Penser la critique de la raison pure d’Emmanuel Kant dans la guerre Israël-Hamas, depuis 2023
« Nous sommes ce que nous pensons. Avec nos pensées, nous
bâtissons notre monde. » Bouddha
« La raison humaine a cette destinée particulière, dans un genre de ses connaissances, d'être accablée de questions qu'elle ne peut écarter ; car elles lui sont proposées par la nature de la raison elle-même, mais elle ne peut non plus y répondre, car elles dépassent tout pouvoir de la raison humaine. Ce n'est pas sa faute si elle tombe dans cet embarras. Elle part de principes dont l'usage est inévitable dans le cours de l'expérience, et en même temps suffisamment garanti par elle. Avec leur aide, elle s'élève toujours plus haut (comme le comporte aussi bien sa nature) vers des conditions plus éloignées. Mais, s'apercevant que, de cette manière, son œuvre doit toujours rester inachevée, puisque les questions ne cessent jamais, elle se voit contrainte de se réfugier dans des principes qui dépassent tout usage possible d'expérience, et qui pourtant paraissent si peu suspects que la raison humaine commune elle-même se trouve en accord avec eux. Mais, par-là, elle se précipite dans l'obscurité et des contradictions, d'où elle peut certes conclure que cela doit tenir à des erreurs cachées quelque part, mais sans pouvoir les découvrir, parce que les principes dont elle se sert, comme ils vont au-delà des limites de toute expérience, ne connaissent plus désormais de pierre de touche prise à l'expérience. Le champ de bataille de ces combats sans fin, voilà ce qu'on nomme Métaphysique. »
En quelques mots, Emmanuel Kant, en introduction de la Critique de la raison pure, donne une vision sur le sens de l’humain. Il montre que toute ambition pour l’humain de comprendre le monde a des limites. De par sa nature, la raison humaine, par la pensée, par l’esprit en nous, ne peut s’empêcher de se poser certaines questions sur l’origine du monde et sa nature profonde ; mais, de par sa nature même, notre esprit est incapable d’y répondre. Comment Kant est-il parvenu à cette conclusion ? Une conclusion, en fait naturelle et qui semble ébranler dans ses fondements l’espoir de toute connaissance sur le sens de l’humain.
Comme tous les grands penseurs de l’époque, Emmanuel Kant a été un révolutionnaire de la pensée. Il a donné matière à la pensée à se penser elle-même, de répondre sur l’essence des choses, où Kant devient observateur de son propre soi ; il cherche à comprendre, par la pensée, notre faculté de connaître ; il se rend compte cependant que la pensée lui assigne à des limites.
Il ne peut penser plus qu’il ne pense ; il sait donc les limites de penser, mais il continue à s’interroger sur sa capacité de penser, et sur la capacité de tout humain de penser. Aussi se pose-t-il cette question : « Avant de vouloir connaître le monde, il faut s’interroger sur notre capacité à le connaître. La première question de la philosophie est donc, selon Kant : « Que puis-je connaître ? »
Et cette approche, il l’applique à la science. Pourquoi la science progresse-t-elle ?, se questionne-t-il. Alors que la philosophie reste abstraite. Comment se fait-il que l’on parvienne en science à des lois unanimes et applicables au champ d’action de la vie humaine alors que la philosophie reste un « champ de réflexion abstrait, dogmatique », où toute apparence d’ordre est ouverte à toutes opinions humaines possibles.
Kant, s’interrogeant sur les modes de connaissance de la science et de la philosophie qu’il nomme « métaphysique », arrive à cette conclusion : la science a pour étude le domaine matériel, le domaine concret, la matière et tout ce qui a trait à la matière alors que la métaphysique ne porte que sur l’essence humaine qui ne peut être définie que par une approche « métaphysique ».
La pensée par laquelle l’humain pense et entrevoit cette représentation de lui et du monde qui l’entoure lui vient de l’Essence suprême, et donc Dieu qu’il ne connaît pas et qu’il ne peut connaître. L’être humain ne se connaît que par sa pensée dont il ne connaît son essence puisqu’elle est d’essence divine.
