Plus d’Europe … souveraineté européenne … ???
« Plus d’Europe », … « souveraineté européenne » … ???
Chacun s’accorde sur le fait que beaucoup de choses (la monnaie, l’emploi, etc…) ne « vont pas » en « Europe ». Les conclusions qui en sont tirées sont les suivantes. Les uns concluent que ça ne peut plus durer, les autres qu’il faut encore « plus d’Europe ». Les uns critiquent le fait que la souveraineté a été enlevée aux peuples, les autres rétorquent qu’il ne faut pas parler de ça et que la souveraineté doit désormais être une « souveraineté européenne » (v. par ex. les déclarations du nouveau chef d’Etat français sur le concept).
On comprend les premiers dont le raisonnement paraît « logique » : « ça ne va pas ? … faisons autre chose ! ». La position des autres : « ça ne va pas ? … remettons-en ‘une louche’ ! » est beaucoup plus inattendue. Et interpelle.
Faute d’avoir explicité leur pensée, et d’avoir donné un contenu concret aux projets que ces concepts sous tendent nécessairement, ces partisants du « plus d’Europe » et ces théoriciens de la « souveraineté européenne » invitent à réfléchir. Nécessairement, à partir du contexte dans lequel ces propos sont tenus.
Dans cette logique, nous proposons ci-dessous une piste de réflexion, en commençant par rappeler le contexte.
L’ « Europe », en tous cas ce qu’on appelle aujourd’hui l’ « Union » européenne, est née d’un coup de génie. De ceux qui ont imaginé de constituer un cartel des producteurs de charbon et d’acier. Qu’ils ont asticieusement appelé « Communauté » (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier / CECA), mot qui sonne mieux que le mot « cartel ». Cartel, qu’ils ont fait administrer par des technocrates indépendants (c’est là le coup de génie) des Etats. « Bon coup » pour les uns, vendu aux braves peuples comme devant leur éviter la guerre. Alors que chacun sait cependant qu’un fois une guerre lancée (souvent pour une histoire d’argent), banquiers et industriels qui concourent à la fabrication des armes, quelle que soit leur nationalité, se régalent de la guerre et fournissent en argent et en armements les deux camps.
C’est ce modèle, qui a été progressivement étendu aux autres secteurs de l’économie, est celui qui a été fabriqué par les « pères fondateurs de l’Europe ». Qui ont veillé à ce que leur « Europe » ne contrarie pas les appétits des entreprises des Etats-Unis d’Amérique. Ce qu’ils ont fait avec d’autant plus de zèle et d’inspiration que certains étaient payés, ainsi qu’on l’a découvert plus tard, par les Américains pour faire comme il fallait.
L’organisation de cette gestion est des plus simples : l’économie et la finance sont gérés, non plus par les institutions des Etats, mais par une sorte de conseil syndical (la « commission ») suivant une feuille de route (imprimée dans des traités intouchables par les institutions des Etats). La « commission » a été flanquée d’institutions secondaires, qui, sous un certain rapport, ne servent à pas grand’chose puisque la feuille de route est intangible. Mais qui, en portant le nom habituellement donné aux institutions étatiques, contribuent à donner et à renouveler une sorte de légitimité à ce que fait, pas à pas, la commission. Le « conseil des ministres » englue toujours un peu plus à chacune de ses réunions, les Etats dans la mécanique qui aspire leurs prérogatives. Le « Parlement » européen avec ses « députés » qui « votent », qui peuvent « renverser » la commission … apporte la touche subliminale de la démocratie et du régime parlementaire. Alors que les députés ne peuvent rien décider qui soit contraire à la politique et aux dogmes tels qu’ils ont été arrêtés par les traités. Une Cour de justice renforce la ressemblance avec le système étatique ou pré étatique, alors que sa tâche n’est pas d’être un « pouvoir » pouvanbt assigner des limites à l’exercice du pouvoir gouvernemental. Mais consiste, en un raccourci, de veiller à ce que personne ne prenne des libertés par rapport à la feuille de route et à l’idéologie économico-financière des rédacteurs de ladite feuille de route.
