Pour Michel Onfray : Récidive
LA NOUVELLE CABALE DES DEVOTS
Il semble loin aujourd’hui ce siècle où la France éclairait le monde de ses Lumières, dont celle de l’admirable Voltaire, qui écrivit d’éblouissantes, et encore très actuelles, « lettres philosophiques sur la tolérance ».
C’est là ce que donne à penser la meute qui s’est lancée aux trousses, ces jours derniers, de Michel Onfray, qu’elle accuse d’antisémitisme pour avoir défendu un livre, « Qui est Dieu ? » de Jean Soler, s’adonnant à la critique des trois grands monothéismes et, en particulier, du judaïsme : ce qui, pour ces nouveaux maîtres censeurs, constitue, non seulement un crime de lèse-majesté, mais, plus condamnable encore, le pire des sacrilèges !
Ainsi, confondant quantité et qualité, ont-ils cru bon, ces vaillants soldats de la foi mosaïque, de s’y mettre à trois, dans « Le Point » du 28 juin dernier, pour tenter de broyer sous leur esprit grégaire, et pour tout dire quelque peu lâche, le supposé « antijudaïsme » d’Onfray, qu’ils ne craignent pas de traiter, en leur charitable papier, de « païen ».
ANTISEMITISME ET ANTICHRISTIANISME : LES DEUX FACES DE LA MÊME MEDAILLE DE L’INTOLERANCE RELIGIEUSE
Mais, surtout, ce dont le rabbin Yeshaya Dalsace ne se rend pas compte en cet article, bien qu’il y soit secondé là par ses « cosignataires » Aldo Naouri et Antoine Spire, c’est qu’à force de voir de l’antisémitisme partout où il juge son orthodoxie bafouée, il finit par verser lui-même dans la réciproque inverse, tout aussi malvenue, de l’antisémitisme : l’antichristianisme, et même doublé, en la circonstance, d’un tout aussi suspect anti-hellénisme.
Bref : un double préjugé qui, pour le coup, ne vaut guère mieux - sauf qu’il est moins stigmatisé, au faîte d’un étrange parti pris, auprès de l’intelligentsia française - que celui qu’il entend pourfendre au départ.
De fait, écrit ce rabbin (et, accessoirement, ses deux affidés) : « Onfray assène : le Dieu d’Israël est exclusivement ethnique et séparatiste… La preuve : les lois alimentaires et de pureté pratiquée par les Juifs… Encore un cliché, et une affirmation simpliste. Ne connaît-il pas ce genre de lois sur la pureté chez ses chers Grecs ? Ne sait-il pas la vertu d’une discipline intérieure ? Quelle contradiction entre ces règles et les principes de l’Universel ? Mais là encore, rien de neuf, c’est la reprise d’un vieux thème antijudaïque trop bien connu, celui d’une époque où l’on jetait volontiers les juifs dans les puits ou sur les bûchers pour leur apprendre les vertus de l’universalisme chrétien… ».
Et patatras : voilà donc « l’universalisme chrétien » soudain devenu, lui aussi, antisémite et même, à l’instar des nazis (même si, certes, en de moindres proportions), tueur de juifs !
Je ne voudrais certes pas verser à mon tour dans une argumentation qui, pour fondée qu’elle soit sur le plan historique, risquerait néanmoins de constituer, pour certains esprits revanchards, un énième et dangereux alibi à quelle que haine religieuse que ce soit : basta ces bains de sang, dont l’humanité ne regorgent que trop, au nom même de Dieu !
Mais, enfin, qu’il me soit tout de même permis de rappeler, à ce rabbin épris d’exégèse biblique, que, selon l’Evangile (à moins qu’un négationnisme de mauvais aloi ne nous force à en contester l’authenticité), ce furent, au contraire, ses ancêtres théologiques, ces « Docteurs de la Loi » que le Nouveau Testament appelle les « pharisiens », qui décidèrent de condamner à mort, au nom de ce fameux « Dieu universel » précisément, le premier représentant du christianisme : un certain Jésus, lui-même juif paradoxalement !
Cet épisode de la passion du Christ (auquel le sceptique que je suis ne reconnaît par ailleurs qu’une existence humaine et non d’essence divine) se passa au sanhédrin de Jérusalem, alors autorité suprême, en matière de justice, chez les Juifs. Les Romains, puissance politico-militaire occupant la Palestine de l’époque, ne firent, quant à eux, qu’appliquer là, via le châtiment de la crucifixion, la sentence, souveraine et sans appel, émise par ce tribunal.
Autant dire qu’antisémitisme et antichristianisme ne se révèlent finalement là, hélas, que les deux détestables faces de la même et odieuse médaille de l’intolérance religieuse !
DEBATTRE N’EST PAS ABATTRE
Mais revenons-en donc à ce texte incriminé de Michel Onfray (dont je ne partage pas nécessairement, soit dit en passant, toutes les thèses, dont celle, irrecevable par son indu et périlleux amalgame conceptuel, consistant à faire de Moïse l’ancestral précurseur, par je ne sais quelle volonté génocidaire de sa part, d’Hitler). Car la meute à ses trousses ne s’est certes pas arrêtée en si bon chemin. Au contraire : dans le journal « Libération » du 3 juillet dernier, ils s’y sont mis carrément à quatre, ces courageux polémistes, pour lui sauter dessus, les crocs bien aiguisés à défaut d’être bien affûtés.
