Plan Sarkozy : ni réforme ni rigueur mais délestage dans une France en panne
Un tout récent édito du Monde titre L’Italie s’ennuie, évoquant la fadeur de la campagne politique. Un facétieux renvoi au billet de Viansson-Ponté le 15 mars 1968, intitulé La France s’ennuie. Mais ne soyons pas dupe. En 2008, ce qu’il nous faudrait lire, c’est L’Italie en panne, la France aussi, le monde avec, surtout les States. Dans ce contexte, la pseudo-réforme de Sarkozy se dévoile aussi pour ce qu’elle est, un délestage... dans une France à la peine et à la panne ?

Annoncées à grandes pompes, les 100 et quelques mesures proposées par Sarkozy traduisent bel et bien une situation économique en berne et une sorte d’obsession sur les chiffres. Cela dit, sur le principe, il est difficile de contester la nécessité de réduire le déficit, surtout dans un contexte européen où d’autres pays font des efforts pour équilibrer leurs comptes. Mais, honnêtement, l’euro est tellement haut que des écarts de conduite dans les déficits sont tout à fait acceptables. C’est seulement au niveau national que le débat importe. Ce qui apparaît d’un côté est pris d’un autre. Déficit signifie dette, signifie créanciers, puis remboursement, et donc fiscalité, et donc baisse du pouvoir d’achat pour les uns alors que les créanciers voient leur pouvoir d’achat augmenter. Le principe de l’endettement, c’est que les uns vivent à crédit et les autres vivent du crédit.
Admettons qu’il faille faire des économies budgétaires. Sarkozy ne veut pas employer le mot rigueur, se payant d’une superbe rhétorique lui donnant un net avantage. Une politique de rigueur a-t-il dit, fait peser sur tous le poids des économies. En ce sens, il n’a pas tort. Ses mesures sont ciblées. Une politique de rigueur augmenterait par exemple la TVA. Là, tous les Français seraient touchés. Augmenter les prélèvements sociaux, CSG, CRDS, irait dans le même sens, tout comme une augmentation de l’impôt sur le revenu qui, là, ne toucherait que les ménages imposables, soit une grosse majorité. Or, nous ne sommes pas dans ces options et Sarkozy peut avancer qu’il n’y a pas de rigueur, mais de là à parler de réformes, c’est un peu gros, comme mot, pour éviter l’autre gros mot de « rigueur ». Le bon usage sémantique propose d’employer le terme de délestage pour signifier ces mesures relevant de la gestion plutôt que de la réforme. On peut aussi parler de coupes budgétaires. Ou d’amputation dans les budgets du logement, de l’aide à l’emploi. Le mot chien ne mord pas, mais le mot amputation fait mal, carrément trash, évoquant le sort des malheureux ayant rencontré une mine antipersonnelle. Le type qu’on verra dans la rue, dormir dans un carton : « Alors mon gars, quoi que tu fais ici, je te croyais au boulot ? - Ben, pas eu de chance, j’avais un emploi aidé et puis j’ai sauté sur une réforme antipersonnelle, ils m’ont dit que je coûtais trop cher à l’Etat ». Caricatural certes ce propos, mais signe des temps. D’ailleurs, ce délestage, il est visible dans le plan d’économie des 7 milliards de 2008, mais c’est dans la continuité des politiques précédentes où le délestage était moins visible, en négatif pour ainsi dire, du moins dans la fonction publique car le privé sait s’y prendre question délestage. C’est la loi du marché, dont la dureté est liée au déficit en lestage pour remettre les licenciés sur une voie dite d’intégration sociale. En 2009, le délestage se poursuivra.
Délestage, comme dans une montgolfière qui touche dangereusement le sol, l’équipage regarde dans la nacelle ce qui s’y trouve, ici une bouteille d’eau gazeuse, là une paire de groles de rechange, dans un recoin, un chiffon, sur mon voisin, une casquette et un blouson, sur l’autre, une gourmette, c’est décidé, je largue tous ces objets par-dessus pour reprendre un peu d’altitude. Et aussi ce type qui pionce dans la nacelle... Mais pas question de me séparer de mon coffre à bijoux. Moi, c’est l’Etat, j’en suis le chef, pas question de rogner sur mes équipes de conseillers, sur les signes de ma grandeur, la villa Médicis, la cave de l’Elysée, les haras nationaux, tout ça, c’est à moi, à la France, à l’Etat, on n’y touche pas !
