Pour l’ex trader devenu moine cistercien, la crise financière n’est qu’un "gros rhume du marché” !
Qui ne connaît l’histoire du vicomte Charles de Foucault, né en 1858 au sein d’une vieille, riche et prestigieuse famille de l’aristocratie française ? Après des études chez les Jésuites, il intègre Saint-Cyr puis l’école de cavalerie de Saumur, où il mène une vie de débauche. Devenu lieutenant du 4e hussard en Algérie, il fait scandale à Sétif en raison de son indiscipline et de son libertinage ; après quelques péripéties il démissionne de l’armée et entreprend d’explorer le Sahara, où il retrouve la foi religieuse qu’il avait perdue à l’adolescence. La trentaine venue, il renonce à son grade d’officier de réserve, liquide sa fortune et devient moine trappiste, puis ermite du désert à Tamanrasset, où cet homme qui rêvait de devenir martyr sera assassiné par des pillards. Né un siècle plus tard, il serait peut-être devenu golden boy plutôt que militaire avant de se faire moine. C’est ce qui est arrivé à Henry Quinson, ex-trader devenu moine cistercien et qui semble n’avoir rien compris à la crise systémique majeure que nous vivons actuellement.
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La voie familiale avant la voix de dieu
La vie d’Henry Quinson ressemble un peu (en modèle réduit, quand même) à celle de Charles de Foucault, à ceci près qu’il n’est pas un rejeton de l’aristocratie, mais d’une famille de la grosse bourgeoisie lyonnaise (son père était banquier) très catholique et même bigote, et qu’il n’a jamais vécu une vie de débauché ni jamais perdu sa foi religieuse. C’est au contraire un enfant modèle et discipliné, qui suivra la voie professionnelle familiale en devenant trader après avoir fait de brillantes études d’économie à la Sorbonne et Science Po. Un trader émérite qui hante les salles de marché de Wall Street, de la City londonienne et enfin de Paris, chez Indosuez.
A 28 ans (à peu près le même âge auquel Charles de Foucault retrouve la foi), Henry Quinson est un trader qui a amassé une énorme fortune en s’adonnant à la frénésie spéculative, qui fréquente le monde économico-politique (il sera ainsi le coordinateur du réseau des jeunes barristes lors de la campagne présidentielle de Raymond Barre, ex-maire de Lyon, en 1988), possède un vaste appartement près de la tour Eiffel mais n’a jamais cédé, contrairement à l’ermite de Tamanrasset, aux plaisirs qu’offre l’argent abondant et facile : “je n’étais pas du tout un flambeur. Je n’ai jamais roulé en Ferrari, ni collectionné les femmes !”, confie-t-il. Pas un trader bling-bling comme les autres, donc. Normal, puisqu’à 20 ans, il était déjà attiré par une vie monastique qui lui faisait encore peur, et que pendant ses 8 années de boursicotage transatlantique, il n’a jamais cessé de prier en secret le Père, le Fils, le Saint-Esprit et la Vierge Marie.
Etrange, non ? D’un côté vénérer le dépouillement prôné par le Sermon sur la Montagne, de l’autre accumuler des montagnes de fric sans vergogne ni scrupule. Et vraiment sans vergogne ni scrupule puisque lorsqu’un journaliste évoquera avec lui l’année 1989, date à laquelle la banque d’affaires Merryl Lynch tentera de le débaucher d’Indosuez en lui offrant un pont d’or, qu’il refusera en décidant d’entrer dans les ordres monastiques, et que ce journaliste lui demandera : “Qu’est-ce qui vous choquait dans votre vie de trader ?”, il répondra platement : “Rien. Je ne suis pas parti pour des raisons négatives. D’ailleurs, je ne renie pas mon ancien métier. Mais je voulais vivre pleinement ma foi”. Bref ce type arrivait à servir à la fois Dieu et Mammon sans que ça le gêne spirituellement et moralement. Pas très catholique, de ne pas renier Mammon après l’avoir quitté pour suivre la voie de Dieu ! La suite de cette histoire sainte va nous montrer qu’en fait, le trader devenu moine ne s’est jamais désintoxiqué du manque d’odeur des salles de marchés et que ça nuit salement à sa lucidité quant aux causes de la crise financière actuelle. Mais avant ça, allons faire un petit tour en Savoie…
Pauvreté, chasteté et reblochon
Après avoir liquidé son immense fortune en la donnant à des associations caritatives, l’ex trader part vivre au monastère de Tamié, près d’Annecy. Dans cette abbaye dirigée par des moines cisterciens, il doit se plier à la dure règle de Saint Benoît : pauvreté, chasteté, silence, réveil tous les matins à 3h30 pour la première prière, avec au menu des journées une alternance d’études théologiques et de travail manuel. Il se retrouve ainsi, entre deux oraisons, à tourner et retourner les fromages de Tamié (une sorte de reblochon local, très bon) dans une cave alors que dans la vie trépidante qu’il venait de quitter, il gérait un portefeuille d’actions de 15 milliards de dollars.
