Pete Seeger, une vie à remuer les montagnes
Sans lui, à l'évidence, des tas d'auteurs de chansons à textes n'auraient pas eu la même carrière. Un Dylan ou un Springsteen, par exemple, ce dernier n'ayant pas hésité, ces dernières années à lui rendre un hommage appuyé (superbe version ici dans les "Seeger Sessions"). On peut être surpris d'apprendre la disparition de Pete Seeger en effet : il avait 94 ans, et n'avait eu de cesse d'arpenter les Etats-Unis (et l'Europe il y a quelques années) pour délivrer ses chansons dont certaines demeureront à jamais. "Il y a dix jours encore, il coupait encore son bois" a annoncé sobrement sa famille. De là à dire qu'il est mort debout, il n'y a pas loin, tant toute sa vie se résume à cette attitude d'homme debout, toujours prêt à dénoncer les abus, défendre les plus démunis ou combattre le racisme : en ce sens, sa disparition est à mettre en parallèle avec Mandela, tant leur philosophie de la vie semble similaire : longtemps pourchassé par les maccarthystes, Seeger n'a jamais eu de mot particulier à leur égard. Il semblait en effet être devenu immortel, comme l'est désormais le répertoire qu'il nous laisse derrière lui. Des chansons d'espoir et de solidarité, avant tout, à une époque où ces termes paraissent (héals) désués, mais qui font la grandeur de l'être humain. Retour sur le véritable anti-troubadour du siècle (si l'on imagine un troubadour ne chantant que la gloire du pouvoir), et son incroyable énergie à transmettre un discours de paix et de pusillanimité dont beaucoup de dirigeants actuels (ou d'individus) devraient s'inspirer. S'il y a bien un hymne à la démocratie, c'est à coup sûr et indubitablement "We Shall Overcome", dont il est l'auteur.
Au départ, c'est un quatuor appelé les Weavers, surgit de Greenwich Village, ce creuset intello où on croisera le mentor méconnu de Dylan, à savoir Dave Van Ronk, et son impressionnant "coffre" lorsqu'il chantait. Van Ronk, "l'homme qui ne savait pas mentir en chantant" comme Pete Seeger et qui aurait inspiré le personnage de "Inside Llewyn Davis" des frères Cohen (une vision que je suis loin de partager, même si j'adore ce que font les deux cinéastes). Dès 1958, l'indépendant de nature Seeger quitte le groupe pour faire carrière seul. Ronnie Gilbert, Lee Hays, Fred Hellerman continueront six ans encore sans lui avant de se séparer. Auparavant, ils avaient montré leur engagement politique : les quatre avaient été membres de l'American Peace Commitee (devenu ensuite l'American People's Committee), un groupe opposé à l'entrée en guerre des USA en 1941. Une opposition qui mêlait alors extrême gauche et extrême droite, rappelons-le (avec l'influence néfaste du pro-nazi Lindberg, le vainqueur de l'Atlantique en avion, rappelons-le), les deux groupes manifestant bien à part dans les rues. Seeger avait mal alors mal pris les directives du manager du groupe, Pete Cameron, qui lui avait recommandé de mettre la pédale douce sur ses chansons les plus engagées politiquement s'ils voulait réussir à percer, ses camarades et lui. Tout le problème de l'engagement en chansons, en réalité ! Car la carrière ; même solo de Pete Seeger n'a pas été une sinécure, loin s'en faut. Voilà un homme qui s'est battu toute sa vie pour ses idées, sans jamais les renier. Il serait devenu multimillionnaire avec ses ventes de disques s'il l'avait fait : sa probité est à saluer. Il est est resté sans fortune particulière, humble toute sa vie, refusant aussi les honneurs tardifs.
