), ce qui est une puissance courante pour des tracteurs routiers ou agricoles et calculons le volume de gaz nécessaire pour fonctionner 6h d'affilée : nous obtenons un volume de 2,7 m3 soit une sphère de 1,75 m (nb on ne range pas du gaz à 200 bars dans un cube, pour des raison de résistance à la pression c'est une sphère ou le classique cylindre accolé de 2 demi sphères). C'est envisageable pour les tracteurs routiers, à condition de faire courir des gazoduc le long des principaux axes routiers (ce pourrait être un investissement d'état tout à fait pertinent, tout comme d'entretenir les voix ferrées désaffectées à minima, pour les réaffecter si besoin, beaucoup plus à priori que de construire un aéroport supplémentaire) par contre cela ne l'est pas pour les tracteurs agricoles, de plus il faudrait livrer dans chaque exploitations mécanisée du monde un semi remorque de gaz comprimé presque toutes les semaines pas sur que se soit possible logistiquement, et si les techniques agricole sans labour ne tiennent pas leurs promesses, des tensions fortes sont à prévisible dans la production alimentaire. Dans un monde en pénurie pétrolière, une transition alimentaire inversée est à prévoir (diminution des rations de viandes, puis diète calorique, voire diminution de la population). En approvisionnement pétrolier fortement contraint, il serait donc judicieux de réserver la production résiduelle aux agriculteurs. A noter qu'une diminution du labour (et de son équivalent marin le chalutage) serait bienvenue pour la santé des écosystèmes.
Prenons un exemple concret, celui des bus à gaz : le volume des bouteilles est de l'ordre du m3, reparti dans une dizaine de bouteilles logée sur le toit, sur presque toute la longueur du bus donnant une autonomie de 350 km pour 250 Ch. Le plein doit être quotidien.
http://www.transbus.org/construc/renault_agoragaz.html
Dans ce lien, cliquer sur "dossier gnv" et descendre tout en bas du tableau, la raison principale de la non généralisation des bus a gaz et du retour au diesel : "certains réseaux ont stoppé le renouvellement de la flotte des bus (a gaz) en raison de limites techniques liées à la capacité de remplissage de la station GNV" : les bus marchent très bien, mais les tuyaux sont pas assez gros.
A travers ces quelques exemples, on comprend pourquoi les transports utilisent majoritairement du pétrole, car il est à la fois dense en énergie, ce que le gaz n'est pas, et fluide, ce que le charbon n'est pas. Passer les transports du pétrole au gaz nécessiterai déjà une restructuration du tissu économique. Il est a noter que le problème n'est pas dans la fabrication de gadget dans une usine chinoise ou de son transport au port de Rotterdam, mais bien dans sa distribution au client final, mais à quoi bon fabriquer des coques de téléphone portable, des tonnes d'engrais où de ciment ou de bidoche si l'on ne dispose que de tricycles à gaz pour les livrer à Triffouillis/marne, cité dortoir semie-rurale en quatrième couronne de région parisienne ?
Que disent les cassandres ?
La stabilité et la continuité de notre monde occidental (l'américan way of life, voire nos démocraties imparfaites) dépendrait entièrement de la pérennité de l'approvisionnement en hydrocarbures liquides (+/-85Mbarills/jour) qui elle n'est pas éternelle et arrive en bout de course d 'après les statistiques géologiques (le pétrole facile à extraire étant déjà en partie brulé, ne reste presque que du pétrole plus difficile d'accès. La décroissance qui n'est qu'un synonyme poétique de récession, voire l'effondrement sont inéluctables à court/moyen termes.
C'est l'avis par exemple de Christian Laurut, qui sévit parfois sur agoravox, de Dmitry Orlov, dont je recommande la lecture des traductions sur le site orbite.com, beaucoup plus intéressantes que le présent billet, (notament « le pic petrolier c'est de l'histoire » et « en finir avec la dictature de l'image ») et Jean Marc Jancovici, dont le blog est incontournable pour qui s'intéresse au sujet. Ce dernier a mis en évidence une corrélation troublante entre les variations en volume d'hydrocarbure liquide consommé et les variation de PIB, les volumes d'hydrocarbures précédant de peu le PIB.
http://www.agoravox.fr/auteur/christian-laurut
http://www.orbite.info/traductions/dmitry_orlov/
J'ai choisi ces 3 là (il yen a d'autre) pour l'éventail de leur positionnement politique, et donc des réponses qu'ils apportent à long terme au problème :
Christian Laurut, en libertaire buté, se contrefiche du changement climatique, prétendant que la Terre et l'Humanité en a vu d'autre, et s'étrangle à l'idée qu'il puisse servir de prétexte à de nouvelles taxes/subventions, réglementations et planification étatique, ce qu'il nomme « fascisme vert » et qui briderai l'adaptabilité humaine et sa capacité de survie. Il n'a aucun doute sur la fin prochaine du pétrole et l'impossibilité de maintenir notre niveau de vie et pense que l'adaptabilité humaine est maximale avec un état minimal.