Kant est conscient par sa pensée qu’il existe dans la science et dans toute connaissance une part qui échappe à l’expérience, ce que Kant l’appelle les jugements « a priori ». Il dit quand je tiens un objet dans ma main, je regarde ce qu’il est, j’observe son poids, sa forme, ses couleurs qui sont des connaissances empiriques. Cependant, il dit qu’il reconnaît que ce n’est pas lui qui observe cet objet mais ses sens par lesquels ces connaissances sur l’objet se constituent en lui. Et donc il a prise sur lui-même et sur le monde extérieur.
Tout humain bien qu’il soit lui qui raisonne, par sa raison donne sens à l’objet. Kant s’est inspiré de la pensée empirique du philosophe anglais David Hume, pour qui toute connaissance humaine dérive, toute entière, de l’expérience sensible ; cependant, il n’accepte pas cette lecture qui fait de l’expérience le fondement de la connaissance. Dans le Traité sur la nature humaine et ses Essais sur l’entendement humain de David Hume, ce fragment de pensée :
« Il est évident que toutes les sciences, d'une façon plus ou moins importante, ont une relation à la nature humaine, et que, si loin que l'une d'entre elles peut sembler s'en écarter, elle y revient toujours d'une façon ou d'une autre. Même les mathématiques, même la philosophie naturelle et la religion naturelle dépendent dans une certaine mesure de la science de l'HOMME, car elles tombent sous la connaissance des hommes et sont jugées par leurs pouvoirs et leurs facultés. Il est impossible de dire quels changements et quelles améliorations nous pourrions faire dans ces sciences si nous connaissions entièrement l'étendue et la force de l'entendement humain. »
David Hume, Emmanuel Kant cherchent à comprendre leur nature humaine ; ils ne peuvent le faire que par leurs pensées et ce que leurs pensées leur inspiraient ; toutes les sciences ont une relation à la nature de la pensée humaine ; l’être humain peut-il s’écarter de sa propre nature par laquelle il est ? Il ne le peut pas ; il est ce qu’il est ; tout s’opère en lui par la pensée.
Emmanuel Kant définit que toute connaissance relève du jugement a priori, qui dépend de notre esprit et non de l’expérience. Sur la Critique de la raison pure, il affirme que ce sont jugements a priori qui le mène aux idées « transcendantales », dans le sens que ces idées vont au-delà de l’expérience. Tout ce que je perçois, je le perçois par mes sens, ma raison, ma pensée, mon esprit, et non de l’expérience, qui elle ne fait que confirmer ou infirmer ce que mes idées « transcendantales » me font découvrir.
Si nous n’avons pas accès aux choses en soi qu’il appelle « noumènes » et qui relèvent de l’essence qui nous transcende, nous avons en revanche la connaissance de soi, le monde extérieur et les phénomènes qui nous sont dévoilés ce qu’ils sont à notre échelle humaine. Par exemple, l’espace, le temps ne sont que ce qu’ils nous apparaissent par l’expérience, vérifiée et confirmée par notre pensée, mais nous ne savons pas leur essence. Par exemple, si le temps est infini et l’espace, où s’arrête-t-il ?
Si la connaissance humaine est basée en grande partie sur l’expérience que nous faisons dans l’existence, elle ne dévoile pas le monde tel qu’il est, mais tel que nos pensées nous le font voir. Et si la science se distingue de la métaphysique, c’est en raison du fait qu’elle étudie des phénomènes matériels au moyen d’expériences, mais qui relèvent toujours de jugement a priori dans le sens que l’humain ne les connaît pas directement ; il les connaît par la pensée et les idées transcendantes qui viennent à la pensée et lui permettent de connaître des lois de la nature.
Et par les jugements a priori, Emmanuel Kant assigne des limites à l’entendement humain, dans le sens que l’être humain pensant seulement sa pensée ne peut penser plus que ce que sa pensée ne lui apporte. L’être humain est dépendant en tout de sa pensée ; une pensée qui relève de la raison pure. Kant établit une ligne de partage entre ce qui est accessible à la raison humaine, et ce qui la dépasse, permettant ainsi de distinguer ce qui relève de la science d'une part, et ce qui relève de la spéculation métaphysique. Dans la réalité transcendantale, tant la science que la spéculation métaphysique relèvent de l’esprit humain, et donc de la pensée de l’être.
Que la science découvre des lois naturelles, tout processus cognitif ne s’opère que par l’en soi qui est en l’humain, et donc de l’esprit et de la pensée en l’humain. Par exemple, la croyance qui est transcendantale ne peut être absente à la raison humaine, puisqu’elle relève toujours de l’idée transcendantale ; on ne croit en Dieu que par la pensée comme on ne croit pas en Dieu que par la pensée. Donc tout relève de l’entendement humain.