Quant aux américains, ils ont eu, avec cette Europe là, ce qu’ils voulaient.
Ils ont réussi à faire en sorte que l’Allemagne (la seule puissance européenne qui compte vraiment économiquement et qui avait montré de quoi elle était capable militairement (puisqu’elle avait balayé les armées françaises, avait occupé l’Europe, s’était installée sur d’autres continents et s’en était même prise à la Russie-) n’aille pas à l’Est avec la Russie. Avec laquelle elle aurait constitué un bloc économico-politique très largement concurrent des USA. Ils ont réussi à amarrer l’Allemagne à l’Ouest et en ont fait le coeur de la mécanique européenne.
USA qui ont habilement réussi à transformer en protectorats les Etats de la partie occidentale de l’Europe grâce aux traités dont ils ont obtenu la signature, organisant le fonctionnement de l’économie et de la finance ( traités sur l’Europe, rédigés à l’origine comme il a été rappelé ci-dessus par des hired hands des Américains, et complétés par de multiples autres traités –OMC, maintenant TAFTA, CETA). Traités favorisant dans les faits, d’une manière ou d’une autre, le développement du commerce et de l’industrie américains.
Il y avait la « Francafrique ». On peut ajouter aux néologismes : « l’ Euramérique ». De Gaulle parlait de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». L’Europe d’aujourd’hui, va plutôt … de San Fransisco à Helsinki (en attendant de s’étendre selon les souhaits de Washington jusqu’ Ankara, voire à Kiev). Ce qui fait plus « mondialisé », donc plus « tendance ».
Les Etats-Unis d’Amérique ont aussi réussi à contrôler la défense des Etats grâce au maintien, malgré la disparition du communisme à l’Est, du traité de l’OTAN. Traité qui permet progressivement de mettre les troupes nationales sous commandement américain, et de transformer les soldats des nations en Harkis pour les opérations et besognes guerrières décidées à Washington. « Europe » qui permet par ailleurs aux Américains d’installer des bases militaires à proximité de la Russie ou pour leurs opérations sur le continent africain où ils font en sorte, entre autres, de prendre la relève des Français.
Le tout complété par une politique d’achats des entreprises fabriquant des matériels essentiels pour l’exercice de la souveraineté des Etats. Par exemple en achetant – après une habile préparation- Alstom, les Américains ont privé la France de l’exportation de produits puisque ces derniers ont changé de nationalité. Mais surtout ils se sont donné les moyens de contrôler la politique étrangère et militaire de la France, qui lorsqu’elle aura besoin de pièces détachées pour sa marine de guerre (qu’Alstom fabriquait), devra dorénavant les acheter à Général Electic. Firme américaine qui obéira aux instructions du gouvernement américain, lesquelles pourront varier selon que ce dernier approuvera ou non les choix militaires, diplomatiques ou autres des dirigeants français
C’est dans ce contexte que les politiques qui font tourner cette mécanique, commencent à habituer les citoyens au mot d’ordre : « plus d’Europe » et au concept de « souveraineté européenne ».
Dans ce contexte, quelles réalités ces expressions peuvent-elles recouvrir ?
« Plus d’Europe »,
- Ce peut être, plus de territoires : la Turquie, l’Ukraine, voire d’autres pays.
- En dehors de l’extension géographique, il peut s’agir de changer le vocabulaire, puisque ces politiciens n’envisageant pas un changement des règles. Changement concernant probablement la « commission » qui est le seul organe à ne pas encore porter le même nom que les organes de l’Etat. On l’appellera donc probablement « gouvernement » et les commissaires deviendront des « ministres ». Pour que la ressemblance soit parfaite, on pourra aussi créer un poste de chef de la zone du genre « président de l’Europe ». Et le faire élire par le parlement, ce qui est le plus pratique. Maintenant que l’essentiel du travail de dépossession du pouvoir des Etats est fait, on peut aussi transformer le conseil des ministres en « Sénat » ; il « représentera » les Etats. Ses membres pourront, avec un « poids » moindre que celui des ministres, continuer à solliciter, négocier, délais et exceptions à la commission devenue « gouvernement ».