Qu’il suffise, pour se convaincre de la faible pertinence de leur exposé, de considérer le titre que Gérard Bensussan, Alain David, Michel Deguy et Jean-Luc Nancy (ce sont là les noms de cet intrépide carré d’as philosophiques) y ont donné à leur tribune. C’est peu dire qu’il laisse perplexe tant il s’avère, doté là de connotations quasi cliniques au niveau psychologique, malveillant, sinon exagérément agressif : « Du ressentiment à l’effondrement de la pensée : le symptôme Onfray ».
Onfray y répondit, par le biais d’une tribune judicieusement intitulée « Sale temps pour la pensée debout ! », aussitôt : « Je trouve vraiment très drôle, de la part de ceux qui font de moi un ‘malade’ (à quoi bon, sinon, le ‘symptôme’), un démagogue, un être vulgaire, bas, un imposteur, un personnage inconsistant, une personne avide de revanche, un individu ayant seulement la réputation d’être un philosophe, un amateur de niaiserie philosophique, un signe de l’effondrement de la pensée, un compagnon de route de l’antisémitisme, sinon un antisémite, de passer pour un homme du ressentiment ! C’est l’hôpital institutionnel qui se moque de la Charité… Je ne descendrai pas, pour ma part, aussi bas que ceux qui parlent au nom de ‘la communauté philosophique’ - une tribu dont je me moque autant que de ma première tétine… L’attaque ad hominem n’honore pas ceux qui la pratiquent à défaut de vouloir (sinon de pouvoir) débattre vraiment sur les idées. »
C’est là, précisément, ce que ces chiens de garde du dogme religieux, quelle qu’en soit la confession, omettent trop souvent : débattre n’est pas abattre !
Onfray, quelques lignes plus loin, ajoute, non moins opportunément : « Faut-il préciser à cette communauté philosophique réduite à quatre, que, toute à sa haine, elle oublie que j’effectue un travail tout simple : celui du philosophe laïc ? Autrement dit : je revendique le droit de lire les textes fondateurs du monothéisme comme je lis l’Edda, la Bhagavad-Gîta ou les Lois de Manou : en philosophe laïc et athée, et non en croyant dévot. »
LA CUREE DES TARTUFFES
Et toc, nous y sommes : c’est une nouvelle, quoique très rétrograde, cabale des dévots, comme il en sévissait déjà au XVIIe siècle, bien avant l’avènement du Siècle des Lumières, qui caractérise, aujourd’hui, cette curée, pour reprendre le titre d’un célèbre roman de Zola (par ailleurs auteur d’un historique « J’accuse » en défense d’un certain Dreyfus, autre notoire victime, bien que de culture effectivement juive celle-là, du racisme religieux) à l’encontre de Michel Onfray !
Ainsi que cet « athéologue » assumé se rassure et se console donc : d’autres grands et beaux esprits français eurent à subir, avant lui, ce que la postérité littéraire a retenu sous l’heureuse quoique tragique formule de « cabale des dévots », cette forme moderne, plus subtile et moins spectaculaire, de l’inquisition.
Le premier de ces illustres parias fut Corneille, que Richelieu fit attaquer, à travers un pamphlet de Scudéry, pour son Cid. Il y eut ensuite Racine en personne, dont la Phèdre fut pourchassée, conjointement, par la duchesse de Bouillon et le duc de Nevers. Puis il y eut, surtout, l’immense Molière, dont l’inénarrable Tartuffe, notamment, fut l’objet, en pleine représentation théâtrale, des pires sabotages comme des quolibets les plus infamants.
L’ « infâme » : c’était là, précisément, le terme par lequel Voltaire, lumière d’entre les Lumières, désignait, très péjorativement, le fanatisme religieux, qu’il abhorrait, à juste titre, par-dessus tout ! Aussi, devenu alors objet de conspirations multiples tout autant que d’intrigues malsaines, fut-il contraint de quitter la France pour s’exiler en Angleterre, tout comme le fera également, un siècle plus tard, Victor Hugo, contre lequel s’étaient alors ligués les partisans de Napoléon III, à Guernesey.
Et encore : le grand Descartes, qui, persécuté par les jésuites pour avoir osé prouver l’existence de Dieu à travers la raison plutôt que de se contenter de la foi, dut se réfugier à Amsterdam avant que de finir, protégé par la reine Christine de Suède, à Stockholm ; et le sulfureux Baudelaire, dont le procès intenté à ses Fleurs du Mal, pour outrage aux mœurs, l’obligea à demander l’asile aux Belges, qu’il n’aimait pourtant guère à lire sa Pauvre Belgique.
LE DANDYSME, DERNIER ECLAT D’HEROÏSME DANS LES DECADENCES
Mais, après tout, ce diable d’Onfray, rebelle nietzschéen et révolté camusien, n’a-t-il pas déjà lui-même élu sa demeure, aujourd’hui, en une terre d’exil ? C’est en effet dans sa bonne vieille ville de Caen, là où il a fondé sa très libre mais magnifique « Université Populaire », que lord Brummell, prince des dandys et arbitre de l’élégance, s’en alla mourir, dans la solitude la plus absolue, après que le Prince de Galles l’eut banni, pour son indomptable insolence, de la Cour d’Angleterre.
Du reste, le dandysme, que Michel Onfray connaît bien, n’est-il pas, à en croire Baudelaire en son Peintre de la vie moderne, « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences » ?
A méditer en ces temps de nouvel obscurantisme religieux !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, écrivain, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (PUF), « Oscar Wilde » (Gallimard) et « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (François Bourin Editeur), signataire du « JCall » (« European Jewish Call For Reason » - « Appel des Juifs Européens à la Raison »).
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