A Tamié, il croise probablement frère fromager Nathanaël, surnommé le “business-moine” (ça ne s’invente pas !) par ses compagnons trappistes, qui a mis en place un ingénieux système de méthanisation du petit-lait permettant de fabriquer du biogaz, ce qui a permis au monastère de Tamié de devenir une entreprise à la fois écologique et rentable.
Ordonné prêtre, Henry Quinson tient six ans à ce régime spartiate et odoriférant (contrairement au fric, le reblochon a une odeur…) avant de finir par se lasser des courtes nuits et de la monotonie de cette existence recluse. L’adrénaline de l’ambiance survoltée des salles de marchés lui manquait-elle ? Peut-être pas, mais l’action (au sens de vie active, et non au sens financier), le besoin d’une vie sociale plus… riche (!), certainement. Et comme il le confie lui-même, “j’avais envie de me rendre utile aux autres. Et surtout d’aider les gens défavorisés des banlieues. D’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi l’Eglise était absente dans ces quartiers. C’est trop facile de dire qu’on aime les pauvres quand on vit au Vatican ou dans un beau monastère. Si on veut vraiment aider son prochain, il faut aller vivre avec lui. Et l’aider à s’en sortir”.
L’ex golden boy devenu moine renonce alors à ses vœux monastiques et part en 1997 à Marseille, pour y fonder la Fraternité Saint-Paul, dans un quartier pauvre de Marseille peuplé par une majorité d’immigrés maghrébins. Là encore, son itinéraire recoupe celui de Charles de Foucault, l’ermite du désert fasciné par l’Islam et secoureur des nécessiteux musulmans, à ceci près qu’Henry Quinson s’installe dans un autre désert, celui de la misère urbaine, dans un appartement HLM.
De la fromagerie de Tamié aux quartiers nord de Marseille
Il fonde donc la Fraternité Saint-Paul, une communauté de prière, de travail et (soutien scolaire aux enfants d’immigrés, aide aux démarches administratives) et devient prof d’anglais à mi-temps dans un lycée de la capitale phocéenne. Il se fait aussi traducteur d’un ouvrage sur le destin tragique des moines de Tibhirine assassinés par des islamistes algériens (tiens, encore un écho à Charles de Foucault) - ou selon d’autres sources par des militaires - et devient l’auteur d’un best-seller, Moine des cités, de Wall Street aux quartiers nord de Marseille, vendu à plus de 40.000 exemplaires. Cette célébrité lui vaudra de devenir un “expert” consulté par les médias sur les questions ayant trait aux relations entre Islam-Chrétienté et l’immigration.
En passant, sur le site de la Fraternité Saint-Paul, à propos des relations entre Islam et Christianisme, on trouve d’ailleurs une seule et unique citation d’une sourate du Coran : “Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : ‘Oui, nous sommes chrétiens’, parce qu’on trouve parmi eux des prêtres et des moines qui ne s’enflent pas d’orgueil” (Coran 5, 82). Il est vrai que pour quelqu’un qui prône le dialogue entre ces deux religions, il aurait été déplacé de citer d’autres sourates, notamment la Al-Maidah : “Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs. Allah ne guide certes pas les gens injustes” ou la sourate La Table est servie “Contre les Juifs Médinois et les Chrétiens”, verset 65/60 : “Ceux qu’Allah a maudits… dont il a fait des singes et des porcs, (qui) ont adoré les taghout, ceux là ont pire place et sont les plus égarés”.
Mais bon, ne parlons pas des choses qui fâchent, comme diraient les autruches si elles avaient la parole. En tout cas, dans les locaux de la Fraternité, l’ex golden boy dispose d’un ordinateur où il peut se brancher sur Internet et sur le site du Wall Street Journal… car s’il jure ne jamais pouvoir redevenir trader en vertu du verset 11 du psaume 61 de la Bible : "N’aspirez pas au profit, si vous amassez des richesses, n’y mettez pas votre cœur", il a gardé des amitiés et des liens avec le monde de la bourse et continue à s’intéresser à la finance internationale. Incorrigible ! A croire que le trading est une drogue dure dont on le décroche au fond jamais, et qui obscurcit sérieusement les capacités de jugement.
“Un gros rhume du marché, ça passera” !