Et l’homme quoi qu’il fasse, quoiqu’il croit ou ne croit pas, tout s’opère par la pensée. Qu’il soit croyant, athée, déiste ou autre, sa pensée relève de la raison pure. Et c’est ce qu’a cherché Emmanuel Kant à établir dans la Critique de la raison pure. Comme il l’écrit : « La raison humaine a cette destinée particulière, dans un genre de ses connaissances, d'être accablée de questions qu'elle ne peut écarter ; car elles lui sont proposées par la nature de la raison elle-même, mais elle ne peut non plus y répondre, car elles dépassent tout pouvoir de la raison humaine. »
Et si nous appliquons ce concept de la « raison pure » d’Emmanuel Kant sur le sens de la marche de l’histoire. Dans le sens de voir ce que projette la raison pure dans l’œuvre dans les humains. Prenons la guerre Israël-Hamas, à Gaza, depuis 2023. Qu’en est-il des protagonistes dans cette guerre ? Le groupe de combat qui a attaqué Israël, le 7 octobre 2023, a agi avec une motivation déterminée ; il voulait lutter contre une occupation qui maintient le peuple de plus de 2 millions d’êtres dans un système apartheid, une prison à ciel ouvert, depuis le blocus en 2007. Qu’Israël ait mis en place un régime institutionnalisé de domination raciale et de répression du peuple palestinien pose cette question : « Combien de temps cette situation injuste, imméritée va durer ? »
Certes, le Hamas a attaqué Israël, mais l’attaque est motivée. Tout peuple soumis par la force cherche à se libérer, et pour se libérer il doit opposer la force à la force qui le maintient en soumission. Et toute pensée de rébellion relève de la « raison pure » que les hommes ne connaissent pas mais qui dictent la marche de l’histoire0
Que les combattants aient tués 1200 israéliens dont en majorité des civils et qu’ils aient pris plus de 220 otages relèvent d’une marche du temps déjà instituée, cherchant à sortir de cette situation oppressante qu’est l’occupation des Territoires palestiniens par Israël.
Les Israéliens ont riposté à cette attaque comme ils l’ont voulu : briser toute résistance, écraser cette rébellion et maintenir toujours les Territoires palestiniens sous une poigne de fer. Pour les Israéliens, la Palestine est la terre des royaumes bibliques d'Israël et de Juda ; et donc c’est leur terre ; les Palestiniens sont en plus, donc ils doivent administrés par la force. Et l’État d’Israël a le soutien des États-Unis qui y voient en Israël un poste avancé pour la mainmise américaine sur les régions du Proche et du Moyen-Orient où se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde.
En réalité, tous les problèmes de cette région relèvent de la raison pure. Pourquoi ? Tous les protagonistes pensent leurs actions, mais leurs actions sont régies par leurs pensées leur signifiant qu’ils doivent agir ainsi.
Si la raison pure qui régit les êtres humains avait voulu la paix, elle aurait simplement fait penser les Israéliens, les Américains, les Palestiniens à des idées de paix ; dès lors, la situation litigeuse de la Palestine se serait réglée dans la paix. Mais la raison pure agit avec ce qu’ont les humains dans leur en soi, ce que Kant appelle le « noumène », en fait plus simplement l’essence humaine dont l’homme ne sait sa provenance ni son principe. Sinon pourquoi les heurts devons-nous poser à la raison pure ? Sans les conflits et les guerres et leur résolution, il ne pourrait y avoir de sens à la marche de l’humanité. Une paix éternelle entre les humains rendrait sans sens l’existence de l’humanité. Et c’est ce qui explique les compétitions, les crises et les guerres inscrites dans la raison pure, qui sont à l’œuvre dans le progrès de la marche de l’humanité dans l’histoire.