Car aux Etats-Unis, déjà, au sortir de la guerre, les prémisses du Macarthysme étaient déjà là, avec Pete Seeger et Lee Hays qui se voyaient accusés d'être des agents communistes. Interrogé par l'infame House Committee on Un-American Activities, le 26 juillet 1956,
Pete le pur et dur avait tout simplement refusé de répondre à la question de savoir s'il l'était... ce qui l'avait automatiquement banni du show-biz américain ! Il ne sera que partiellement blanchi de l'accusation qu'en 1961, en ayant eu six ans d'affilée aux trousses un ou plusieurs agents du FBI surveillant chacun de ses déplacements ou chacune de ses rencontres : c'était cela aussi la fameuse liberté américaine ! On ira jusqu'à effacer (chez Decca) son nom des catalogues de disques !!! C'est Vanguard qui les ressortira à la fin des années 60 seulement. En 1958, la justesse de vues sur la vie courante qu'avait Pete Seeger prendra une tournure inattendue : poussé par sa firme de disques pour participer à une publicité en faveur du tabac, il refusera, invoquant "ses dangers", et claquera la porte de sa firme de disques et du groupe ! Et atterrira chez CBS, où un homme trop méconnu encore, John Hammond, viendra le signer avec empressement : c'était John Hammond, le père du Bluesman actuel, qui avait déjà à son palmarès Benny Goodman, Count Basie, Billie Holiday, Robert Johnson (et oui !), Bessie Smith, et plus tard Bob Dylan, Aretha Franklin, Mike Bllomfield, Stevie Ray Vaughan et ... même Bruce Springsteen ; comme on a pu le raconter dans le magazine Jazz-Hot de septembre 1987.
Pete Seeger, on l'avait oublié était aussi un musicologue passionné. Effaré devant la vitesse à laquelle son propre monde changeait, ce qu'il a très bien décrit en chansons, il s'était très vite acoquiné avec Alan Lomax qui venait de s'atteler à une tâche étonnante, celle de répertorier les précieux enregsitrements faits pour la plupart sur des cylindres des premiers conteurs américains, bluesmen compris, entreposés à la Bibliothèque du Congrès par des preneurs de sons curieux. C'est ainsi qu'il redécouvrira par exemple Robert Johnson, au son miraculeusement préservé... enregistré par les envoyés de John Hammond, lors d'une séance unique de gravure directe dans un hôtel. Puisant dans un riche catalogue associant blues et gospel, Lomax infuera sur le folk de Pete Seeger en lui faisant découvrir ses perles cachées. Cette accélération de l'histoire et ses ravages, on l'aura en musique dans la merveilleuse chanson "Where the flower's gone",
qui, lorsqu'elle est chantée en chœur comme ici avec Seeger, devient un hymne (pacifiste) magnifique... cela deviendra aussi la chanson de la réconciliation d'après guerre aussi : en 1962, 1962 à un concert de l' UNICEF en Allemagne, l'actrice et chanteuse allemande d'origine, Marlene Dietrich, en donnera une bien étonnante version...en français, intitulé tout naturellement,'"Qui peut dire ou vont les fleurs ?" ... En France, on connaîtra surtout la version anglo-saxonne via l'incontournable disciple de Joan Baez... devenue un grand classique, chanté par une très grande dame (ici en 2006, interprété à 65 ans, l'extraordinaire voix intacte !).
En France, outre Joan Baez, c'est plutôt par le trio Peter Paul and Mary que l'on avait pu découvrir les chansons de Pete Seeger, dont les albums étaient restés confidentiels de ce côté-ci de l'Atlantique. Pete Seeger trop radical banni des radios, c'est en effet ce trio bien plus "propret" (mais il en faut parfois pour ne pas trop choquer) qui allait banaliser discètement ses textes porteurs d'espoir, comme j'ai pu l'écrire ici au décès de la chanteuse : "Mais Peter, Paul, and Mary c’était avant tout des gens ayant une conscience politique, persuadés que la chanson pouvait véhiculer et amener des idées. De tolérance, essentiellement chez eux, dans un pays qui s’apprêtait à tirer sur ses propres enfants. Si le pouvoir de L.B. Johnson avait pu s’apercevoir plus tôt des idées insufflées par des gens comme Peter, Paul and Mary, il ne se serait pas autant fourvoyé dans les rizières d’Indochine. "Don’t think twice !" Au départ admirés par tous car étant résolument a-politiques, leur prises de positions idéologiques se sont durcies au même rythme que le pouvoir devenait de plus en plus brutal, c’est une évidence". C'est en 1962 que le trio avait exhumé une chanson de 1949... signée Pete Seeger, pour les Weavers, et intitulée "If i had a hammer". Elle deviendra un hit mondial, affirmant un "folk revival" qui allait envahir lui aussi la planète. Une particularité des chansons de Pete Seeger à vrai dire : des sortes de contines anodines d'apparence.. ; mais à double sens (on comprend pourquoi les maccarthystes le détestaient, car il se moquait ainsi bien d'eux !). En France, on la connaitra via l'intermédiaire de Trini Lopez avant qu'elle ne soit adaptée (à noter le sticker "spécial teenagers" sur le 45 tours !). Pete Seeger héritant cependant du "Grand prix du disque", en France.