Dmitry Orlov voit dans le changement climatique un amplificateur possible,mais le maillon faible reste les disponibilités d'hydrocarbure liquide. Il se contrefiche des systèmes politiques et des diverses législations : Il pense qu'elles vont voler en éclat. Il est parfaitement conscient du talon d'Achille de l'ultralibéralisme en cours, à savoir que dans un système économique où la concurrence est exacerbée , les considérations de court termes, mêmes futiles, occultent complètement le long terme, ce qu'il énonce dans un de ses écrits de la façon suivante :
« Le projet d'éviter des conséquences désastreuses n'est pas une affaire lucrative, en soi, et ne se trouve pas financé. Mais importer de Chine des millions de citrouilles d'Halloween en plastique orange chaque année est un pari facile, et donc le marché donne priorité aux citrouilles en plastique orange sur ce qui est essentiel pour nous maintenir en vie. La main invisible du marché, il s'avère, est attachée à un invisible idiot ».
Tandis qu'il trouve que l'inefficacité économique avérée du système soviétique à été presque une chance pour leur population, habituée à se débrouiller face à l'incurie de son système économique elle a su faire face lors de l'effondrement de l'URSS peu après la fonte de leur rente pétrolière.
Il reconnaît par contre l'efficacité de certains investissements planifiés et centralisés non rentables en soi, comme l'éducation de masse, une politique de logement concentré, un système de santé à coût mutualisé, un système de transport en commun, tous ces services publics de base qui donnent de l'urticaire aux ultralibéraux. Ce n'est par contre pas un planificateur à outrance car il estime que les adaptations pertinentes ne sont pas prévisibles à long terme et il connaît les dégâts que peut faire une économie trop planifiée. Bref à court terme et en période d'abondance en énergie, le capitalisme s'impose, à long terme et en pénurie il n'en est pas sur (moi non plus d'ailleurs). Sa démarche consiste à s'adresser directement aux populations (merci internet) afin de leur conseiller d'adapter leur vie à diminuer aux maximum leur dépendance aux hydrocarbures ou au moins de ne pas être surpris par une rupture d'approvisionnement. C'est un survivaliste.
http://www.youtube.com/watch?v=a0J2gj80EVI
Jean Marc Jancovici est un petit peu plus circonspect sur la fin des hydrocarbures liquides, raisonne en terme de stock global fossile, craint qu'on ne cogne dans les réserves de charbon pour les transformer en carburant liquide (coal to liquid) et fait une véritable fixette sur le taux de CO2 et le changement climatique. Il croit en l'intérêt d'une démarche collective planifié(politique &étatique) et milite pour un déplacement de la fiscalité du travail sur celle de l'émission de carbone, seule à même selon lui de forcer la population à réduire progressivement plutôt qu'abruptement sa consommation d'énergie. Les habitudes ainsi prises seront salutaires lorsque la pénurie deviendra critique (la fable de la cigale & la fourmi revisitée : la cigale occidentale ayant consommé sans compter tout l'été pétrolier, se retrouva fort dépourvue quand la bise fut venue, tandis que le fourmi...). Aux détracteurs qui l'accusent de vouloir instaurer un fascisme vert, il rétorque qu'il ne voit pas d'autres voies pour éviter le fascisme tout court.
Certains prévoient même une diminution de la population par compétition sur les ressources. L'humanité est hélas capable de beaucoup d'imagination pour accélérer le processus.
700 millions de petits chinois, et moi, et moi, et moi.
La production mondial de pétrole est de l'ordre de 85-90 millions de baril/jour, soit 13-14 milliards de litres/jour. Rapporté à une population de 7,1 milliards, cela nous donne à peu près
2 litres/humains/jour : voilà une unité plus « palpable » de la dot pétrolière actuelle.
Tout juste de quoi parcourir 20 km aller-retour avec une voiture classique ( passer directement d'un volume de pétrole brut à celui du gas-oil ou de l'essence est un raccourci simpliste, mais il permet de fixer les ordres de grandeurs). Heureusement (pour moi en tout cas) que cette manne est très inéquitablement distribuée, je ne pourrait même plus aller travailler. Cela promet d'âpres luttes géopolitiques dans les années qui viennent (on dirait qu'elles sont déjà en cours), la REALPOLITIK va régner en maître et il n'y aura pas de place pour les bisounours.