A partir du moment où Charles de Foucault est devenu l’ermite de Tamanrasset, il n’a plus jamais donné son avis sur les choses militaires. Henry Quinson, lui, a son avis sur la crise financière et systémique qui secoue actuellement la planète, il le donne et ce n’est pas l’avis d’un homme éclairé par des années de prières et de méditation, mais celui d’un être qui a toujours une… foi de trader inébranlable dans l’économie financiarisée.
Interrogé sur ce qu’il pensait de la crise, voilà ce qu’il a répondu :
“J’ai un regard plutôt nuancé sur la crise. C’est vrai qu’il y a eu des erreurs commises. Et sans doute des opérations malhonnêtes. Mais à mon avis, ça n’est pas le fond du problème. Moi, je trouve cela trop facile aujourd’hui de critiquer les subprimes et de les rendre responsables de la crise. Car à l’origine, l’idée était plutôt positive, puisque c’était de permettre à des gens modestes d’acheter leur maison. Ce qui n’a rien de scandaleux !”.
D’un côté, il a (un peu raison) : les subprimes ne sont pas la seule cause de la crise, elles ont été l’élément déclencheur et révélateur d’une crise de folie spéculative qui dure depuis plus de 20 ans. Mais pour un chrétien comme lui, tenir ces propos a tout de scandaleux, étant donné que si les subprimes ont été inventées par des docteur Folamour de la finance, c’était parce que la bulle spéculative de l’argent virtuel ne savait plus ou s’investir, et qu’il a donc fallu inciter les pauvres à s’endetter pour créer encore plus de crédit alimentant ladite bulle. Pas très charitable pour un chrétien : c’est pas très joli de se faire du pognon sur le dos des pauvres…
Dans son analyse de la crise, Henry Quinsot est tout aussi sourd et aveugle : “Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’époque aucun financier ne pouvait prévoir que le système des subprimes allait s’effondrer, vu que c’était un produit totalement nouveau ! Et dans ce métier, on est obligé de lancer de nouveaux produits financiers sur le marché. Même si c’est risqué. En fait, pour éviter une telle faillite, il aurait fallu davantage de contrôle. Mais ni les institutions financières ni les politiques ne l’ont fait. Du coup, les conséquences seront sans doute très graves”.
Incroyable inconséquence. Ce type fonctionne toujours comme un trader inconscient. Trop occupé par ses prières et ses cours de soutien scolaire, il n’a pas du lire et entendre tout ceux qui depuis longtemps déjà tiraient la sonnette d’alarme et disaient qu’on allait droit dans le mur. Il est un peu comme Jérôme Kerviel qui se justifie en disant, comme un petit enfant irresponsable, quelque chose comme “Les grands ne m’ont pas retenu, alors j’ai fait un malheur”.
Et que prévoit-il, cet homme au carrefour du croisement entre l’Opération du Saint-Esprit et de la Main Invisible du Marché ? Pas exactement “après moine, le déluge” : “on rentre aujourd’hui dans une récession qui se prolongera au minimum sur les trois prochains trimestres. Après, on peut s’interroger : Pour combien de temps encore ? Quelle sera l’ampleur de cette crise ? A qui elle va profiter... Pourtant, je reste toutefois optimiste pour l’avenir. Car je pense qu’on va vers une nouvelle ère économique qui sera beaucoup plus saine”. Mais la meilleure, c’est qu’il estime que la crise, ce n’est qu’un “gros rhume du marché, ça passera”.
Enorme ! On le voit, l’ex-trader et néo-moine ne prend absolument pas la mesure de la crise systémique que nous traversons et ne se mouille pas trop. Il ne regrette rien de ce qu’il a fait, ou si peu. Et il espère (après tout, l’Espérance est une vertu théologale) qu’avec un peu de contrôles étatiques ou autres, on pourra rebâtir une nouvelle ère économique où la bourse, les banquiers et les traders auront toujours leur place, comme avant, comme s’il ne s’était rien passé.
Il n’imagine pas une seconde un monde où par exemple les parts de sociétés ne seraient plus des actions, mais des obligations, un monde où des banques nationalisées s’occuperaient du financement des entreprises, un monde sans parasites ni produits financiers inventés par des mathématiciens fous, un monde sans bourse (après tout il existe quantité de sociétés non cotées en bourse et qui s’en tirent très bien), un monde sans traders défroqués ou non, repentis ou non, sans traders du tout.
Cela n’a rien d’intriguant, d’ailleurs, de la part de cet homme qui disait, en évoquant sa découverte de la prière : "J’étais frustré et, soudain, je me suis senti comblé. C’est tout. Je suis capable d’expliquer le système monétaire international, pas ça". Et vantard, avec ça !
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