La chanson fort subtile, l'air de rien, était arrivée trop tôt nous dit About.com : "lorsque Seeger et Hays ont écrit la chanson, c'était un peu un hymne de soutien au mouvement progressiste émergent, qui été fortement axé sur les droits du travail, entre autres. Les paroles faisaient allusion au mouvement du travail, en parlant des symboles du lieu de travail et en les transformant en appels à l'action vers l'égalité. En effet, à la fois Hays et Seeger ont été une partie d'un mouvement de chansons collectives appelé "les chanteurs Almanach" . Les "Almanachs", s'étaient dissous au début de la Seconde Guerre mondiale, quand beaucoup d'entre eux (y compris Seeger ) avaient rejoint l'effort de guerre. Mais, quand la guerre fut finie, Seeger et Hays - avec Ronnie Gilbert et Fred Hellerman - s'étaient remis ensemble pour former une autre troupe de musique folklorique, visant cette fois à atteindre le succès commercial avec la forme en plus. Bien que les Weavers visaient des publics traditionnels, leurs intérêts socio-politiques étaient encore très forts, de sorte que le développement de " If I Had a Hammer" était une tentative merveilleuse pour enjamber la barrière entre leur fond radical et la nature acceptable de la musique populaire. Les deux premiers versets parlent de transformer l'usage d'un marteau et d'une cloche de travail. Le troisième verset parle de « faire une chanson, " qui est probablement une référence à l'histoire des chansons syndicales, ainsi que d'un symbole de personnes utilisant collectivement leurs voix pour parler en leur nom propre. Le dernier verset rappelle l'auditeur qu'ils ont déjà chez eux un marteau, une cloche et une chanson , et que c'est à eux d'utiliser ces éléments". Une révolution douce, en quelque sorte, consistant à bouger en se prenant d'abord soi-même en main pour agir sur son destin et rester à ne rien faire !
Il n'était pas le seul contestataire à l'époque ; Tom Paxton, né bien après lui (en 1937) aussi y allait de sa critique, avec par exemple, avec son "What did you learn in school" qui est une chanson hautement révolutionnaire, en remettant en cause la propagande déversée par flots dans les années 50 et 60 aux Etats-Unis. Le texte est en effet absolument renversant.... de modernité ! Comme l'est l'Orwellien "Little Boxes" de Seeger, lui aussi s'en prenant aux enseignants et à leur étrange faculté à reproduire les mêmes générations de moutons ou les gens à dupliquer des modèles....Les enseignants comme relais du pouvoir, pensez-donc !!! En France, ce sera Graeme Allwright, aujourd'hui grand oublié, qui fera connaître ses contenus à toute une génération. Le plus amusant étant de savoir qui était Paxton au départ : "Paxton était, à l'époque, stationné comme soldat de réserve dans une base de l'US Army. « Il était à l'école de dactylos de l'armée à Fort Dix, dans le New Jersey, et passait ses week-ends à se balader dans Greenwich Village à écouter de la musique et apprendre », raconte dans ses mémoires la chanteuse Judy Collins", nous rappelle Slate. Ils étaient plusieurs en effet à vouloir éveiller les consciences américaines (et mondiales !) : le meilleur ami de Pete s'appelant Woodie (Guthrie), qui avait lui de façon radicale écrit sur sa guitare qu'elle "tuait les fascistes". En 1964, en tournée en Angleterre, Pete avait introduit fort pédagogiquement les chansons de son ami malade devant un parterre de jeunes auditeurs. En 2006, il revenait sur le fait que la chanson "This land is your land" autre hymne écrit par Guthrie et largement reprise par Seeger, n'avait pas été souvent diffusée sur les ondes, voire pas du tout.-, avant d'être redécouverte à la fin des années soixante, chantée lors des grands rassemblements 'hippies". La vie musicale est ainsi : les grands ignorés d'une période deviennent parfois des stars à d'autres époques. En France, si l'on avait dit un jour à Georges Brassens que son nom figurerait un jour au frontons d'écoles, alors que des ligues catholiques le souhaitaient en prison pour "obscénité" (à cause de "Gare au gorille" ).... Pete Seeger, certains apprendront son nom avec les Byrds... et leur magnifique version de "Turn ! Turn ! Turn !"... l'hymne de toute une génération revendiquand un peu plus d'insouciance que leurs aînés !!!
