Pétitions en ligne : un outil devenu incontournable, mais est-il vraiment fiable ?
Effet de mode, focus médiatique ou vraies revendications, les pétitions en ligne fleurissent de toutes parts ces derniers temps. De quoi se poser la question de leur fiabilité et de leur légitimité.
Signe de l’évolution numérique de notre société, la pétition en ligne est devenue un moyen quasiment incontournable pour défendre une cause, à en croire le succès des dernières actions de ce genre. Si l’une des plus récentes, réclamant la mise en œuvre d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), n’a pas réellement décollé, les trois pétitions les plus signées de l’histoire en France ont toutes été diffusées sur internet ces trois dernières années. Début 2016, la première grande percée de ce genre nouveau s’attaquait au projet de loi travail porté par Myriam El-Khomry. Lancée par Caroline De Haas, elle avait récolté un nombre record de près d’1,4 million de signatures. En 2018, une autre pétition initiée par Priscillia Ludosky, auto-entrepreneuse en Île-de-France, a également été massivement signée grâce à l’effet catalyseur des réseaux sociaux. Plaidant pour une baisse des prix du carburant à la pompe, elle a atteint 1,2 million de signatures mais surtout servi d’élément déclencheur du mouvement des « gilets jaunes ». Les manifestations sans précédent qui se sont ensuivies ont forcé le gouvernement à faire marche arrière sur plusieurs mesures et à lancer un grand débat national inédit.
Grâce au potentiel infini de son impact viral, ce mode de protestation 2.0 en a appelé beaucoup d’autres, comme ce cri d’une retraitée pour l’indexation les retraites sur le niveau d’inflation, ou la désormais fameuse Affaire du siècle, qui a établi début janvier un nouveau record avec plus de 2 millions de signatures. Deux jours seulement après son lancement par quatre ONG, cette pétition sommant l’État français de réagir suite aux carences constatées en matière de changement climatique avait déjà dépassé le million de signataires. Si l’exécutif dispose jusqu’au 19 février pour répondre officiellement et éviter le dépôt d’un recours au tribunal, François de Rugy s’est déjà senti obligé de répondre par média interposé moins d’une semaine après. Le ministre de la Transition écologique et solidaire a déclaré être « agréablement surpris » par l’initiative et promis un retour « point par point » aux questions soulevées, précisant toutefois que « ce n’[était] pas dans un tribunal qu’on [allait] faire baisser les émissions de gaz à effet de serre ».
Problèmes d’authenticité
L’impact fracassant de ces pétitions en ligne pose en effet plusieurs questions sur la légitimité de leurs revendications et la fiabilité de leur fonctionnement. Pour Romain Badouard, maître de conférence en sciences de l’information à l’université de Paris 2, elles permettent de mesurer le poids d’un collectif mobilisé pour une cause précise. « Sur les réseaux sociaux, il est parfois difficile de quantifier les mouvements d’opinion, explique-t-il sur LCI. Ces pétitions le permettent, en agrégeant des prises de position individuelles. » Selon Sarah Durieux, directrice de la plateforme de pétitions Change.org France, elles apportent « une vision plus précise de l’opinion que lors des manifestations, qui attirent moins car elles paraissent trop politisées ». Les pétitions en ligne peuvent également attirer l’attention sur des causes méconnues, à l’image de celles visant à obtenir la grâce de Jacqueline Sauvage par François Hollande, aujourd’hui chose faite. D’autres, comme celle contre la réduction de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes départementales, n’ont pas connu le même succès. De là à conclure que seules les pétitions pour des causes importantes permettent de changer les choses, il n’y a qu’un pas… Pourtant, leur fiabilité suscite de nombreux doutes soulevés par la facilité de signature à partir d’un simple clic sur internet. Comment s’assurer qu’une pétition a réellement obtenu le nombre d’adhésions uniques et volontaires affiché ?
On peut en effet s’interroger sur sa valeur si chaque signature ne correspond pas forcément à une vraie personne. Les critiques pleuvent sur le fonctionnement des plateformes comme change.org, mesopinions.com ou encore advaaz.org, soupçonnées de ne pas vérifier la transparence des organisateurs et l’authenticité de chaque clic. En 2015, l’avocat pénaliste et blogueur Maître Eolas avait ainsi dénoncé le « compteur bidon des signatures » d’une pétition lancée par l’Institut pour la justice. Sous des apparences de mouvement spontané, certaines mobilisations sur internet seraient en fait autant de tentatives de manipulation de l’opinion publique pilotées par des activistes, plus connues sous le nom d’ « astroturfing ». De plus, il est possible de signer plusieurs fois une même pétition avec différentes identités, comme l’ont constaté des journalistes de France 2 en utilisant différents noms et adresses email pour soutenir le retrait de la loi travail. L’utilisation de robots représente également un danger réel pour la crédibilité d’un mouvement pétitionnaire. Si le recours aux principales plateformes reconnues permet de garantir un certain niveau de fiabilité, les organisateurs de l’Affaire du siècle ont préféré utiliser leur propre serveur pour diffuser leur pétition, au risque de perdre en crédibilité. Il serait ainsi possible de signer avec des adresses email non valides ou plusieurs fois par personne, comme l’indique un internaute en réponse à un tweet de Cécile Duflot. La directrice d’Oxfam, une des quatre ONG à l’origine de la pétition, a tenté de rassurer tout le monde en précisant qu’un « nettoyage des doublons, fausses adresses, IP multiples » était « régulièrement » effectué…par son équipe. Pas si rassurant que cela finalement, et peut-être même illégal à en croire les voix les plus critiques envers la pétition française la plus signée de l’histoire…
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