Plaidoyer pour un respect des handicaps invisibles
En théorie, toute personne malade devrait être traitée avec dignité et sans discrimination. Dans la pratique, et j'en fais l'expérience au quotidien, il y a une catégorie de troubles qui sont moins avouables que d'autres. Tabous, qu'on cache, dont on rit même ! Et qui mériteraient d'être considérés avec légèreté parce que "c'est la honte".
Ce n'est donc pas pour m'apitoyer que je souhaite témoigner ici (pour le reste je ne suis pas à plaindre, je mène une vie normale, merci), mais pour sensibiliser à la nécessité de casser la stigmatisation arbitraire mais bien ancrée : toute maladie est potentielement vécue comme une souffrance, et aucune ne mérite d'être méprisée.
J'ai 23 ans, et j'ai ce qu'on appelle une incontinence par impériosité. Concrètement, les signaux nerveux envoyés à ma vessie sont déréglés et je fais face à des envies urgentes et très fréquentes d'uriner, au point de ne pas toujours pouvoir atteindre les toilettes à temps. Actuellement, malgré de nombreux médicaments et séances de kiné, mon contrôle est toujours aussi faible.
Ce n'est pas grave, on n'en meurt pas ; mais ça reste une souffrance et une énorme source d'anxiété au quotidien. N'ayant pas le permis, chaque trajet en bus est un risque de ne pas pouvoir réprimer une urgence. Chaque file d'attente au supermarché est une situation de stress...de manière générale, chaque événement social est un peu obscurci par la crainte qu'on puisse remarquer la protection que je porte sous mes vêtements.
Comme pour tout trouble physique, je n'y peux rien, et je m'efforce de le gérer au mieux, de la même façon qu'un allergique chronique ou qu'une personne sujette aux migraines. Seulement, et c'est bien normal, personne ne regarde le migraineux et l'allergique avec condescendance ou dégoût !
Voici 3 épisodes vécus montrant qu'il y a bien une hiérarchie dans le respect des pathologies :
- Réflexion d'un flic lors d'un contrôle de mon sac à dos à la gare, en y trouvant une protection de rechange : "vous n'êtes pas un peu jeune pour porter des couches" ? (visiblement, il était très fier de son trait d'humour)
- Réflexion d'une amie après mon 2e aller-retour aux toilettes pendant une séance de ciné : "dis mamy, t'es incontinente ou quoi" ? (aucune malice là-dedans, juste une expression des clichés ambiants)
- Sûrement le pire événement sur le plan émotionnel : je venais de me ramasser à vélo dans un parc, à cause du verglas. Alors que j'étais par terre la jambe endolorie (en fait, cassée comme je l'apprendrais plus tard), les 2 ados venus me prêter main forte n'ont pas pu s'empêcher de me glisser un "pourquoi t'as une couche ?" (ayant atterri en vrac, l'objet de la honte avait été rendu visible au niveau de ma taille), le regard moqueur alors que je sanglotais de douleur.
Ces personnes n'étaient pas malintentionnées, elles n'ont fait que refléter une parole répandue ; seulement, pour les personnes concernées, ce n'est pas "un truc de mamy un peu drôle" de ne pas pouvoir contrôler sa vessie. C'est une remise en question quotidienne de son rapport au corps et de son potentiel de séduction. C'est une barrière sociale, et bien entendu avant tout un inconfort physique. Je ne souhaite à personne de devoir vivre cette panique qui prend le dessus quand, dans un endroit bondé, je me rends compte que la perte de contrôle est inévitable. Ce n'est pas "grave", mais ce n'est pas "drôle".
Je m'estime heureuse : j'ai un travail, une vie sociale épanouie et suis en bonne santé au-delà de ce souci. Mais je voudrais attirer l'attention sur le fait qu'aucun handicap, même mineur et/ou invisible, ne devrait être stigmatisé.
Je suis incontinente, mais toi tu es sûrement migraineux, sujet à des crampes musculaires, grippé, sujet au mal des transport ou que sais-je encore. Ca craint, c'est pénible, mais ces défaillances de nos corps ne sont pas plus ou moins respectables !
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