Un autre de ses protégés est aussi à remarquer au début des années 60 : c'est bien entendu le jeune et remuant Bob Dylan, qui au début se place sous les auspices de son mentor, en chantant en duo avec lui lors de festivals, comme ici sur ce cliché. En fait, c'est l'attitude plutôt intransigeante d'Alan Lomax, autoproclamé conservateur en chef de l'héritage "folk" qui va provoquer le clash entre le jeune chanteur qui ne tarit pas d'éloges pourtant sur Seeger. Lomax ayant juste auparavant banni de ses listes (et d'un festival) le Paul Butterfield Blues Band, groupe de blues électrifié, le cabochard Dylan ira le provoquer au plus grand festival de folk de Newport, dont Seeger est cofondateur, en dégainant lui aussi sa guitare (une Fender Strat devenue célèbre) : coincé entre les prestations des oubliés depuis "Cousin Emmy" et le "Sea Island Group", sa géniale prestation "électrique", accompagné des membres du Paul Butterfield dont le merveileux Michael Bloomfield, fera tâche dans le milieu déjà fermé du folk, verrouillé par la clique de Lomax.
La brouille initiée par Lomax, cet intellectuel qui s'était mêlé de faire de la musique sans y parvenir vraiment, se propagera vite entre Dylan et Seeger, devenant un clash mémorable : on tentera de bousiller le set de Dylan en lui cachant son harmonica (on racontera que Seeger, présent backstage, voulait se trouver une hache pour couper l'électricité) ; vexé, Dylan reviendra pour un rappel en jouant plus fort encore, devant un public enthousiaste (et un Lomax vert de rage) : il n'y mettra plus les pieds pendant 37 ans au Festival de Newport !!! Pete Seeger, présent sur scène ce jour-là avait certes râlé, mais en fait il l'expliquera plus tard (ici) il souhaitait selon lui que le son soit simplement meileur, rien d'autre ; il trouvait qu'il y avait trop de distorsion et qu'on ne pouvait pas comprendre clairement les paroles du chanteur (et oui, c'était aussi une époque où les textes de chansons se lisaient comme des poèmes).
La provocation de Dylan étant reprise après et montée en épingle par les journalistes avides de sensations ou de provoquer une guerre des genres musicaux qui n'avait aucune raison d'être. Car Pete Seeger n'avait rien contre le talent de Bob Dylan, loin s'en faut ! Dans l'affaire, c'est bien hélas le sectarisme de chapelle musicale de Lomax (ici au micro avec Seeger) qui avait fait le plus grand tort ! On retrouvera des années après un autre document prouvant que la complicité la même année existait toujours chez les deux hommes, avec une photo (celle du début de ce texte) d'un Pete Seeger chantant "If I Had a Hammer" à une réunion d'étudiants à Greenwood, le "Student Nonviolent Coordinating Committee Rally", à laquelle participait aussi Bob Dylan, au même endroit, dans le même décor.
"you're never too yong to change the world..."
We shall overcome
We shall overcome
We shall overcome someday
O deep in my heart I do believe
We shall overcome someday
We'll walk hand in hand
We'll walk hand in hand
We'll walk hand in hand someday
O deep in my heart I do believe
We'll walk hand in hand someday
We are not afraid
We are not afraid
We are not afraid someday
O deep in my heart I do believe
We are not afraid someday
We shall live in peace
We shall live in peace
We shall live in peace someday
O deep in my heart I do believe
We shall live in peace someday
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