La France, pour 66 millions d'habitants, consomme de l'ordre de 1,8million de baril/j soit 4,3l/jour/français
La population chinoise est actuellement un peu supérieure à 1,3 milliard. Le monde a bien changé depuis la chanson de Jacques Dutronc(1966), époque du pic pétrolier/humain. Elle aurait consommé en 2009 de l'ordre de 8,2 millions de baril jour. Soit1,3 milliard de litre/jour, donc grosso modo 1litre/j/chinois. Doubler cette consommation pour l'amener à la moyenne mondiale, ce qui ne serait pas volé pour l'atelier du monde, créerait un « appel de pétrole » de l'ordre de 10% de la production mondiale. Pas sur que la géologie le permette !
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_consommation_de_p%C3%A9trole
On peut faire le même raisonnement avec les autres paragraphes de la chanson , sans oublier d'actualiser les populations ni les 28 millions de saoudiens qui sont les premiers à se servir.
J'ai bien peur qu'il ne faille prochainement apprendre à vivre avec 3l de pétrole/jour/français et donc devoir convertir malgré tout une partie du parc au gaz naturel (GNV) et au GPL.
Mais que font nos élus ?
Ne croyez pas qu'ils ne fassent rien, mais le défaut de nos démocraties est le même que celui du libéralisme ambiant : le court terme prime : Ils se démènent comme des fous pour sécuriser à court terme notre approvisionnement, la (coûteuse) interventions militaire en Lybie et la volonté de le faire en Syrie ne s'explique pas autrement. ils ne font pas grand chose (c'est hors de la durée de leur mandat, voire hors de leur mandat tout court) pour limiter notre dépendance à ces même hydrocarbures, la récession promise n'étant pas politiquement vendable.
Quelles alternatives pour les transports ?
les hydrates de méthane ne sont aussi que du méthane (les japonais essayent d'en récupérer, on peut les comprendre, depuis que leurs réacteurs nucléaires sont arrêtés, leur balance commerciale se dégrade et cela pourrait remettre en cause leur stabilité financière. Ils essayent de faire feu de tout bois pour leur production électrique.
Les batteries sont physiquement limitées, je doute qu'on puisse faire mieux que 2à 3 MJ/kg, contre 10 pour le gasoil (énergie mécanique). De plus le problème de la production électrique reste entier.
Quid des supercondensateurs ? Là je botte en touche, et j'aimerais bien avoir un ordre de grandeur de la densité maximale théorique. Reste le problème de la production électrique.
L'hydrogène est une arnaque, dont la promesse marketing d'un peu de vapeur d'eau à la sortie de la pile à combustible masque des problèmes de densité d'énergie et de coût de transport plus aigus que le méthane avec en plus des questions de synthèse de ce gaz.
La liquéfaction du charbon pose des problèmes de rendement et les investissements à réaliser sont plus conséquents qu'une raffinerie. Cela reste une alternative crédible.
La fusion froide : à ce jour aucune expérience n'a été reproductible, laissant quelques doutes quand à l'existence du phénomène. Depuis 20 ans on a bien du tester tout les métaux, tous les solvants et toute les tensions non ? Oui je sais, un vaste complot des pétroliers !
l'air comprimé ? Pfffffff du vent
Mais que font les industriels ?
Les industriels ont des analystes qu'on peut supposer compétents (plus que l'auteur de cet article) et il peut être intéressant de suivre leur décisions d'investissement ou de désinvestissement long terme, qui ne sont calqués que sur la maximisation du profit pour leur actionnaires (c'est leur raison sociale, il n'y a pas à s'en formaliser). Pas de politique, pas de sentiment, pas de patriotisme ! Que des paris sur le long terme !
TOTAL ferme des raffineries en France, investit dans celles du Moyen-Orient : Total n'anticiperai-t-il pas une baisse de la consommation en France, une hausse au Moyen-Orient ?
Les gaziers se mettent à proposer des livraison de gaz liquéfié en camion thermos (-168°C) pour leurs gros clients non raccordés : est-ce là notre nouveau plein quotidien ?
http://professionnels.gasnaturalfenosa.fr/nos-offres-gnl-gnlv.
résumé de la première partie : la production de pétrole conventionnel commence à fléchir et le passage au gaz, l'alternative la plus séduisante, nécessitera déja une recomposition de nos sociétés, et il n'est même pas sûr que les investissements soient réalisables assez vite, ni qu'il y ait une volonté politique de le faire.
partie 2 à venir : la place éventuelle du pétrole de schiste.
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