Que les Israéliens aient détruit Gaza et tué des dizaines de milliers de Palestiniens dont essentiellement des civils, la guerre est au dixième mois, il reste qu’Israël n’a pas atteint ses buts. De même, la crise d’otages reste pendante, sans solution. On peut se poser la question pourquoi les combattants ont pris des otages israéliens. Là aussi, c’est la raison pure qui a « amené » ces combattants à prendre des otages. Et la situation ne s’arrête pas seulement aux otages, d’autres protagonistes sont venus soutenir le Hamas dans son combat contre Israël. Ce sont le Hezbollah, les Yéménites, l’Iran, les combattants en Irak et en Syrie ; ils ont tous prêté main forte au Hamas. On peut dire que toute cette architecture de guerre est « ordonnée » par la raison pure.
Cela devait se passer ainsi ; un équilibre devait s’établir entre Israël et ses alliés contre ses ennemis, sinon la guerre aurait été courte et le Hamas aurait perdu la guerre et Israël de nouveau régner en absolu sur le peuple palestinien.
La raison pure a créé donc un juste équilibre. Les négociations pour la libération des derniers otages et la fin de la guerre patinent, il y a peu d’espoir à moins que la raison pure ordonnerait un « accord ». D’autre part, un risque de guerre régionale plane surtout avec le Hezbollah qui pilonne presque quotidiennement depuis plus de 9 mois le Nord d’Israël ; l’armée israélienne menace d’offensive le Hezbollah mais reste prudente à la lumière de ce qui s’est passé, lors de la guerre, en 2006 ; la guerre avec le Hezbollah qui pourrait être apocalyptique pour Israël remettrait en cause toute la puissance de son armée ; les États-Unis vivraient un autre désastre qui rappellerait la guerre du Vietnam et d’Afghanistan.
L’équilibre dans cette guerre ne revient pas aux humains mais aux pensées humaines qui l’ont construites. A voir le Hezbollah, un petit parti de Dieu, créé au milieu des années 1980, devenu une véritable armée, dotée d'un des arsenaux de missiles les plus puissants du monde.
Et ce qui s'est passé pour le Hezbollah et du Hamas qui avaient pour but de s'opposer à l'occupation de leurs territoires par Israël ; c'est par leurs convictions, leurs pensées qu'ils ont lutté pendant plus de 50 ans contre les spoliations perpétrées par Israël. Des milliers de Palestiniens ont été expulsés de force de leurs terres, et le sont aujourd'hui et le seront demain s’ils ne trouvent pas solution à cette colonisation.
Mais ce que les humains ne doivent pas oublier, c'est qu'il y a une marche inexorable des peuples dans l'histoire, régie par la raison pure qui veille à corriger les maux anormaux, inhumains qui touchent les peuples commis par d’autres peuples.
Aujourd’hui le Hamas cherche la paix et même l’armée israélienne le désire compte tenu qu’une guerre régionale risque d’être fatale pour Israël ; un seul personnage bloque la situation, c’est le Premier ministre Israélien et ses partisans de l’extrême-droite. Mais c’est toujours la raison pure qui fait que cela soit ainsi ; ce n’est pas le Premier ministre israélien et ses partisans qui sont le frein au règlement de la situation de guerre à Gaza, même si, dans les faits, ils le sont, c’est surtout comment la guerre à Gaza finira qui est le plus important.
Et si ceux qui commandent au destinée d’Israël se mettent au travers de la solution, c’est pour que cette solution à venir soit à la hauteur des pertes en morts, blessés et destructions qu’ont subi ceux qui luttent pour sortir de l’occupation, de la soumission, de ce que les forces israéliennes ne cessent de persécuter par tous les moyens possibles, meurtres, guerre, emprisonnement, tortures, martyrisant ce peuple. Ce ne sont pas les humains qui ordonnent la marche de l’histoire, c’est la raison pure qui régit la marche de l’humanité.
Donc, par cette guerre, il faut s’attendre à de grands bouleversements à venir ; et les êtres humains quels qu’ils soient, oppressés et oppresseurs, relèvent de cette raison pure qui est à l’origine de l’essence humaine et qui régit la marche du monde. La création de l’État palestinien est désormais en marche ; Israël et les États-Unis comme l’Occident tout entier ne peuvent rien à ce qui est déjà prescrit par la raison pure qui ouvrira le début d’une nouvelle ère pour cette région et pour l’humanité entière.
Mais la marche du monde sera toujours tumultueuse mais s’inscrivant toujours dans le progrès dont les humains ne savent ce qu’il sera et ni où il les mènera. Et c’est ce qui caractérise la nature humaine de savoir que ce qu’elle doit savoir.
Medjdoub Hamed
Chercheur
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