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Un monde en panne ? Non, disons que les sociétés les plus avancées, la plupart émargeant à l’OCDE, donnent des signes de ralentissement économique. Parmi les plus touchées, les Etats-Unis pour les raisons que l’on sait, puis la zone euro. La France est mal en point. Attention cependant aux trompe-l’œil. Un pays dont l’économie faiblit peut être très riche, alors qu’un pays dont l’économie progresse peut être très pauvre. Le round mondial tend même à montrer que les plus fortes croissances se produisent dans des pays émergents, voire pauvres, alors que les ralentissements se dessinent là où la richesse est présente et l’argent coule à flot. La mondialisation et le marché expliquent parfaitement ces rattrapages de PIB. Mais quelle que soit la taille du PIB, l’écart entre les riches et les pauvres, au sein de chaque pays, s’accroît. Quant aux classes moyennes, elles sont prises dans deux tendances. Dans les pays émergents, Inde et Chine notamment, ou plus qu’émergents, Brésil par exemple, le niveau et l’extension des classes moyennes progressent, c’est ce qu’on appelle le lestage. La montgolfière de l’économie gonfle de toute sa croissance et les classes moyennes embarquent dans la nacelle du confort matériel. Dans les pays avancés, States, Europe, c’est l’inverse ; j’appelle ce processus le délestage.
Ces images parlent mieux que les discours. Guernica de Picasso, ça en jetait plein la vue et, si Picasso était parmi nous, sans doute aurait-il l’idée de peindre ce délestage, dessinant une nacelle en forme de France, une montgolfière en forme d’institutions et de banques, gonflée de billets de 500 euros, et puis des gens que l’on balance dans l’air par-dessus la nacelle, délestage peint en forme d’êtres humains dessinés telles ces virgules sautant du WTC en feu un certain 11-Septembre. Une telle allégorie peinte sur une fresque en plein ciel, ça en jetterait, plus que les éternelles rodomontades éléphantesques ne livrant d’autres clés pour livrer le réel que la clé de Solferino et ses chaises musicales.
La situation de la France, nonobstant les misères sociales, paraît cocasse. Ce président volontariste, neuf, clinquant et plein d’élan, sifflotant la rupture en clignotant tel un capitaine swinguant sur un navire, ses mousses astiquant le pont, ses marins hissant la voile, le regard radieux lorgnant sur cette nouvelle Amérique promise comme la France d’après. Mais la réalité est tout autre. 2008 ressemble de très près à 1992, et 2010 risque de ressembler à 1994. Fin d’un round, années fric, krach boursier en 1987, puis bulle immobilière en 1991. Nous sommes dans une conjoncture similaire. Deux dégonflements des bulles boursières depuis 2000 et création de la bulle immobilière depuis quatre ans. Et situation sociale qui ne s’améliore pas. Mais de 1992 à 1994, c’était une ambiance fin de règne. Mitterrand sur sa fin, la gauche rongée par les affaires. C’était morose mais au moins cohérent. Avec Sarkozy, il semble y avoir une dissonance ou plutôt une sacré discordance. Et si, au lieu d’un nouvel élan, la France était dans une situation de fin de règne. Paradoxal ? Non, pas si on retourne les cartes et qu’on voit Sarkozy et la droite, purs produits du RPR, comme les héritiers de la chiraquie accomplissant une fin de règne en gérant les piètres résultats de ces politiques moyennement sociales, sans gloire, sans imagination, sans grandeur, sans générosité, sauf pour les réseaux et les copains, les financiers et les malins.
La situation n’est pas si grave. Elle est pire car il n’y a pas de relève raisonnablement concevable sur les éléments fournis par l’état du PS. François Bayrou l’avait du reste compris. La France est en panne, elle fait du sur-place. Et, sans doute, d’un point de vue idéologique et politique, n’y a-t-il pas de solution rationnelle. Alors autant souhaiter à la France que l’équipe au gouvernement puisse gérer ce sur-place dont on pressent que les causes ne sont pas seulement économiques ni politiques. Que les artistes bâtissent une arche, un aéronef des fous pour lévitation transcendantale et traversée des trous d’air sociaux et économiques. L’essentiel est de préserver l’esprit.
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Comment ne pas rapprocher ce délestage étatique avec un autre plus emblématique, celui du journal Le Monde. 130 emplois supprimés dont les deux tiers à la rédaction. Le monde va mal, mais cette fois aux States, lassitude, les Américains, peuple volubile, sont moroses et, pour qu’il en soit ainsi, il faut vraiment que la situation soit grave, une grosse panne. Mais pas si grave qu’en 1929. Tout est relatif. A notre époque de profusion matérielle, il suffit d’une panne de croissance pour qu’on en fasse un drame. A moins qu’une autre panne, plus sociale, soit aussi en marche, panne dans le désir de vivre, d’innover, d’inventer, de partager, de rêver, comme un certain Martin LK assassiné il y a quarante ans. C’était une autre époque. L’actuelle n’a plus cet élan. Ah, dit mon voisin de 90 balais, ces gens, il leur faudrait une bonn’ guerr’ ! Tandis que le publicitaire, inspiré de ce spot pour une mutuelle qui ne peut rien faire quand l’ascenseur tombe en panne, ironisera en répondant à celui qui est en panne existentielle, l’Etat français ne peut rien faire ! Alors qu’un épigone de JKF dira, tu veux que ton pays vienne élever ton existence, interroge-toi plutôt sur ce que tu peux faire pour réparer l’ascenseur de la civilisation !
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