Le concept de « souveraineté européenne » quant à lui peut perdre de son mystère lorsqu’il est rapproché des autres conceptions de la « souveraineté » :
- la souveraineté nationale : la souveraineté appartient à la « nation » entité fictive, et le droit de l’exprimer est limité (– subordonné à des conditions de fortune à partir de la Révoultion et jusqu’en 1848). - la souveraineté populaire : une « parcelle » de souveraineté appartient à chaque habitant qui a le droit de l’exprimer sur toute question. C’est celle que revendiquent les politiques qui veulent « sortir » de « l’Europe » puisque les traités ne permettent plus la mise en œuvre de la souveraineté populaire. Quant à sortir du système des traités, ce ne peut être fait qu’Etat par Etat puisque ce sont les Etats qui ont signé leur adhésion au système. (D’où le quolibet de « souverainistes » et l’accusation – un peu osée, mais qui « marche » qui est adressée à ces personnages, de vouloir faire vivre leurs populations en autarcie).
Comme pour les partisans du système, il n’est pas question que les citoyens puissent modifier les règles des traités, on peut avancer que le concept de « souveraineté européenne » s’oppose au concept de souveraineté populaire. Et ne peut avoir pour objet que d’habiller d’un point de vue théorique, le fait que sur la zone de libre échange, l’usage du bulletin de vote peut-être modulé selon qu’une question relève ou non des affaires des traités. Donc … qu’il soit restreint.
Par ailleurs et, d’un point de vue connexe, avec le concept d’une « souveraineté européenne », les pouvoirs régaliens de l’Etat n’existent plus puisque désormais le souveraineté qu’ils exprimaient est transférée.
Enfin, si l’on met en relation le « plus d’Europe » et la « souveraineté européenne », et si l’on conserve un sens aux mots, « plus d’Europe » veut dire « moins d’Etat » ; « souveraineté européenne » est (v. ci-dessus) de son côté, synonyme de « moins de peuple ».
Il reste évidemment à se demander si d’aventure, ce « plus d’Europe », et cette « souveraineté européenne » pourraient recouvrir une entité, cette fois-ci politique, correspondant à ce que l’on connaît ailleurs : un Etat confédéral ou un Etat fédéral. Dont les peuples décideraient de la politique. Qui constituerait un bloc politico-économique, rivalisant avec les autres blocs existants.
La réponse est probablement négative. Pour au moins trois raisons.
1/ On ne voit pas Etats-Unis d’Amérique accepter, sans réagir, que leurs efforts (pour que l’Europe ne constitue pas un bloc économique rival), et que leurs acquis (sur les Européens) soient réduits à néant. Etats-Unis qui (en dehors des opérations qu’ils ont menées pour mettre à genoux les petis pays dont les dirigeants contrariaient leurs projets) n’excluent pas la solution militaire, même quand ce sont des blocs puissants qui sont susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts (ainsi que la carte de l’implantation des bases miltaires des Etats-Unius d’Amérique, « autour » de la Russie et « autour » de la Chine le fait redouter).
2/ Redonner aux peuples leur bulletin de vote impliquerait le renoncement au mode de gestion de l’économie et de la finance. Et ferait courir le risque que la déréglementation des activités financières et économiques, cède la place à leur régulation.
3/ Imaginer faire un Etat (peu importe le qualificatif) avec un salmigondis de peuples est de la même nature que rêver de marier les carpes et les lapins... Puisque les peuples du continent européen, ont chacun leur langue, leur culture, leur histoire, que les territoires sont riches ou pauvres, que les niveaux de vie différents, que les grilles de salaires le sont aussi, que les économies sont très différentes, que les intérêts sont divergents. Et alors même que les gens qui ont vécu longtemps ensemble, ne peuvent pas s’empêcher d’en avoir assez ( Yougooslavie, Catalogne, et avant la dislocations des empires).
Avec 5 ça ne s’est pas fait. Alors … avec 28 (ou plus si laTurquie qui se ré islamise y est agrégée) … !!!
Alors ? …
Marcel-M. MONIN m. de conf. hon. des universités.
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